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26/04/2009

Prétextes

 

 

« Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien..." 

 

Je sais qui a tenu ces propos, là n’est pas la question, ils sont à la portée de tous sur les écrans, ils peuvent faire la joie des imbéciles, ils doivent indigner les autres. En tous cas, ils font réfléchir. Car la question a été mise à l’ordre du jour il y a mille ans et plus, bien avant le déclenchement du conflit au Proche-Orient.

 

 En gros et pour faire court : tous les prétextes (1) sont bons pour faire du juif le responsable de tous les malheurs du monde. Accusé de tout et de son contraire : propagateur de la peste noire (2), usurier, détenteur du capital, apôtre du communisme, responsable du chômage, dissimulateur, errant, il est nulle part et partout, cosmopolite, comploteur (3), il porte un nom bizarre en tous cas pas de chez nous. C’est en Allemagne dans les années trente qu’il fut le plus représenté. Je veux dire en images, avec un nez crochu, des griffes au bout des doigts qui enserraient le monde. C’étaient des caricatures bien sûr, qui curieusement, à l’époque n’ont pas indigné grand monde. Le personnage a rendu bien des services à plein de gens : aux dirigeants et actionnaires des groupes industriels, surtout ceux qui produisaient le matériel de guerre,  producteurs aussi de fil de fer barbelé et de produits chimiques, aux politiciens d’alors qui s’appelaient « nationaux-socialistes » et qui avaient à cœur de rendre leur patrie aux âmes bien nées, aux gens du terroir, aux gens du cru (4). Bref, si le juif n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. C’est d’ailleurs ce qui a été fait : des millions de gens, d’enfants surtout, ont appris qu’ils étaient juifs. Des gens qui n’avaient jamais posé le pied dans une synagogue apprenaient qu’ils étaient juifs. Des gens qui ne savaient pas ce que c’était apprenaient qu’ils l’étaient. Les autorités d’alors se montrèrent sur ce sujet extrêmement minutieuses, jusqu’à effectuer des recherches généalogiques compliquées. Quand je dis « les autorités », j’entends des deux côtés du Rhin. Voyez, on critique toujours la nonchalance des Français en montrant l’exemple allemand, sa rigueur, son goût pour l’ordre et les choses bien faites, eh bien le « Made in France » existe aussi, du moins il existait dans les années quarante.

 

 Mais revenons à l’Allemagne : j’éprouve le plus grand respect pour les survivants du génocide et les parents des victimes du nazisme qui n’éprouvent aucun ressentiment vis-à-vis de l’Allemagne et de ses ressortissants. Ces gens ont su, malgré leur souffrance, ne pas confondre des criminels –même s’ils étaient des millions- avec un peuple tout entier, ils ont su ne pas joindre leur voix à ces exhortations xénophobes du style « à chacun son boche » proférées bien souvent par des résistants de la dernière heure. Ces hommes qui ont froidement planifié la mort de six millions de personnes, qui ont brûlé des villages, répandu la mort sur un continent, ces hommes n’étaient pas LES Allemands. Et s’il n’y avait eu dans ce pays qu’un innocent, on ne pourrait encore pas dire LES Allemands. En fait, il y en eut plus d’un, et des résistants, de grands résistants. Buchenwald a vu torturer et mourir un militant, dirigeant du parti communiste allemand, spécialiste en électronique, et qui a collaboré à la construction des engins V2, mettant au point un système qui les rendait inefficace et les détournait de leur objectif : Londres. C’est lui aussi qui fit parvenir aux Alliés le plan de situation de l’usine d’armement sise à proximité du camp de Buchenwald, et qui permit son bombardement. Il s’appelait Albert Kuntz. Ce même camp, comme celui de Dachau, avait été construit depuis le début des années trente par des esclaves allemands, des opposants au régime nazi, des sociaux-démocrates, des communistes, des démocrates, des syndicalistes.

 Juger les Allemands ? Les peuples ne sont responsables de rien. La responsabilité est toujours individuelle, parce que les hommes sont faits ainsi : ils sont libres. Libres de dire oui, de dire non, et cela n’a rien à voir avec leurs gênes, leur origine, ni les ancêtres de leurs ancêtres.

 

J’ai donc lu cette phrase :

 

« Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien... » 

 

Imaginons le pire. Un Israël super-puissant, sur-armé, à la conquête d’un espace vital sans limites. Une guerre éclair préparée de longue date, des centaines de milliers de chars de Tsahal sur-équipée roulent sur l’Orient. Liban, Syrie, Jordanie, Irak, Iran sont laminés. L’Egypte se rend. En véritables renards du désert, les stratèges israéliens traversent la Libye, et ne rencontrent que peu de résistance sur la longue route du Maghreb dont les gouvernements sont en exil. Cap sur l’Europe : bombardements intensifs des sites stratégiques, l’aviation israélienne est maîtresse du ciel. Les troupes suivent. Petite résistance en Italie au Mont Cassino vite neutralisée. Pour éviter les Alpes (les Français plus malins que les autres ont bouché les tunnels de Fréjus et du Mont Blanc), Tsahal prépare un débarquement gigantesque sur les plages du Midi. Le Haut-commandement français n’est pas pris au dépourvu : des obstacles de toutes sortes sont disposés sur le sable : tétraèdres anti-chars, pieux sur lesquels sont disposées des mines –dits pieux Alliot-Marie- et sur la corniche, des batteries et canons à longue portée. C’est sans compter sur la puissance de feu des destroyers israéliens. En quelques heures, la mer Méditerranée est noire de navires, sans compter les sous-marins. Les défenses françaises sont dépassées. Par milliers, les barges d’attaque déchargent des milliers de soldats, des half-tracks, des chars d’assaut, des canons et tout un matériel nécessaire à l’occupation d’un pays, que dis-je d’un continent ! En quelques jours, la France est sous la botte. Un exode massif vers le nord s’avère bien vite inutile. Tsahal est plus rapide, et ses avions n’hésitent pas à mitrailler ces colonnes de pauvres gens qui ont tout laissé et s’épuisent sur les routes. Et ce qui devait arriver arrive. Un beau matin, les parisiens ébahis sont réveillés par des bruits de chenilles métalliques puis le choc de bottes sur le pavé : les loups sont entrés dans Paris et l’étoile de David flotte sur la Tour Eiffel.

 

 Si ce cauchemar devenait réalité, si l’armée israélienne se rendait maîtresse de la France, de l’Europe et du monde -vous avouerez que c’est quand même autre chose qu’une offensive sur la bande de Gaza- aurait-on le droit de souhaiter –comme on a pu l’entendre dans les rues de Paris il y a quelques mois- la destruction de l’état d’Israël ? 

 

 La folie meurtrière d’un gouvernement nous autoriserait-elle à maudire un peuple ?

 

 Vouloir que chaque israélien vive dans la peur ? Y aurait-il un cas pour lequel la haine d’un innocent deviendrait légitime ?

 

 Je doute que celui qui haït à ce point un peuple puisse en aimer un autre, fut-il Palestinien.

 

 Quand à vouloir que chaque juif vive dans la peur, celui qui a dit cela ne le pensait pas, si c’est un homme.

 

§

 

 

 

(1) fausses raisons mises en avant ;

 

(2) Léon Poliakov cite Boccace : « Privés des secours du médecin, sans l’aide d’aucun domestique, les pauvres et malheureux cultivateurs périssaient avec leurs familles le jour, la nuit, dans leurs fermes, dans leurs chaumières isolées, dans les chemins et jusque dans leurs champs… » 

 De 1347 à 1350 la peste noire faucha plus d’un tiers de la population de l’Europe.

 Les esprits s’interrogeaient, pourquoi ce fléau ?

« Il s’agissait soit d’un châtiment divin, soit des maléfices de Satan, soit de l’un et des autres à la fois, Dieu ayant donné licence entière à son antagoniste pour châtier la Chrétienté. Satan, dans ces conditions, opérait suivant son habitude à l’aide d’agents qui polluaient les eaux et empoisonnaient les airs, et où pouvait-il les recruter sinon au sein de la lie de l’humanité, parmi les miséreux de toute espèce, les lépreux –et surtout parmi les juifs, peuple de Dieu et peuple du Diable à la fois ? Les voici promus, à grand échelle, à leur rôle de boucs émissaires… » (Poliakov)

 S’ensuivirent expulsions, pillages, massacres, à tel point écrit l’auteur, que dans certaines villes où les juifs étaient rares ou absents, « des chrétiens qu’on supposait d’origine juive furent, semble-t-il, massacrés à leur place. »

 

(Léon Poliakov .-Histoire de l’antisémitisme, tome 1, L’âge de la foi, éd. Calmann-Lévy, 1981, pp. 290-294 de la coll. Pluriel)

 

(3) le thème du « complot juif mondial » n’en est pas resté aux traditionnels Protocoles des Sages de Sion :

« La désastreuse puissance du sionisme juif ne vise pas seulement l’occupation de la Palestine, mais occupe en fait tous les pays de l’Occident, l’économie mondiale, les médias et les organisations internationales et régionales. Il est possible que les sionistes entreprennent de judaïser le christianisme. Cette judaïsation a commencé avec Saint-Paul et s’est poursuivie avec certains papes judaïsés. Aujourd’hui nous sommes arrivés à une situation où le chef de l’Eglise de France est un juif appelé Lustiger. »

 

(Ahmed Rami, in Al-Shaab du 6 février 1998, cité par Goetz Nordbruch .-La négation de la Shoah dans les pays arabes, in Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman : la dérive)

 

(4) Brassens : La ballade des gens qui sont nés quelque part ;