25/05/2011
Un socialiste face à une femme de couleur. Insoluble ?
Et toi, qu’aurais-tu dit Jean-Bernard ? Tu aurais commencé par « Moi je », « Moi je pense », ou peut-être seulement « Moi je crois », mais c’est moins sûr. Et là, avant même que l’interlocuteur eût le temps de prononcer un mot, incroyable, oui c’est incroyable : JB contredisait. JB était le seul être au monde à contredire ce qui n’était pas dit ! Il devinait le bougre, il lisait dans les pensées, et ce qui est plus grave surtout dans les miennes. Et comme de mon côté j’avais ma petite fierté, au mépris de mes convictions –après tout quelle importance, les jugements définitifs sont toujours discutables et de peu d’intérêt, et je battais des records moi aussi dans ce domaine- au mépris donc de mes convictions, je m’amusais à le prendre au piège. Comment ? En me préparant à affirmer le contraire de ce que je pensais réellement. Pauvre JB, il avait beau sortir ses deux cavaliers et dégager ses tours, ma dame trônait en D4, en majesté. Et plus il parlait, plus j’acquiesçais. Non mais quand même, je pouvais bien prendre une petite revanche, il m’énervait avec ses idées toutes faites. Et peu à peu, j’enfonçais le clou. J’abondais tellement dans son sens, que la conversation perdait son intérêt. C’étaient d’abord de maigres nuées d’altitude, puis insensiblement le ciel s’obscurcissait.
De sombres nuages lourds pesaient sur nos âmes.
Et quand les premières gouttes nous tombaient sur le crâne,
il fallait rentrer, c’est à ce moment que JB capitulait. Il commençait par « En fait nous ne savons rien ». Le moi disparaissait, laissant place au questionnement. Sans vraiment le savoir, nous pratiquions la maïeutique. La différence avec Socrate, c’est que l’accouchement avait rarement lieu, les idées étaient mortes nées.
J’exagère. Jean-Bernard avait souvent raison.
Mais alors, qu’aurait-il dit ? D’abord il nous aurait fait rire, en marmonnant qu’il fallût que la justice suive son cours. Oui, rire, car JB et Politiquement correct ne s’entendaient guère, c’étaient des querelles continuelles. Etonnant d’ailleurs, car JB extérieurement était toujours bien mis, il votait pour la gauche modérée, aimait l’ordre et les affaires bien réglées. Comme quoi on peut être respectueux de valeurs morales et maintenir son esprit en éveil. Les maigres souvenirs qui me reviennent des leçons littéraires de terminale, m’inviteraient à éloigner JB de Sénèque et à le rapprocher de Kant. On dit que ce dernier se rendit tous les jours de sa vie à l’université en empruntant le même chemin à la même heure, sauf une fois. Le 15 juillet 89, en apprenant la nouvelle. Herr Kant, ce révolutionnaire. Je pense souvent à lui, et depuis longtemps, disons, en gros, 1968. Je l’imagine à Königsberg, digne, sérieux, s’adressant à ses étudiants dans un allemand impeccable, leur indiquant les chemins de la Raison, gravissant avec eux la longue pente rocailleuse et glissante qui mène aux droits humains. Alors quand je vois ces saintes nitouches défroquées enfilant à la va vite fringues dépenaillées et casquette à l’envers pour faire peuple, ressasser à longueur de temps qu’il est interdit d’interdire… pauvres hères !
Pour en revenir à Jean-Bernard, qu’aurait-il dit ? Lui qui adorait les sujets à problème, ma main à couper qu’il aurait été coincé. Pensez donc. Un socialiste face à une femme de couleur. Insoluble. Insoluble pour un de gauche. Remarquez, même pour un de droite. Alors imaginez la difficulté pour un d’extrême droite adepte du tri sélectif. JB aurait longtemps tergiversé. Encore une fois il aurait eu raison. Il aurait dit… je ne sais pas ce qu’il aurait dit. Ce serait tellement présomptueux de ma part de parler en son nom. Oui, il aurait eu bien raison, d’attendre. Car c’est sûr, des problèmes vont surgir.
09:44 Publié dans Jean-Bernard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : socialisme, gauche, femme, jean-bernard