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07/09/2019

Sans abri

 


  Je me promène dans le sixième arrondissement. C’est mon quartier. Le latin. Il fait un peu frais ce matin, j’ai mis l’écharpe rouge, du plus bel effet sur mon manteau noir, et mon chapeau, à la Louis Aragon. De la poulaille partout dans les rues. La droite a mobilisé sa police contre les sans abri. La situation de ces pauvres est insupportable. D’ici j’entends les premiers échos de la manif’.

Un-lo-ge-ment-pour-tous !

 Entièrement d’accord. Non mais de quel droit interdit-on à des êtres humains de se loger ? Moi j’ai le cœur à gauche. En 68, j’étais sur les barricades et chaque élection est l’occasion pour moi de faire barrage à la droite.

 Un beau rassemblement. Des gens de tous horizons et de toutes les couleurs, comme je les aime. La voilà la belle diversité à la française. Allez-y les gars, un logement pour tous ! Mais oui, il y en a de la place dans nos campagnes pour des milliers de logements sociaux. D’autant qu’avec les jachères, de grandes surfaces sont disponibles. Et cela donnera du travail aux sans emploi.

 Car le voilà le problème, la cause de tous les maux : le chômage. Inactivité, désespérance. Du grain à moudre pour l’extrême droite. J’ai une sainte horreur de ces gens-là. Ils sont la honte de la nation. Ils s’en prennent à ceux qui ne leur ressemblent pas : gens de couleur, gens d’ailleurs… Ils disent qu’on n’a plus l’impression d’être en France, qu’il y a des prières dans les rues, que des femmes sans visage font peur aux enfants, que des cantines ne servent plus de jambon, mais où vont-ils chercher tout ça ? Je regarde autour de moi, j’observe que la France est restée égale à elle-même, calme, sereine, tricolore. Ils disent que la proportion des gens issus de l’immigration est telle dans les écoles que le niveau scolaire baisse, que la délinquance et les trafics en tout genre se développent, que les enseignants sont dépassés, découragés.

 Propagande, je vous dis, propagande ! Mes enfants n’ont aucun problème à l’école, il y a bien un ou deux garnements pour irriter le professeur de grec ancien, le fils de l’ambassadeur des émirats n’a pas rendu sa punition dans les délais et la fille du sénateur n’a pas éteint son téléphone portable. Vais-je pour autant hurler à une menace contre les lois de la république ?

Un lo-ge-ment-pour-tous !

A-bas-les-dis-cri-mi-na-tions !

La-Franc’-c’est-black-blanc-beur !

 Oui, parfaitement d’accord, le voilà bien le pays des droits de l’homme, la France qui ouvre ses portes, lieu de tous les échanges, de tous les mélanges, de toutes les cultures !

 Tiens mais c’est Marie-Ange là-bas sous la banderole… Hello, ma fille !

 - Papa, je te présente Ali, il est sans papiers, il vient direct du Mali. Les fillettes qu’il tient par la main sont ses petites sœurs. Ses frères sont derrière en compagnie de la dame en noir qui porte un bébé sur son dos. Les cousins sont un peu éparpillés dans la manif’. Pourront-ils s’installer chez nous provisoirement, en attendant de régulariser ?

 Tapage, bousculade, slogans hurlés par hauts parleurs ne nous permettent pas de connaître la suite de l’histoire. Cet homme qui prêche accueil et tolérance n’a pas la chance de vivre dans le neuf trois. Ah ! Si toutes les personnes qui ont le cœur à gauche pouvaient partager l’art de vivre au pied des tours dans les cités !

 Ce que je viens d’écrire est absurde. Car si ces gens vivaient dans les tours des cités, ils n’auraient pas le recul nécessaire pour juger objectivement de la situation. C’est pourquoi il est logique que les militants du « Vivre ensemble » considèrent la vie réelle en l’observant de loin.


§

06/10/2011

L'humanisme des beaux quartiers

 

 

 « "Le coeur du problème de Clichy-Montfermeil est l'emploi", résument les chercheurs, avant de mentionner le problème de l'enclavement de l'agglomération et le décalage entre les compétences requises par les entreprises qui s'installent en Seine-Saint-Denis et la formation des jeunes de Clichy-Montfermeil. »  Orange actualités 03 octobre 

 Je lis et relis cette phrase, et je me demande si c’est le rôle des entreprises de se mettre à la portée de jeunes sans formation, ou si c’est aux jeunes de faire l’effort d’acquérir une formation professionnelle. Je penche pour la deuxième option. A force d’assister les gens, on ricane quand on entend le mot « effort ». Oui, il faut que les jeunes et leurs parents comprennent que si l’état fait un pas dans leur direction, ils doivent aussi faire preuve de leur volonté et de leurs capacités. Sinon où va-t-on ? Vers une démission collective parents, enseignants, état. L’état qui –d’après la même étude- a déboursé 600 millions d’euros pour la rénovation urbaine de la zone étudiée : Clichy-sous-bois ! 

 Les auteurs de l’étude mettent en rapport le chômage de ces jeunes et l’intensification de l’identité musulmane dans ces quartiers. Ces enfants en viennent à rejeter radicalement « la France et les valeurs qui lui sont prêtées ». Vieille équation toujours à la mode : chômage = délinquance = rejet des lois de la république. Formule pratique cultivée à outrance par ceux pour qui personne n’est responsable, sauf le système, la société, le pouvoir. On pique votre portefeuille, c’est la faute de la société. Il n’y a plus de délinquants, il n’y a que des jeunes en mal d’être. Quelle éducation, mes amis !

  Les enfants des gens qui parlent ainsi ne connaissent pas ces problèmes. Dans leurs beaux quartiers, ils fréquentent les écoles bien, privées ou publiques, ils ont un papa et une maman qui leur paieront de longues études et un studio à proximité, loin du bruit et de la fureur. 

  Moi, l’école ce dont à laquelle vous parlez, elle ne m’interpelle pas, Père m’a inscrit en bas de chez moi boulevard Exelmans à Sainte Mère de tous les Saints. Pour le soutien en grec et en latin, cela se passe en notre demeure balnéaire de Deauville le samedi après-midi. Je vous entends parler de cancres et délinquants, ma parole vos enfants fréquentent l’école du diable ! Allons, mes amis, ces enfants après tout sont nos frères, ne sombrez pas dans l’intolérance, et ces parents dont vous parlez, qui démissionnent, pensez qu’eux-mêmes n’ont pas vécu l’enfance qu’ils auraient méritée, pardonnez-leur ce laisser aller, ils ne savent pas ce qu’ils font. Bon, je vous quitte, j’aperçois devant la grille du parc mon maître d’équitation qui s’impatiente. A bientôt !  

 

§

25/03/2011

Papa, je te présente Ali, il est sans papiers

 Je me promène dans le sixième arrondissement. C’est mon quartier. Le latin. Il fait un peu frais ce matin, j’ai mis l’écharpe rouge, du plus bel effet sur mon manteau noir, et mon chapeau, à la Louis Aragon. De la poulaille partout dans les rues. La droite a mobilisé sa police contre les sans abri. La situation de ces pauvres est insupportable. D’ici j’entends les premiers échos de la manif’.  

Un-lo-ge-ment-pour-tous ! 

 Entièrement d’accord. Non mais de quel droit interdit-on à des êtres humains de se loger ? Qu’ils nous entendent, ces bourgeois bien au chaud dans leurs dix pièces des quartiers huppés ! D’accord j’en fais partie, mais moi j’ai le cœur à gauche. En 68, j’étais sur les barricades et chaque élection est l’occasion pour moi de faire barrage à la droite.  

 Un beau rassemblement. Des gens de tous horizons et de toutes les couleurs, comme je les aime. La voilà la belle diversité à la française. Allez-y les gars, un logement pour tous ! Mais oui, il y en a de la place dans nos campagnes, là-bas en province, pour des milliers de logements sociaux. D’autant qu’avec les jachères, de grandes surfaces sont disponibles. Et cela donnera du travail aux sans emploi. 

 Car le voilà le problème, la cause de tous les maux : le chômage. Inactivité, désespérance. Du grain à moudre pour l’extrême droite. J’ai une sainte horreur de ces gens-là. Ils sont la honte de la nation. Ils s’en prennent à ceux qui ne leur ressemblent pas : gens de couleur, musulmans… Ils disent qu’on n’a plus l’impression d’être en France, qu’il y a des prières dans les rues, que des femmes sans visage font peur aux enfants, que des cantines ne servent plus de jambon, mais où vont-ils chercher tout ça ? Je regarde autour de moi, j’observe que la France est restée égale à elle-même, calme, sereine, tricolore. Ils disent que la proportion des gens issus de l’immigration est telle dans les écoles, que le niveau scolaire baisse, que la délinquance et les trafics en tout genre se développent, que les enseignants sont dépassés, découragés. 

 Propagande, je vous dis, propagande ! Mes enfants n’ont aucun problème à l’école, il y a bien un ou deux garnements pour irriter le professeur de grec ancien, le fils de l’ambassadeur des émirats n’a pas rendu sa punition dans les délais et la fille du sénateur n’a pas éteint son téléphone portable. Vais-je pour autant hurler à une menace contre les lois de la république ?  

Un lo-ge-ment-pour-tous !

A-bas-les-dis-cri-mi-na-tions !

La-Franc’-c’est-black-blanc-beur !  

 Oui, parfaitement d’accord, le voilà bien le pays des droits de l’homme, la France qui ouvre ses portes, lieu de tous les échanges, de tous les mélanges, de toutes les cultures ! 

 Tiens mais c’est Marie-Ange là-bas sous la banderole… Hello, ma fille ! 

 Papa, je te présente Ali, il est sans papiers, il vient direct du Mali. Les fillettes qu’il tient par la main sont ses petites sœurs. Ses frères sont derrière en compagnie de la dame en noir qui porte un bébé sur son dos. Les cousins sont un peu éparpillés dans la manif’. Ils pourront s’installer chez nous provisoirement, en attendant de régulariser tout ça ?

  Tapage, bousculade, slogans hurlés par hauts parleurs ne nous ont pas permis de connaître la suite de l’histoire. Cet homme qui prêche accueil et tolérance n’a pas la chance de vivre dans le neuf trois. Il dispose d’un sept pièces quai des Grands Augustins en bord de Seine avec vue sur le Pont-neuf, d’une villa à Deauville et d’un yacht à Monaco. Ah ! Si toutes les grandes fortunes qui ont le cœur à gauche pouvaient partager l’art de vivre au pied des tours dans les cités !  

 Ce que je viens d’écrire est absurde. Car si ces gens vivaient dans les tours des cités, ils n’auraient pas le recul nécessaire pour juger objectivement de la situation. C’est pourquoi il est conforme à la logique que les politiciens observent la vie réelle en l’observant de loin, les yeux collés à des lunettes d’approche.