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10/07/2009

I- Il n'est pas bon de connaître l'avenir

 

Copie de la lettre reçue ………

 

Astrée (1), an 122 909 (2)

 

 

 

 

 Cher ami,

 

 T’écrire, t’annoncer ce que vous, les humains de Terre allez devenir, est-ce une bonne idée ? Je crains que non. Il n’est pas bon de connaître l’avenir, cela peut coûter très cher, le prix de la liberté.  A quoi servirait de vous mettre en garde, puisque votre avenir est écrit ? Toi, tu ne connaîtras pas la Catastrophe. Elle aura lieu dans les années 2600 de votre calendrier chrétien, d’après les derniers relevés faits sur cette planète qui est donc encore la vôtre pour au moins six siècles.

 

 Oh oui, maintenant je regrette. Mais le mal est fait. Tu ne sauras pas encore tout, mais déjà l’essentiel. Et je me dis que si vos générations sont coupables de quelque chose, c’est d’avoir voulu faire vivre dans les meilleures conditions quinze milliards d’individus. Pour cela, il fallait produire de l’énergie en grande quantité. Hors du nucléaire, point de salut. Sauf à faire preuve d’audace. Eduquer les populations, limiter les naissances, respecter la nature, utiliser la force du vent, la lumière du soleil, la chaleur du sous-sol, que sais-je encore, la force des marées. Conseils faciles à donner… 100 000 ans après. Pourquoi alors ne pas reprocher aux grands-pères de nos ancêtres de n’avoir pas découvert le feu plus tôt ? Pourquoi ne pas tenir grief aux singes de n’être pas devenus des hommes quelques millions d’années plus tôt ? Balivernes de donneurs de leçons. Je n’en fais pas partie, et je voudrais t’entretenir de choses plus gaies… non pas vraiment, mais disons positives, dignes d’intérêt pour toi et tes contemporains.

 

 La surface du globe terrestre n’a pas encore été explorée –loin s’en faut- dans sa totalité, mais les missions scientifiques nous ont appris beaucoup de choses. D’abord, que l’air est devenu respirable pour de courts séjours. Le taux de radioactivité est encore très élevé. La manipulation de matériaux, le creusement du sol, le prélèvement d’objets rendent nécessaires les protections, combinaisons et masques, ce qui complique la tâche des archéologues. L’aspect désolé, brûlé de la surface est confirmé. Quelques traces de vie végétale et animale renaissantes. Depuis quand ? On parle de trente mille ans pour les espèces les plus résistantes aux radiations. Les mers recouvrent les neuf dixièmes de la surface, je devrais dire l’océan ! Paysages inhabituels et non dénués de charme, où les vagues viennent clapoter au pied des montagnes. Les pôles sont dans l’eau. Si la Terre avait encore des habitants, ils seraient navigateurs. Mais je ne sais pas s’ils vivraient de la pêche, quand j’évoquais la vie animale, j’entendais « microscopique », pour l’instant, aucune trace de poissons.

 

 Outre les paysages, les plus belles découvertes ont été faites en sous-sol. Dans les galeries souterraines d’une grande cité d’altitude d’entre les deux Amériques. Je pense à des voies rapides de circulation en tunnels. Tu dois savoir mieux que moi de quoi il peut s’agir. Des fresques extraordinaires, admirables peintures rupestres représentant des véhicules à roues, des aéronefs, et quantité d’autres machines, mais aussi des silhouettes, des corps, des visages humains, féminins pour la plupart. Un important travail de restauration nous attend, car la couleur n’était pas portée directement sur les parois, mais sur des supports souples que l’humidité a rendu fragile, friables. Des inscriptions encore indéchiffrables  accompagnent ces représentations. Les linguistes nous en diront plus.

 

 Peut-être imagines-tu combien c’est douloureux pour moi de connaître votre avenir, de savoir quels dangers menacent votre planète, quels drames vont bouleverser la vie de vos contemporains, de leurs enfants et petits enfants, sans pouvoir rien changer au cours des choses ! J’ai longtemps hésité avant de prendre cette terrible décision : révéler ce que je sais à ceux à qui je dois ma propre existence : mes ancêtres. Je suis un grand enfant, je n’ai pas su tenir ma langue. Non, soyons sérieux. Le secret était trop grand pour moi. Il me fallait le partager. Nous sommes nombreux à savoir, ici sur Astrée. Mais cela n’intéresse personne de connaître le sort qui fut celui des terriens il y a cent mille ans. Pour eux, c’est beaucoup moins intéressant que de connaître la météo du lendemain, les tendances de la mode pour l’été prochain ou le résultat de la finale de Go dans le village !

 

 En fait, nous sommes deux. J’allais dire « dans la confidence »… Essaie de comprendre ma situation, serais-tu resté muet si tu avais connu l’avenir du monde, de tes amis, de tes proches, et de toi-même ? Rassure-toi, je ne sais pas tout ! Je ne peux communiquer que ce dont je suis certain : des faits avérés suite à des recherches sérieuses. Pour parler simplement, je sais en gros ce qui va arriver. Pour toi et tes contemporains, pas d’inquiétude. Au siècle prochain, de grands bouleversements politiques, l’extension des puissances asiatiques sur le monde, de la Chine surtout, et la constitution d’un grand empire concurrent de celui des Amériques. Tu sais déjà que le désastre n’aura lieu que dans 650 ans, et qu’une grande partie de l’humanité pourra y échapper. Alors, carpe diem.

 

Si je t’ai choisi comme destinataire de mes lettres, c’est par pur hasard. Ou presque. Je ne voulais pas m’adresser à une personne connue du grand public. Célébrité et maîtrise de soi ne font pas toujours bon ménage. Je risquais de mettre cette personne dans la position de Cassandre dont les prédictions -pourtant exactes- provoquaient la risée de son entourage, ou dans celle de ces terriens qui avaient vu des objets volants d’origine extra-terrestre et qui, trop longtemps, furent considérés comme des illuminés. Les humains accordent du crédit aux pires sottises… quand elles les arrangent. Pour le reste, ils enfouissent leur tête dans le sable.

 

 A bientôt, amitiés,

 

Tchang Li

 

(1)   Astrée de Proxima, dans la constellation du Centaure. Petite planète pittoresque habitée seulement dans la partie médiane de son hémisphère nord, climat tempéré et sol fertile. Ces caractéristiques sont typiques des planètes de migrants. N’oublions pas qu’elles ont été choisies. On comprend que les humains n’aient jamais cherché à s’implanter dans des régions qui ne pouvaient assurer leur subsistance. La constellation du Centaure compte une multitude de planètes telluriques, mais beaucoup d’entre elles sont invivables pour ces créatures difficiles qui exigent air, eau, lumière, température supportable, ressources naturelles, alternance du jour et de la nuit, rythme des saisons.

(2)   Toutes les datations sont données en années-terrestres après Confucius. Soustraire 550 ans pour la chronologie chrétienne.

 

 

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