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29/04/2019

Palais social

 

 

n
no
non
nooon
non na !
non, mais
non de non
nom de dieu
non nein niet
non à l’Europe
non au nucléaire
non aux tests ADN
non aux expulsions
non au déficit public
non à la taxe carbone
non aux privatisations
non aux licenciements
non au tout sécuritaire
non aux délits d’initiés
non aux discriminations
non aux plans de relance
non au service minimum
non aux parachutes dorés
non au traité de Lisbonne
non aux inégalités sociales
non au dopage dans le sport
non aux magnats de la presse
non aux suppressions de postes
non aux caméras de surveillance
non à la baisse du pouvoir d’achat
non à la privatisation des universités
non aux délocalisations des entreprises
non au démantèlement des services publics
non au non remboursement des médicaments
non aux directives de la commission européenne
non au rejet de gaz toxiques à proximité des écoles
non à l’installation des éoliennes dans nos campagnes
non à la suppression programmée des hôpitaux de proximité

non à l’armée
non à la guerre
non à la disparition des casernes dans nos provinces
non au chômage technique et aux licenciements dans nos usines d’armement

 

 Femmes et hommes politiques d’opposition ! Comment voulez-vous qu’on vous croie sur parole ? Vous ne savez dire qu’un mot : « NON ».

 Comme il suivait chaque année le Tour de France, Jean Amadou était amusé par l’omniprésence des manifestations contre ceci, contre cela au bord des routes. On peut comprendre cette façon d’exposer des revendications, sachant que les caméras de télé sont là pour les faire connaître à un nombreux public. Non au passage du TGV, non à l’autoroute, non à la baisse du prix du lait, etc. Un jour –c’est Amadou qui rapporte- sur une banderole je n’ai vu qu’un mot : « NON ».

 Certes il y a des refus nécessaires. Bien que certains, criés et brandis sur calicots un jour et son lendemain par les mêmes personnes… ne soient pas toujours conciliables. Mais s’il n’y a que des refus, les gens se lassent et ne voient pas le bout du tunnel. Y a-t-il seulement de la lumière au bout du tunnel ? Une perspective, un projet ? Allez, soyons fou : une vision du monde ?

 Ah je pense à ces grands penseurs du siècle d’avant, ces Proudhon, ces Saint-Simon, ces Fourier, en voilà des philosophes, que dis-je des militants qui voyaient plus loin que le bout de leur non. Tenez, j’ai visité avec grand plaisir ce Familistère, à Guise imaginé, conçu et finalement –et c’est cela le plus important- construit à l’initiative de Godin, le fabricant de poêles et cuisinières à charbon.

 D’abord, Jean-Baptiste André Godin est le fils d’un artisan serrurier en Thiérache. Il quitte l’école à onze ans pour aider son père à l’atelier. A 18 ans, compagnon du devoir, il fait le tour de la France, au cours duquel il est confronté aux injustices sociales, à la misère de l’ouvrier. Ses compétences techniques lui permettent à son retour de fonder sa propre entreprise. Socialiste, il s’enthousiasme pour la révolution de 1848 et pour les thèses de Charles Fourier. Menacé par le nouveau pouvoir, jalousé par les industriels concurrents qui voient en lui un empêcheur d’exploiter en rond, il s’expatrie quelque temps en Belgique. Quand il revient à Guise, grâce au succès de ses inventions (le poêle en fonte, puis en fonte émaillée) et à son génie industriel, son entreprise va connaître un double développement. Elle passe de 1857 à 1880 de 300 à 1500 salariés. En même temps, et c’est là sa grande idée, il édifie le « Palais social ». Plutôt que de jeter l’anathème sur la société capitaliste impitoyable du XIX° siècle, en quelques années il réussit à créer une société dans laquelle ouvriers et ouvrières avaient leur place. Leur école, leur théâtre, leur coopérative, leurs lieux de loisirs, et surtout un toit, appartements spacieux pour familles avec ou sans enfants, salle de bains, oui, rare au XIX° siècle ! Voici comment J.B.A. Godin présentait son projet :

« Le Palais Social n’est pas seulement un meilleur abri que la maison isolée de l’ouvrier, il est l’instrument de bien-être, de dignité individuelle et de progrès.
Et c’est précisément parce qu’il donne tout d’abord satisfaction au plein développement de la vie physique qu’il ouvre pour le peuple de nouveaux horizons à la vie morale ; s’il en était autrement, il manquerait son but. Nous devons trouver au Palais Social tout ce qui est nécessaire à la vie, et tout ce qui peut, en la rendant agréable, concourir à son progrès. »
(Solutions sociales)

 Au Familistère, ajoutait-il, 1500 personnes pourraient vivre, se rencontrer, s’approvisionner, vaquer à leurs occupations « sans avoir jamais plus de 160 mètres à parcourir ». N’était-ce pas là une prison dorée pour l’ouvrier ? Au cours de la visite, l’idée m’avait mis mal à l’aise. Un regard sur ces immeubles de plusieurs étages, certes une immense verrière permettait aux enfants de s’amuser à l’abri, de grandes fenêtres éclairaient les pièces, mais quand même, ces immenses bâtiments en briques sont un peu tristes. Bon, essayons de mieux comprendre l’homme et son projet. A la question inévitable :

 C’est bien tout ça, mais ce monsieur… patron de l’usine, ce monsieur Godin, était-il lui aussi confiné dans un trois pièces de l’immeuble ?

 La conférencière nous dirigea vers un logement absolument semblable aux autres, à un détail près, il ne comportait que deux pièces… car M. Godin n’avait pas d’enfant. Que nos socialistes d’aujourd’hui en prennent de la graine. Oui, on peut aimer les intellectuels quand ils en viennent aux mains, dans le bon sens du terme, quand ils mettent leurs idées en application, et qu’ils s’impliquent eux-mêmes dans leur entreprise. J.B.A. Godin était tout sauf un utopiste. Un homme d’action. Le Familistère vécut environ un siècle, on pourrait même dire « survécut ». Car voilà, cette idée de rendre la vie facile aux ouvriers ne plaisait pas à tout le monde. Une vie épanouie commençant par l’instruction et l’éducation des enfants, l’école fut placée au centre de la cité. Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire à notre Sainte Mère l’Eglise, habituée à trôner au centre des villages. Quand à la coopérative qui distribuait les biens de consommation à des prix sans concurrence car sans en tirer de bénéfices, elle était mal vue des commerçants de la ville. Et puis, considérer les gens du peuple comme des hommes et des femmes à part entière n’était pas dans l’air du temps. Je crois qu’Owen en Ecosse a tenté la même expérience, mais sans succès.

 Je les entends d’ici les critiques, je vois les ricanements. Fourier, Godin, c’est du pipo, d’ailleurs votre maître à tous a rangé une fois pour toutes les socialistes de son siècle au chapitre de l’Utopie. Les plus méchants diront : paternalisme. Les plus avertis oseront même avancer que ce Monsieur Godin et son « Palais social » étaient le ballon d’oxygène qui, de temps à autre permet au capitalisme de survivre.

 Le marxisme, par contre, c’est du solide, du costaud. La pauvre petite ville de Guise en Thiérache paraît bien ridicule comparée aux vastes espaces où s’édifia par la suite le socialisme réel. A la réflexion, on peut se demander si le contraire n’aurait pas été préférable. Des barbelés autour de l’hôpital psychiatrique, à Guise, et les vastes espaces, Russie, Chine, Corée, Cuba, pays de l’est où les idées généreuses de nos socialistes utopistes auraient pu tenter de rendre à des millions de gens une vie heureuse.

 Camarades révolutionnaires, un beau jour serez-vous capables d’émettre un avis positif sur quelque chose ? De dresser un tableau de la société de vos rêves ? Soyons modestes : de nous donner une idée de ce qu’elle sera ?

 Je pose ces questions pour deux raisons :

1/ Chaque fois que vous direz non à quelque chose, votre refus sera mis en perspective, dans l’attente d’une alternative devenue crédible.

2/ Nous saurons où vous voulez en venir, ayant une idée de la société future AVANT son instauration, principe de précaution oblige.


§

15/04/2019

Violence

 


 Ces ostalgiques qui prétendent, vingt ans après la chute du mur de Berlin et l’ouverture des archives que là-bas des conquêtes sociales sont remises en cause, de quel droit se permettent-ils de faire l’éloge de ce dont ils n’ont pas souffert ? Qu’ils relisent London, Plioutch, Soljenitsyne, Chalamov, qu’ils se demandent ce que sont devenus les Imre Nagy, les Dubcek, et tous ces militants sincères restés fidèles à leurs principes !

 Qu’on ne me réplique pas qu’à mon tour je n’ai pas d’yeux pour voir ici la misère, le chômage, la difficulté de vivre pour des millions de gens, la délinquance, l’incompétence des gouvernants. Mais je ne suis pas un communiste à l’envers. Je ne prétends pas que nous vivons au paradis, ni que le capitalisme est un objectif à poursuivre. Au moins, je me rends compte que je suis en liberté, que les adversaires du régime en place ne seront ni rééduqués ni internés en hôpital psychiatrique. Je vois aussi que les chars ne sortent pas des casernes pour écraser les manifestations des enseignants, des postiers et des travailleurs licenciés. Que pendant cinq mois tous les samedis des manifestations violentes sont tolérées en plein Paris et dans les villes de province. Qu’on peut impunément brûler l’effigie du président. Je constate que le pire des délinquants dispose d’un avocat pour sa défense, que des journaux à fort tirage publient des caricatures du plus haut magistrat de la république sans être poursuivis.

 Il fut un temps où le socialisme à l’est faisait tourner à plein régime l’idée révolutionnaire. La faillite du communisme a tout remis en cause. En manque d’un idéal crédible et mobilisateur à proposer, l’extrême gauche est en errance. Il y a le dépit, même la rage, d’avoir perdu la guerre contre le Grand Satan, mais aussi ces casseroles que les révolutionnaires encore actifs traînent derrière eux. Après le goulag, aller convaincre les peuples que le socialisme peut encore aujourd’hui être une perspective pour l’humanité ? La violence des manifestations avec la présence quasi permanentes de casseurs, peut s’expliquer par ce trou béant laissé dans la mémoire collective. A court d’arguments les esprits s’échauffent, c’est humain. Quand il n’y a plus rien à croire, c’est désespérant.

« …mais que feriez-vous donc sans « ennemis » ? Mais vous ne pourriez plus vivre, sans « ennemis » ; la haine qui n’a rien à envier à la haine raciale, voilà l’atmosphère stérile que vous respirez… »

Soljénitsyne, lettre au secrétariat de l’Union, le 12 novembre 1969


§