01/01/2020
Une belle histoire pour commencer l'année
Clinique de rééducation fonctionnelle et balnéothérapie. Repas de midi. D’un bout de la salle à l’autre il interpelle ses copains. Suivent de grosses blagues oiseuses, certaines à la limite du supportable, surtout pour les patients qui souhaitaient se restaurer dans le calme. Les maux dont souffrent les gens sont graves, handicapants, la rééducation est laborieuse, douloureuse et pire : souvent sans l’espoir de reprendre un jour une vie normale, pouvoir se déplacer sur deux jambes, se nourrir sans l’aide de personne, bref pour beaucoup ici, manger tranquille n’est pas un luxe. Par son attitude, il mobilise une ou deux serveuses, et se mettant à table, donne à haute voix son avis sur tout et sur rien. Les conversations entamées s’interrompent, certains qui savent au mot près ce qu’il va dire baissent la tête et se concentrent sur leurs assiettes, d’autres, nouveaux, s’étonnent de rencontrer en ce lieu un homme aussi facétieux et vont même jusqu’à esquisser des sourires complices ou compatissants.
Il m’intrigue. A mieux observer, je me rends compte qu’il fait partie d’un groupe de joyeux lurons dont il est devenu le souffre douleur. Deux ou trois de ces hommes ne ratent pas une occasion de le mettre en boîte et même de le ridiculiser en public. Et lui, au lieu de prendre ses distances, persiste à s’installer à leur table, pas trop loin, comme s’il ne pouvait se détacher de ces individus moqueurs et méchants.
Je veux en savoir plus sur lui, je sais où aller, au coin « fumeurs » à l’entrée de l’établissement. Etonné de l’entendre parler calmement, j’apprends que l’amputation de sa jambe a été le dernier recours de la médecine après les dégâts causés par une vie dissolue, sous l’emprise du tabac et de l’alcool. J’apprends aussi, car il semble s’habituer à ma compagnie, qu’il a fait sept ans de prison en plusieurs fois, mais l’information s’arrête là, je ne suis pas allé plus loin dans les questions.
Je ne connais pas son nom mais ici on l’appelle Claudio. Contrairement à d’autres qui se foutent de tout et des soins qui doivent pourtant leur être prodigués, un ou deux se rendent même en ville le soir et se saoulent à la bière, on les entend aussi parler de l’incompétence des kinés…bref! Ce n'est pas son cas. Il semble suivre sérieusement son traitement même si les commentaires qu’il en fait entre deux cigarettes ne sont pas toujours raisonnables.
Voilà.
Et puis un jour, un des habitués du coin fumeurs prévient qu’il va mieux et qu’il part le lendemain. Retraité de l’enseignement et animateur d’un théâtre ouvert à tous et à ses anciens élèves, c’est une personne dont la compagnie est toujours agréable, toujours prête à prendre les choses du bon côté, à rire de tout. Son départ est une perte pour nous tous.
Claudio me prend à part, il me dit qu’il prépare une surprise. Au repas du soir, discrètement (mais c’était donc possible qu’il fût un jour discret !) il me montre une jolie carte postale. Au verso, quelques mots de lui, très gentils, adressés à celui qui nous quitte. Certes, une quantité effroyable de fautes d’orthographe, mais quelle importance quand on sait lire et que sur les lignes, entre les lignes et partout sur cet espace de quelques centimètres carrés c’est l’humanité tout entière qui parle, avec sa force et ses faiblesses, son sourire et sa peine.
Au bas de la carte, il y a les signatures des copains.
Et ce nom que je n'oublierai pas: Claudio.
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17:06 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : clinique, rééducation, humanité