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27/11/2022

La condition du soldat

 

 

On parle du travail difficile des ouvriers du bâtiment sous la canicule, du surmenage du personnel hospitalier et pourtant toujours prêt à tout faire pour soigner, de l’enseignement scolaire qui devient presque impossible dans certains quartiers, de la pauvreté qui s’étend à la ville comme à la campagne, des étudiants sans ressources qui ne mangent plus à leur faim… mais on n’aborde jamais la condition du soldat. Parce que nous vivons en paix. Mais les nouvelles qui nous viennent d’Ukraine et de Russie nous transmettent l’image d’un autre monde, de gens dont la souffrance est incomparable avec celle des gens les plus malheureux de chez nous.

 Je pense aux soldats, puisque ce sont eux qui font la guerre. Et d’abord aux soldats russes. Les images qui nous parviennent dressent un tableau de leurs conditions de vie. Je crois que les combattants allemands ou français de 1914 dans leurs tranchées n’étaient pas plus mal traités que les russes d’aujourd’hui. Il y eut des massacres, tous plus inutiles les uns que les autres (sauf pour les marchands de canons). Il y eut des fusillés pour l’exemple, des gens courageux qui n’en pouvaient plus de la guerre et qui osaient le dire. Mais il y a plus d’un siècle de cela. En 2022, l’armée russe ne fournit même plus à ses soldats de quoi passer l’hiver. Ils passent leurs nuits sous des plastiques gelés et n’ont pas les vêtements qui, au moins, les protégeraient du froid.

 En 1991 au cours d’un voyage en Allemagne orientale, à Ohrdruf en Thuringe, nous rencontrâmes un jeune homme. Il promenait un bébé dans une poussette. Au milieu de cette vaste place de la gare, nous n’étions que quatre êtres humains. Nous étions français, il était soviétique. Soldat, mais en civil. Le bébé était celui de sa copine. Il n’avait qu’une idée en tête: le mariage. Car c’était le seul moyen pour lui de devenir allemand. Derrière lui, au loin, nous distinguions de grandes barres d’immeubles. Elles étaient délabrées, les vitres étaient cassées et parfois remplacées par des cartons. Des cables pendaient aux fenêtres, sans doute pour la télévision. Et bien savez-vous, c’était là que vivait l’armée russe. La grande armée rouge qui avait vaincu le nazisme vivait dans des taudis. Et le soldat avec qui nous parlions nous expliquait qu’il ne voulait plus revenir dans son pays, d’abord parce qu’il risquait d’y rester, et aussi parce que là-bas, nous disait-il, c’était la misère.

 Il m’est impossible de ne pas évoquer l’immense espoir que représenta pour les peuples la Révolution d’Octobre en 1917. Dans les années soixante en France et dans le monde, des millions de jeunes se soulevèrent avec cette idée en tête: à l’image de ce qu’avaient fait les révolutionnaires russes cinquante ans auparavant, transformer le monde, le remettre à l’endroit, en finir avec l’injustice. Mais la lecture de Soljénitsyne et l’entrée des chars soviétiques à Prague en août 68 mirent fin à ce qu’il restait d’espoir dans le coeur des plus convaincus d’entre nous. Quand je vois aujourd’hui qu’après soixante treize ans de socialisme et trente ans après la chute du régime, de jeunes hommes s’engagent dans une armée misérable pour ne pas mourir de faim chez eux, qu’ils sont mobilisés pour envahir un pays sans même le savoir, que probablement on ne leur avait pas appris que l’Ukraine existait, que beaucoup sombrent dans l’alcoolisme, c’est à désespérer.

 J’entends des cris et des rumeurs, comme quoi ici rien ne va, que le pouvoir d’achat est en baisse, que les allocations pour le chômage sont menacées. J’entends aussi que “la police tue”. Et soudain, regardant ces images montrant la violence, la misère et la détresse humaines près, tout près de chez nous, je réalise à quel point nos vociférations manquent de retenue.

 

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12/02/2022

Loi et islamisme

 

Porter le voile quand on est employée dans une crèche privée, ce n’est pas interdit par la loi.

Voiler les fillettes dans l’espace public, ce n’est pas interdit non plus.

Exposer et vendre des poupées sans visage, on peut le faire en toute légalité.

Jouer au foot vêtues d’un hijab, est-ce autorisé? Oui.

Que les commerces ne fournissent plus que de l’alimentation halal, c’est un fait et personne ne peut s’y opposer.

Porter le burkini sur une plage, on peut.

Le porter dans une piscine ce n’est pas strictement interdit, on peut donc passer outre.

Que des mères d’élèves accompagnent -voilées- une sortie scolaire, ce n’est pas interdit par la loi.

Manifester derrière une pancarte qui dit que le voile est un signe d’émancipation des femmes, pourquoi une démocratie l’interdirait?

 

Finalement la loi de 1905 autorise tout cela. Car le problème avec les lois c’est qu’elles n’ont pas d’yeux pour voir, pas d’oreilles pour entendre, pas d’esprit pour penser. Il se pourrait qu’un jour, le prosélytisme islamique autorisé puisque légal porte au pouvoir tout à fait légalement des fous de dieu qui auront été assez sages pour éviter un heurt frontal avec la république, mais assez déterminés pour grignoter chaque jour un morceau de la nation avant de la gagner tout entière.

 

 

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04/10/2021

Vivre avec son temps

 

J’ai reçu la visite d’un témoin de Jéhovah qui semblait étonné de l’aménité de mon accueil mais aussi d’apprendre que je lisais la Bible. Il faut croire que peu de gens la lisent. La lecture n’est plus le passe-temps favori dans nos sociétés, quand aux Ecritures, elles sont un recueil de textes anciens écrits par des personnes prisonnières de leur temps, parfois trop inspirées pour voir et relater les choses telles qu’elles sont. Un monde créé il y a quelques milliers d’années, un homme et une femme à l’origine de l’humanité, des patriarches vivant plusieurs siècles, des buissons qui s'embrasent sans se consumer, des lois gravées dans le marbre et inapplicables, des peuples massacrés, une cruauté sans bornes et pourtant voulue par le Créateur, des miracles à tire-larigot, un homme mort et qui ressuscite. Historiens et scientifiques accordent avec le sourire que ce sont là de beaux contes. L’Eglise bien obligée de se mettre au diapason de la science retient ce qui ne peut pas être contredit : le mystère, l’inconnaissable, elle se bat avec des armes redoutables, ses martyrs et ses saints, la foi inébranlable de millions d’hommes et de femmes en un dieu qui sauvera le monde. Mais la Bible ? Ses livres qui montrent tout ce dont l’homme et la femme sont capables dans le pire et le meilleur ? Leçons d’amour et de fraternité, manigances et trahisons, hypocrisie des prêtres, exaltation des religieux installés, extraordinaires paraboles de Jésus, que l’on croie ou que l’on ne croie pas il est dommage que cette richesse reste inaccessible aujourd’hui, en particulier à nos enfants.

Si ce n’était que la Bible ! Mais le sourire des historiens et scientifiques cités plus haut crispe aussi le visage des personnes à qui on évoque les préceptes de Sénèque ou la morale de Kant. Que nos actions soient guidées par un impératif catégorique, quelle horreur aujourd’hui ! Allez donc enseigner qu’il faut agir de telle façon que l’action de chacun puisse être érigée en règle universelle, vous allez provoquer les quolibets, même un président ne pourrait pas le dire. Des millions de tablettes et d’ipades colporteraient aussitôt la nouvelle, des milliers d’individus rompus au déclenchement et à l’entretien des rumeurs iraient fouiller dans le passé et montrer que les actes ne sont pas en rapport avec les bons principes philosophiques.

Un philosophe s’aventurerait à estimer que la maladie de notre société vient de l’oubli ou du mépris de principes et d’obligations qui réglaient hier les rapports entre les gens, on lui rétorquerait que c’était loin d’être mieux hier en lui rappelant les crimes et les guerres et qu’aujourd’hui le pire des attentats ne fait que quelques centaines de morts. Ne versez surtout pas dans la nostalgie, c’est démodé, désuet, ringard. Ne dites jamais que c’était mieux hier, non pas parce que c’est faux, mais parce qu’il faut vivre avec son temps, sans réfléchir, sans se mettre en cause, sans prendre le moindre recul par rapport à « ce qui se fait », sans lever -ne serait-ce que le temps de monter dans le train- le nez de son téléphone qui diffuse toutes les « infos » disponibles. Informations tronquées non seulement par le pouvoir politique, mais par tous les pouvoirs à commencer par moi-même qui ne veut pas voir les choses en face.

Ne pas voir c’était plus difficile AVANT. Quand il n’y avait pas d’écran et qu’on regardait le paysage. On était moins distrait. On lisait ce qu’on décidait de lire. Les racistes et les antisémites pullulaient, on savait qui ils étaient, dans quels brûlots ils écrivaient. Aujourd’hui vous demandez à des élèves de faire une recherche sur l’univers concentrationnaire, ils vous impriment des textes négationnistes sans le savoir car on peut diffuser toutes les sornettes possibles sans être contraint d’apposer sa signature au bas d’une déclaration. L’anonymat convient parfaitement à ces nouveaux modes d’expression qui circulent dans tous les tuyaux comme une eau qu’on empoisonnerait en secret. Impunément.

On a renversé le « c’était mieux hier » en affirmant que « c’est mieux maintenant ». Cela s’accompagne d’un mépris non seulement pour le passé, mais pour tout ce qui le rappelle. On respecte le patrimoine pour en faire une pièce de musée. La langue, l’orthographe, la grammaire, la calligraphie, les majuscules, allez, à la poubelle ! Le latin et le grec sont-ils encore utiles quand on communique par SMS, comme si notre histoire tournait en boucle pour revenir peut-être un jour aux signaux de fumée.

Les chefs d’œuvre des inventeurs du cinéma doivent faire sourire quand les effets spéciaux d’aujourd’hui renvoient Méliès dans les cinémathèques. On ne dit plus « trucage » mais « image virtuelle ». La technologie rend la virtualité tellement vraisemblable qu’on la confond avec la réalité. Par hologramme un orateur peut s’adresser aux foules à deux endroits différents. On se demande même si bientôt la même foule pourra défiler dans les rues de deux villes différentes. Et pourquoi seulement deux ? Un million de personnes manifestant simultanément à Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux et Lille cela ne ferait jamais qu’un million en tout, mais hormis la poudre aux yeux, par rapport à l’époque où les manifestants étaient de chair et d’os, le compte n’y serait pas. On pourra même faire défiler dans mon village un million de personnes derrière un calicot exigeant le rétablissement du bureau de poste.

Quand les belles choses ne sont plus enseignées, plus vues, plus écoutées, la musique n’émeut plus personne. L’appassionata, une messe de Bach, la Symphonie pathétique, le gospel et le blues ne parviennent pas aux oreilles des enfants. Ils sont pourtant élèves de collège et de lycée.

Comme je voudrais qu’un jour on se retrouve quelque part avec les petits, sans téléphone, sans tablette. Que nous. Et que, sur un disque qui grésille, on écoute une chanson.

 

Il nous faut regarder

Ce qu’il y a de beau…

 

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