Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/05/2018

Sourds et muets

 



 A l’heure où les médias nous abreuvent de détails sur les événements de 1968, l’envie me vient de brocarder les gens qui, ne s’engageant jamais, se contentent d’observer le spectacle du monde. Ils étaient lettrés mais n’entendaient pas les messages des intellectuels de Budapest, de Prague et de Varsovie. Ils sont catholiques mais ne répondent pas aux appels des chrétiens d’Orient persécutés. Ils sont républicains, démocrates, éclairés, instruits et ne voient pas qu’une idéologie barbare est en train de conquérir leur pays.

 Et ce, même quand l’insupportable vient effleurer leur existence. On pourrait approuver Romain Rolland qui haïssait l’idéalisme couard qui détourne les yeux des misères de la vie (1).

 Ce n’est pourtant pas facile d’ignorer le malheur quand il inonde le petit écran, quand vous le croisez dans la rue, quand il frappe à votre porte. Difficile de fermer les yeux devant la détresse. Impossible de ne pas entendre les plaintes et les pleurs.

 Malgré tout, des millions de gens y parviennent. Pour cela tous les moyens sont bons. D’abord l’éloignement physique, dans les beaux quartiers, près des écoles où les enfants seront à l’abri de la mixité sociale –qu’on loue cependant dans les réunions de famille. Le sport est aussi une élégante façon de contourner les problèmes, avec les parcours santé, les spas et autres soins ravissants pour le corps et pour l’esprit. Il y a aussi la culture, la grande, celle qui s’étale sur Arte et Télérama avec toute la délicatesse dont la bourgeoisie éclairée est capable dans son désir ardent d’éduquer le peuple.

 Bien que disposant de tous les moyens d’information imaginables, téléphone (2) collé à l’oreille et relié aux satellites, tous ces esprits très occupés ne savent pas tout car ils ne veulent pas tout savoir. Ils font les étonnés. Ah bon ? Tu es sûr ? Je n’ai pas eu l’info. Les pires sont ces faux-culs qui jouent la méfiance vis-à-vis d’une presse qu’ils jugent avide de scoops. Et quand après mille détours ils ont devant les yeux la pétition, ils la trouvent très pertinente et la signeront peut-être demain, après réflexion.

 Ils ont l’art de sélectionner l’information, parfois même sans s’en rendre compte pour ne pas heurter leur bonne conscience. Et comme le mutisme est souvent en rapport avec la surdité, sourds, ils sont muets. Pourtant, ça papote dans les chaumières. Autour d’une table le dimanche, à Pâques ou à Noël, une quantité incroyable de révolutionnaires s’expriment avec conviction, vigueur et parfois même colère. Voilà le pire à entendre : le bavardage de personnes qui se taisent.

 On peut s’interroger sur les humains que nous sommes. Comment une telle indolence est-elle possible ? Comment l’expliquer sinon par la petitesse de l’âme, la pusillanimité ?


§

 

(1) Couardise : état de celui qui a la queue basse (du latin cauda, queue), qui est lâchement peureux ;
(2) le téléphone portable n’a pas réponse à tout…