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15/04/2019

Violence

 


 Ces ostalgiques qui prétendent, vingt ans après la chute du mur de Berlin et l’ouverture des archives que là-bas des conquêtes sociales sont remises en cause, de quel droit se permettent-ils de faire l’éloge de ce dont ils n’ont pas souffert ? Qu’ils relisent London, Plioutch, Soljenitsyne, Chalamov, qu’ils se demandent ce que sont devenus les Imre Nagy, les Dubcek, et tous ces militants sincères restés fidèles à leurs principes !

 Qu’on ne me réplique pas qu’à mon tour je n’ai pas d’yeux pour voir ici la misère, le chômage, la difficulté de vivre pour des millions de gens, la délinquance, l’incompétence des gouvernants. Mais je ne suis pas un communiste à l’envers. Je ne prétends pas que nous vivons au paradis, ni que le capitalisme est un objectif à poursuivre. Au moins, je me rends compte que je suis en liberté, que les adversaires du régime en place ne seront ni rééduqués ni internés en hôpital psychiatrique. Je vois aussi que les chars ne sortent pas des casernes pour écraser les manifestations des enseignants, des postiers et des travailleurs licenciés. Que pendant cinq mois tous les samedis des manifestations violentes sont tolérées en plein Paris et dans les villes de province. Qu’on peut impunément brûler l’effigie du président. Je constate que le pire des délinquants dispose d’un avocat pour sa défense, que des journaux à fort tirage publient des caricatures du plus haut magistrat de la république sans être poursuivis.

 Il fut un temps où le socialisme à l’est faisait tourner à plein régime l’idée révolutionnaire. La faillite du communisme a tout remis en cause. En manque d’un idéal crédible et mobilisateur à proposer, l’extrême gauche est en errance. Il y a le dépit, même la rage, d’avoir perdu la guerre contre le Grand Satan, mais aussi ces casseroles que les révolutionnaires encore actifs traînent derrière eux. Après le goulag, aller convaincre les peuples que le socialisme peut encore aujourd’hui être une perspective pour l’humanité ? La violence des manifestations avec la présence quasi permanentes de casseurs, peut s’expliquer par ce trou béant laissé dans la mémoire collective. A court d’arguments les esprits s’échauffent, c’est humain. Quand il n’y a plus rien à croire, c’est désespérant.

« …mais que feriez-vous donc sans « ennemis » ? Mais vous ne pourriez plus vivre, sans « ennemis » ; la haine qui n’a rien à envier à la haine raciale, voilà l’atmosphère stérile que vous respirez… »

Soljénitsyne, lettre au secrétariat de l’Union, le 12 novembre 1969


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06/02/2014

Rire

 

 

 Je me rappelle une discussion après la sortie du film « La vie est belle ». Il faut une certaine liberté d’esprit pour apprécier les effets comiques qui cadencent cette reconstitution du crime perpétré par la barbarie nazie. En particulier la scène où les détenus dans leurs châlits écoutent sans comprendre le Kapo qui profère en hurlant des menaces de mort. Il fallait traduire, c’est Roberto Benigni –réalisateur et acteur principal- qui s’y colle et ça l’arrange, car son fils est là aussi, il lui avait promis un beau cadeau. Le voilà donc qui raconte une histoire de concours avec des prix à gagner, un discours à l’opposé bien sûr de celui de la grosse brute en uniforme qui annonce tous les malheurs possibles. Certes l’opposition entre les deux discours, et la façon dont ils sont prononcés sont risibles, elles révèlent aussi que l’irrationnel n’est pas du côté qu’on croit. Les paroles du père en complet décalage avec celles du kapo sont celles de la raison, ce qu’elles traduisent, c’est l’amour d’un homme pour son fils. On rit, on pleure en même temps. Quelle belle manière de montrer l'absurdité du fascisme ! Un chef d’œuvre. 

 Cela n’a pas plu à tout le monde. Certains de mes amis n’ont pas ri, j’ai même entendu qu’il ne fallait pas. Je mets de côté le char américain libérateur dont la présence à l’issue du film n’est pas appréciée par les pacifistes de gauche qui auraient sans doute préféré un char soviétique, passons, ce n’est pas mon propos. Pourquoi ne faut-il pas rire devant une situation, si elle est comique ? Faut-il se retenir ? Y a-t-il des choses dont on peut rire, et d’autres dont on ne peut pas ? Je ne sais pas répondre à cette question. Pierre Desproges s’en sortait en disant qu’on pouvait rire de tout mais pas avec n’importe qui. Peut-être faut-il distinguer aussi rire et moquerie.  

 Beaucoup d’humoristes aujourd’hui s’en prennent avec délice aux célébrités. Ils se font imitateurs et certains possèdent un don indubitable pour l’art de la caricature. D’autres n’ont pas ce don et ridiculisent leurs cibles pour leur aspect physique, corpulence, petitesse, habillement, pour leur difficulté d’élocution. A l’heure où juger les hommes selon leur faciès est interdit, le succès rencontré par ces artistes est étrange.  

 A la petite école, je me rappelle avoir été surnommé « pourri », « fourmi », « fourni », cela ne me plaisait pas, sans me rendre malade pour autant. J’imagine quelle doit être la détresse d’un enfant montré du doigt à cause de sa couleur de peau, de son aspect physique ou de son infirmité. Pas la peine de se rendre en Allemagne dans les années trente pour s’en faire une idée. L’effet de groupe est le carburant de la moquerie. C’est ce qui la distingue de l’humour qui est le produit d’une observation autant que d’une réflexion, pour celui qui le fait et pour celui qui écoute. Il peut être acerbe, cruel et même noir, il ne vise personne et n’a qu’un but : provoquer le rire. Avec un petit quelque chose en plus, il rassemble les gens, fait oublier leurs différences, il arrive même à déboulonner les idoles. Les systèmes totalitaires ne l’aiment pas, le condamnent, l’exilent, l’enferment. La moquerie par contre, toujours dirigée contre les autres, n’est pas incompatible avec le totalitarisme. Elle divise, désigne, dénonce et provoque la haine.  

 Etonnante cette exigence soudaine du respect de la liberté d’expression…de propos antisémites. Cette liberté, quelques pauvres esprits ont pu l’exprimer devant des synagogues et même devant le camp d’extermination d’Auschwitz. En démocratie, beaucoup de choses sont permises car on ne met pas un policier derrière chaque citoyen. Mais si par malheur un jour le pouvoir était confié à ces gens, ils seraient les premiers à tout interdire, sauf à se moquer des gens qui ont un long nez, de grandes oreilles, une jambe plus courte que l’autre, des taches de rousseur ou des cheveux crépus. Certains n’hésiteraient pas à humilier un cabotin sous prétexte qu’il porterait une barbe et n’aurait pas la couleur de peau des gens d’ici. Mais cela, les démocrates s’interdisent de le faire, car sous nos latitudes le racisme est un délit.

 

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