15/10/2018
Y’a pas d’souci
Un philosophe nous dit que l’homme vit dans le projet. Il n’y a rien de plus vrai. Et ce n’est pas toujours pour notre bonheur. Certes il nous arrive dix fois, cent fois dans une vie d’attendre un heureux événement, de croire en la réussite de ceux qu’on aime, de voir les hommes faire la paix, bref d’envisager l’avenir avec enthousiasme. Mais ce qui nous mine, ce sont mille soucis qui nous accablent et troublent notre sommeil. Il y en a de terribles et je n’ai pas aujourd’hui le cœur d’en parler. Et tous les autres. Minuscules, insignifiants. Me rendre avant mercredi au laboratoire d’analyses car le médecin attend les résultats pour vendredi, mais la voiture est au garage car la pièce commandée n’est toujours pas disponible et aller en ville en vélo je ne pourrais le faire qu’en danseuse à cause de cette fracture du coccyx qui ne se remet pas, quand à demander l’aide du voisin, je l’ai déjà trop fait, il a lui-même ses petits soucis, je ne veux pas lui en ajouter. Une nuit blanche entière à me demander comment je vais m’en sortir. Pauvre de moi ! Si je prenais seulement conscience que tout cela n’est rien !
Il faudra qu’un jour une personne qui m’est chère m’apprenne qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre pour que mon laboratoire, mes analyses, ma voiture en panne, mon coccyx et la gêne que j’éprouve à déranger mon voisin, toutes ces choses s’évanouissent pour réaliser enfin que les moments que je vis sont ceux d’un homme heureux. Faut-il ainsi connaître le malheur des autres pour que j’oublie le mien ?
Ou vivre comme un animal. Manger, dormir, procréer, mourir sans le savoir. Impossible bien sûr dans la société humaine qui m’attend au tournant, travail, sécu, impôts, obligations, réglementations, « vivre ensemble », éducation des enfants, éloignement du laboratoire d’analyses, pharmacopée pour calmer la douleur au coccyx et j’en passe. Il y a peut-être une solution. Si la recette du bonheur consiste à faire le vide dans sa tête, plutôt que de garnir le compte en banque des marchands de techniques et de produits relaxants, à partir de maintenant je note toutes les obligations et ennuis à venir sur un agenda. Pour libérer mon esprit et faire tourner en moi tous les moulins de l’espoir (1).
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(1) en remerciement au compositeur Michel Legrand dont la passion amoureuse fait tourner « tous les moulins de son cœur ».
19:13 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : souci, bonheur, projet, avenir
Commentaires
Bonjour Michel
"Libérer votre esprit", vous dites...
Non, pas l'esprit, mais le mental. Vous avez besoin de libérer votre mental de toutes ses pensées qui l'encombrent.
En vérité, vous devez apprendre à vous libérer de votre mental.
Lisez "Le Pouvoir du Moment Présent", de Eckart Tollé.
Lisez en mettant de côté vos préjugés, lisez comme un philosophe, ou un enfant, sans juger ni critiquer.
Lisez comme un homme d'esprit...
Écrit par : Robert | 17/10/2018
Bonsoir Robert,
encore une fois excusez ce retard à vous répondre, mes enfants sont à l'autre bout de la France et je leur rends souvent visite.
Je ne connais pas ce livre, il apporte sans doute une solution. Je le lirai volontiers, mais quant à mettre de côté mes préjugés, l'expérience m'apprend que c'est extrêmement difficile. J'écoute aujourd'hui des philosophes qui les répandent parfois sur les ondes, et les enfants ne cessent de juger et de critiquer sans attendre la fin d'une explication.
Je ne sais pas s'il fallait évoquer le mental plutôt que l'esprit, mais je suis certain d'une chose, et c'était l'idée exprimée dans ces quelques lignes: les soucis empêchent de penser. Toutes proportions gardées, je me rappelle ces propos de Montaigne qui, dès qu'il le pouvait, prenait ses distances, à une cinquantaine de kilomètres de Bordeaux où la charge de maire était pesante, pour trouver dans cette tour (dans ce beau village de St Michel de M...) devenue si célèbre, la paix nécessaire à la lecture des philosophes et à l'écriture. Il ne s'évadait pas pour autant de la vie réelle, puisque de ses fenêtres il voyait comment on entretenait son domaine. Mais du haut de sa tour tout de même!
Je n'ai malheureusement pas un château pour m'isoler et même si je l'avais, la vie aujourd'hui est ainsi faite qu'il me faut vingt jours pour lire votre commentaire.
Écrit par : Pourny | 31/10/2018
Michel, vous dites "Je n'ai malheureusement pas un château pour m'isoler"...
Et pourtant, vous avez un magnifique chateau : votre chateau intérieur.
Cherchez-le, et ensuite trouvez la clé...
Merci de votre réponse. J'ai cru que mon commentaire vous avait paru un peu abrupt.
Le livre de Eckart Tollé n'apporte pas de solution, seulement un début de compréhension...
Bonnes fêtes à vous.
Bob
Écrit par : robert | 04/12/2018
Bonjour Robert !
J’avais pensé à un jardin, idée moins ambitieuse mais qui me laisserait respirer. Dans « château » il y a de la hauteur mais aussi des murailles. Un savant, un philosophe, un artiste pourraient s’y enfermer, et encore…Peut-on chercher, penser, créer, exister à l’écart du monde ?
C’est quand même une belle image, ce château. Fort ? Certainement pas ! Renaissant peut-être. Qu’il est long à construire, je ne suis pas au bout de mes peines, je crois que je disparaîtrai avant de le quitter, de faire quelques pas dans la campagne. Et de le contempler de loin. Peut-être me dirai-je : Tout ça pour ça ! Ne prenez surtout pas cela pour de la fausse modestie. Je pense réellement ce que je viens d’écrire. Mais comment ai-je pu autant m’égarer ? J’essaie maintenant, cinquante ans après, pierre par pierre, de construire quelque chose, n’est-ce pas trop tard ?
Je vous remercie pour votre contribution et vous souhaite à mon tour d’agréables fêtes de fin d’année.
Michel
Écrit par : Pourny | 09/12/2018
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