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18/01/2024

Le roi du silence

 

 Lors de sa conférence de presse, le président a dit une vérité : qu’il était plus facile d’être dans l’opposition que de gouverner. Dont acte. A part cela, quand l’opposition déclare qu’il ne fait que parler, elle n’a pas tout à fait raison. Sur certains sujets, il est le roi du silence ! A aucun moment il n’a évoqué la mort du jeune Thomas. A écouter le président, Thomas n’a pas existé. Ses agresseurs non plus. Cette dame, maire de Romans-sur-Isère, qui vit dans le monde réel, n’existe pas non plus. Les milliers de délinquants qui rendent la vie impossible aux policiers, aux pompiers, aux enseignants et aux habitants des quartiers n’existent pas non plus. Les otages des terroristes existent peu, même quand ils sont français.

Pour notre président, une chose existe, une seule : l’extrême droite. Heureusement qu’elle est là, bien vivante, car sinon les paroles du président de la république n’auraient plus ni contenu, ni sens. Celles de la gauche non plus d’ailleurs. Cela nous rappelle cette saillie de Coluche, qu’on critique beaucoup Hitler, mais que De Gaulle lui doit tout.

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10:59 Publié dans Colère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : thomas

04/05/2023

Casseurs

 

 

 Mépris pour les symboles et les valeurs de la république, haine de la police et des institutions, goût prononcé pour la violence, aptitude particulière à se cacher et se fondre dans la foule, voilà les révolutionnaires des temps nouveaux.

 

 Il fut un temps où le socialisme à l’est faisait tourner à plein régime l’idée révolutionnaire. Le goulag et la faillite du communisme ont tout remis en cause. En manque d’un idéal crédible et mobilisateur à proposer, l’extrême gauche est en errance. Il y a le dépit, même la rage, d’avoir perdu la guerre contre le Grand Satan, mais aussi ces casseroles que les révolutionnaires encore actifs traînent derrière eux. Après le goulag, aller convaincre les peuples que le socialisme peut être encore aujourd’hui une perspective pour l’humanité ? La violence des manifestations avec la présence quasi permanentes de casseurs, peut s’expliquer par ce trou béant laissé dans la mémoire collective. A court d’arguments les esprits s’échauffent, c’est humain. Quand il n’y a plus rien à croire, c’est désespérant.

 

« …mais que feriez-vous donc sans « ennemis » ? Mais vous ne pourriez plus vivre, sans « ennemis » ; la haine qui n’a rien à envier à la haine raciale, voilà l’atmosphère stérile que vous respirez… » (1)

 

 A ces fous de tout, il faudra qu’un artiste érige une statue. Fière, puissante, la République se dresse. Elle est magnifique. Elle prend quelque repos, s'appuie sur la tête d'un homme qui chancelle. Les deux trous de sa cagoule ne sont plus en face des yeux. Une boule de pétanque tombe de sa main (2). Sur le marbre de son dos, un espace laissé libre par le sculpteur permettra au passant amusé de faire des petits dessins, croix gammées, faucilles, marteaux et sur le socle on lira, gravé dans la pierre : « Ære perennius exegi monumentum » (3).

 

 

(1) Soljénitsyne, lettre au secrétariat de l’Union, le 12 novembre 1969

(2) La boule de pétanque comme arme par destination remplace « avantageusement » le pavé car elle épargne au casseur le laborieux dépavage des rues.

(3) « J'ai érigé un monument plus durable que l'airain. » 

06/02/2023

L'interview (extrait du livre "Là-bas, tout près")

- Rassurez-vous madame, loin de moi l’idée de revenir sur les événements tragiques d’hier. Vous avez dû être déjà questionnée sur ce qui s’est passé ici...

- Voilà quinze ans que je suis en retraite, seule. J’ai travaillé quarante ans dans la métallurgie, avant la fermeture de l’usine où j’avais pendant vingt ans pratiqué la soudure. Ma retraite est modeste, mais ajoutée à la demi-pension de mon mari, ça me suffit pour vivre. Roger m’a quittée il y a dix ans suite à une longue maladie. Je n’ai plus que mon fils et il est très occupé par ses activités, il voyage beaucoup. Pour moi ici, la vie est difficile. Si j’ouvre la fenêtre, c’est pour aérer l’appartement. Pas pour regarder. Car dehors, rien n’est beau à voir. Entre les détritus éparpillés qu’il faut ramasser chaque jour en compagnie d’autres locataires, des groupes discutent. Des jeunes. Pourtant on est mardi, il est 9 heures. De temps à autre, une voiture de police passe au ralenti, puis disparaît. Oui, hier deux bandes se sont affrontées. Des blessés, l’un d’eux dans le coma. Trafic en tous genres, drogue. Au pied de l’immeuble à côté, ils s’installent dans le hall, table et chaises, les clients arrivent, transactions. La pègre a pris possession des lieux.

- Avez-vous entendu le témoignage ce matin?

- A la télé?

- A sept heures, une dame a dit: “Si je parle on brûle ma voiture.

- On se demande si la république existe encore. Sur place, les gens normaux se taisent, l’omerta est la règle. Le maire a parlé : « C’est un problème social… »  On a droit au discours sur le chômage, le mal-être, la banlieue défavorisée, l’absence de police de proximité, la prévention, tout le monde est gentil, c’est la faute de la société… Bref, la France devrait s’accommoder du mélange entre les gens honnêtes et les délinquants. Il ne le dit pas comme ça, mais le résultat est que la ménagère qui rentre chez elle doit dire trois fois pardon, baisser les yeux et s’excuser d’exister.

- C’est difficile pour le maire de dire autre chose! Que peut-il faire si les gens ont peur de parler?

- Le problème, ce n’est pas le silence des habitants du quartier. C’est la loi du silence au niveau national. Les dégradations dans les transports, dans les services publics, les incivilités, l’absentéisme scolaire, le vol d’un portefeuille, le viol en réunion, l’agression d’un professeur... La société serait responsable de tous ces maux? Je ne peux plus entendre ce discours-là. Mais enfin, pourquoi chercher toujours hors de nous-mêmes l’origine et même la cause de tout ? Certes la société pourrait être plus juste, mais pour moi, la responsabilité est toujours individuelle. Il faut dire et répéter aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils ont bien de la chance de vivre dans un monde où la société n’est responsable de rien, où notre destin pèse sur nos propres épaules. Car nous sommes libres. Libres de tout, de nos mouvements, de nos pensées, de faire du bien, de faire du mal, de risquer notre vie en allant chercher un enfant emporté par la crue, de piller la maison abandonnée d’une famille fuyant l’inondation. Comme nos parents étaient libres de résister, libres de dénoncer. Libres au point de respecter les idées et les croyances d’un autre, libres d’imposer notre propre vision du monde. Libres d’aimer, libres de haïr, libres de sauver, libres de tuer. C’est toute la difficulté de notre condition. Nous pouvons choisir, à tout moment, tout le temps, entre le bien et le mal. Une puissance démesurée, sans limite, effrayante, exaltante. C’est ce que j’aurais voulu transmettre à Maxime, notre fils. Il est dans la politique, à Paris. Il me dit que je vois tout en noir, que j’accorde trop d’importance à ce que je vois de ma fenêtre, que je devrais déménager, plus loin, dans un quartier plus calme, et que je verrais les choses autrement.

- Vous n’envisagez pas de partir ?

- Partir ? Non. Ce serait fuir. L’idée est insupportable. Et puis, cet appartement, c’est trente ans de vie avec Roger, tout ce qui me reste de lui. Comme moi, il n’avait pas fait de longues études, mais à l’époque le certificat d’études vous donnait déjà un bagage pour la vie. Pas seulement en calcul et en orthographe. On nous aidait aussi à bien penser, à distinguer le mal du bien, à nous comporter correctement, à respecter les anciens, nos parents, nos maîtres et nos maîtresses. Pour ceux qui restent prisonniers de l’idée que les rails de la misère mènent nécessairement à la délinquance, il serait bon de méditer ce que l’instituteur nous disait à la petite école, qu’on pouvait être pauvre et digne, et que nous devions toujours répondre de nos actes.

- Comme beaucoup, vous pensez que c’était mieux avant?

- Oh que non! Vu ce que nos parents ont vécu, quand je dis “nos parents” je parle de ceux qui avaient un minimum de dignité. Il s’est passé des choses terribles, beaucoup plus que ce que nous vivons aujourd’hui. Mais il y avait quelque chose que nous n’avons plus maintenant: l’espoir. Je me rappelle maman qui m’emmenait au spectacle des Chœurs de l’armée rouge: ils chantaient “Un bouleau s’élève dans un champ”. Pour nous cet arbre était le symbole de quelque chose de nouveau, une grande chose en construction, qui allait tout changer…Comme c’était beau!

- Et votre père?

- Il m’apprenait les paroles de l’Internationale. Je ne savais pas ce que voulait dire “les damnés”. Il me disait que c’étaient les prolétaires, les gens qui gagnent leur pain en travaillant. Que le travail pouvait être la plus belle chose du monde. Non seulement parce qu’il rapportait les sous, mais parce qu’il était utile, les maçons construisaient des maisons, les paysans cultivaient et récoltaient, les infirmières soignaient, les ouvriers fabriquaient toutes les choses nécessaires à la vie quotidienne, et ainsi de suite. Mon père ne comprenait pas qu’on reste à ne rien faire. A l’époque tout le monde s’occupait. La paresse était l’exception. On la montrait du doigt. Le travail était une vertu, comme le courage et la volonté. A neuf heures du matin, il n’y avait plus personne dans les rues. Et ceux qui traînaient encore, on les suivait, l’œil mauvais, car l’humanité n’était pas pour autant meilleure qu’aujourd’hui.

- Ah!

- Pour ça non. Nous n’étions pas des anges. Et nous ne le serons jamais. Pour revenir à mon père, être oisif, c’était seulement bon pour le bourgeois. Ma maîtresse ne parlait pas des bourgeois, mais elle disait qu’il fallait s’appliquer à l’école pour faire quelque chose de sa vie plus tard, que c’était dur parfois de faire des efforts, mais qu’après on en serait récompensé. Pendant mon adolescence, et même avant, j’ai vécu dans l’idée que le travail était quelque chose de bien et que de toute façon il était inévitable. Quand un maître demandait une contribution avant d’organiser une visite dans un musée, jamais je ne levais la main pour dire que je ne participerais pas. Grâce au revenu du travail de mes parents, au cours de ma scolarité, j’ai participé à toutes les sorties dans les musées, les châteaux, ou au théâtre.

- Vous gardez un bon souvenir de l’école?

- Oui. Et je réussissais assez bien. Ces grands livres derrière la vitrine, ce sont mes prix, Quand je n’avais pas le prix d’honneur, c’était celui d’excellence. Mes parents étaient fiers de moi. J’aurais peut-être pu continuer…

- ...mais vous êtes allée en apprentissage…

- Finalement ça me plaisait bien, et puis il y avait la promesse d’une embauche, d’un salaire.

- Vous êtes restée fidèle à la tradition familiale, à la classe ouvrière…

- A l’époque, oui. Mais ici aujourd’hui, elle n’est plus ce qu’elle était.

- Elle existe encore?

- Elle est partie sous d’autres cieux, d’autres continents. Là où, comme aux siècles derniers en France, même les enfants travaillent dans des conditions très dures. L’ouvrier français sans emploi, la petite solidarité des associations peut lui venir en aide, il aura de quoi se nourrir, un toit ce n’est pas sûr, et ses enfants, l’avenir de ses enfants ? On tire un trait sur le savoir-faire, l’inventivité, la créativité, l’intelligence. Il faut être bien sot pour croire que l’ouvrier travaille avec ses mains. Si le travail n’était que manuel, les tâches les plus difficiles pourraient être l’œuvre de robots. Nous sommes tous des êtres pensants, sauf peut-être ici ou là quelques prétentieux des beaux quartiers à qui l’école n’a pas livré ce qui leur était dû.

- C’est vrai qu’il y a du chômage et de la misère, comme jamais peut-être. Mais aussi plus de solidarité. Le Secours populaire, les Restos du coeur...

- Oui, aujourd’hui, le maître mot est solidarité. A se demander pourquoi tant de malheureux à la rue font encore l’aumône. On distribue sans distinction à ceux qui se font connaître. Non seulement trouver du travail est un exploit, mais on encourage les gens à ne pas travailler. On cultive l’oisiveté. La liste des allocations versées aux inactifs est vertigineuse. Il faut vraiment être naïf… ou animé d’un courage héroïque pour travailler à deux heures de chez soi comme vigile, technicien de surface ou manutentionnaire en CDD pour un salaire de misère, quand le gros plouc d’à côté pose dix heures par jour ses cent kilos devant des jeux vidéo en attendant ses assedics, ses allocations familiales, quand ses enfants bénéficient gratuitement de la cantine scolaire et des vacances en colonie offertes par la municipalité. Nora, sa femme, quitte son domicile à sept heures du matin, prépare, habille les enfants, les mène à la crèche, court à la gare puis dans la cohue des transports, après une heure ou plus de suffocation, se rend sur son lieu de travail, un bureau dont elle fait briller les surfaces.

- Vous êtes en colère!

- Pas seulement contre ce pauvre individu. Mais parce que rien ne change. Ceux qui travaillent sont encore aujourd’hui la dernière roue du carrosse. Et les profiteurs ne sont pas seulement les capitalistes. Je la connais Nora, on échange dans l’escalier des coups d’oeil complices. Comment est-ce encore possible qu’une femme, jusqu’au cœur de son foyer soit à ce point exploitée?

(...)