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07/10/2009

IX- Les dieux n'existent pas... ou alors très peu

 

Cher ami,

 

 Pendant trois jours Zhu n’a pas rempli son agenda. On comprend pourquoi en lisant ses commentaires sur les jours suivants.

 

 

vendredi :

 

 Ingrid et Qian sont déçus de quitter l’hôpital, ils étaient choyés par le personnel de santé, et surtout ils s’étaient fait des amis de leur âge parmi lesquels les enfants de Boris que mon épouse avait réussi à faire admettre dans le Centre.

 Aucun vaisseau n’a encore quitté la stratosphère, les navettes, inlassablement continuent leurs allers-retours. Notre départ est prévu demain. Nous embarquerons dans Sesostris (1). Elle nous attend en Saxe, à l’aplomb de Dresden (trente miles au-dessus). Nous n’aurons certainement pas tout le confort, mais nous serons à l’abri des effluves radioactifs. Peu d’informations sur le voyage qui nous attend. Destination : un système composé de trois étoiles : Alpha du Centaure (combinaison de deux soleils) et Proxima du Centaure qui fait le tour d’Alpha tous les trente mille ans. Dans sa phase actuelle, elle est l’étoile la plus proche de la Terre. Plusieurs planètes telluriques tournent autour de ces « soleils » et sont enveloppées d’une atmosphère semblable à la nôtre. Ces Voyageurs venus à notre secours ne sont pas bavards, c’est tout ce qui a filtré des conversations qu’ils ont eues avec nos autorités. Durée du voyage ? En empruntant les « trous de ver », la durée du transport ne dépend pas de la distance à parcourir, ni de la vitesse des vaisseaux, ou très peu. On parle quand même de quelques années…

 

samedi :

 

On embarque, c’est la cohue, j’écrirai demain.

 

dimanche :

 

 Préserver notre intimité va être difficile. On a sauvé l’essentiel : avec deux enfants, on a droit à une cabine. Nous disposons de peu d’espace, mais d’un hublot, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Au moins, nous pourrons de visu dire adieu à notre chère planète.

 Ces Gens du Voyage sont vraiment extraordinaires, ils maîtrisent une technologie que nous ne connaîtrons probablement pas dans dix siècles, et je les vois qui se promènent –je devrais dire qui traînent- dans les couloirs du vaisseau, affublés de hardes multicolores, fredonnant des complaintes qui semblent venir du fond des âges, leurs bambins sales et mal fagotés les accompagnant en tapant sur des tambours. Ceux d’entre nous qui s’attendaient à voir surgir des phénomènes en redingote munis d’énormes lunettes, et coiffés d’un point d’interrogation en sont pour leurs frais. Aux commandes de ce vaisseau, pas de professeur Nimbus, pas non plus d’extraterrestre en scaphandre. Ces gens-là passent leur temps à flâner. Ils ne s’inquiètent de rien. Ils chantent, ils dansent aussi, les filles surtout dont la grâce attire tous les regards. Ils ont toujours le sourire aux lèvres. A se demander s’ils ne sont pas envoyés par les dieux. Voilà, c’est ça : le navire doit être piloté de loin par des Etres supérieurs, comme une marionnette, car je n’ai pas encore eu vent qu’il y eût un poste de pilotage. Trêve de plaisanterie. Dans ce navire, il n’y a que de l’humain. D’ailleurs, si nous sommes à l’abri des rejets radioactifs, la promiscuité aidant, les effluves ici sont bien d’origine humaine…

 

 C’est cela le plus étonnant. Je n’ai jamais imaginé que des extraterrestres puissent être humains, constitués comme vous et moi. Concernant les problèmes de sécurité et surtout le pilotage du vaisseau, entre deux vocalises, un Rom m’a soulagé, par gestes et accolade.

 

« On contrôle tout, monsieur, ne vous inquiétez de rien. »

 

Voulait-il en dire autant, en tout cas le sourire était rassurant.

 

 

lundi :

 

 Les navettes continuent leur va-et-vient. Sesostris se remplit. Il y a encore de la place pour les pauvres Terriens que nous sommes. Nous allons quitter notre bonne vieille Terre à qui nous avons fait tant de mal.

 A trente miles d’altitude, Jenny et moi, collés contre le hublot, nous contemplons notre belle planète bleue. Havre de l’humanité depuis des millions d’années, la couleur est trompeuse, elle n’est plus belle que pour les yeux.

 Je relis ce que j’écrivais hier. J’imaginais des dieux guidant ce grand vaisseau. Une hypothèse absurde puisque nous savons maintenant qui l’a conduit jusqu’ici et qui l’emportera.  Mais ces Gens justement, pourquoi sont-ils venus ? Comment ont-ils appris la catastrophe, mesuré notre détresse ?

 L’hypothèse des dieux permettrait de répondre à ces questions. Les dieux voient tout, entendent tout, mais surtout les dieux prévoient tout. Et voilà le hic : pourquoi viendraient-ils seulement aujourd’hui à notre secours, maintenant que tout est perdu, rasé, condamné contaminé sur cette planète ? Pourquoi ne nous ont-ils pas alertés par un moyen ou un autre, -et les dieux ne manquent pas de moyens- quand nous projetions la construction de ces centrales, et même avant, quand nous décidâmes de plonger nos cerveaux et nos forces dans la production de la seule énergie nucléaire, quand nous regardions de haut les écologistes et ricanions quand ils exposaient leurs projets alternatifs… pourquoi alors les dieux qui sont doués de tous les dons, en premier celui de prévoir, pourquoi ne nous ont-ils pas alertés ? Je ne leur en veux pas. En vouloir à des êtres qui n’existent pas ? En dépit de tous mes efforts, je n’y crois plus. Les dieux n’existent pas. Ou alors très peu, ils sont vieux, fatigués, ou pire, retirés à l’autre bout du monde dans une maison médicalisée, atteints de cette terrible maladie qui vous fait tout oublier, jusqu’au visage et au nom de vos petits enfants. Ou alors, dans leur volonté de tout régler, de tout contrôler, ont-ils été appelés trop loin, l’Univers est tellement grand et ils ont tant à faire.

 

§

 

 

 

(1) Sesostris est une arche (un vaisseau géant) ;

10/07/2009

I- Il n'est pas bon de connaître l'avenir

 

Copie de la lettre reçue ………

 

Astrée (1), an 122 909 (2)

 

 

 

 

 Cher ami,

 

 T’écrire, t’annoncer ce que vous, les humains de Terre allez devenir, est-ce une bonne idée ? Je crains que non. Il n’est pas bon de connaître l’avenir, cela peut coûter très cher, le prix de la liberté.  A quoi servirait de vous mettre en garde, puisque votre avenir est écrit ? Toi, tu ne connaîtras pas la Catastrophe. Elle aura lieu dans les années 2600 de votre calendrier chrétien, d’après les derniers relevés faits sur cette planète qui est donc encore la vôtre pour au moins six siècles.

 

 Oh oui, maintenant je regrette. Mais le mal est fait. Tu ne sauras pas encore tout, mais déjà l’essentiel. Et je me dis que si vos générations sont coupables de quelque chose, c’est d’avoir voulu faire vivre dans les meilleures conditions quinze milliards d’individus. Pour cela, il fallait produire de l’énergie en grande quantité. Hors du nucléaire, point de salut. Sauf à faire preuve d’audace. Eduquer les populations, limiter les naissances, respecter la nature, utiliser la force du vent, la lumière du soleil, la chaleur du sous-sol, que sais-je encore, la force des marées. Conseils faciles à donner… 100 000 ans après. Pourquoi alors ne pas reprocher aux grands-pères de nos ancêtres de n’avoir pas découvert le feu plus tôt ? Pourquoi ne pas tenir grief aux singes de n’être pas devenus des hommes quelques millions d’années plus tôt ? Balivernes de donneurs de leçons. Je n’en fais pas partie, et je voudrais t’entretenir de choses plus gaies… non pas vraiment, mais disons positives, dignes d’intérêt pour toi et tes contemporains.

 

 La surface du globe terrestre n’a pas encore été explorée –loin s’en faut- dans sa totalité, mais les missions scientifiques nous ont appris beaucoup de choses. D’abord, que l’air est devenu respirable pour de courts séjours. Le taux de radioactivité est encore très élevé. La manipulation de matériaux, le creusement du sol, le prélèvement d’objets rendent nécessaires les protections, combinaisons et masques, ce qui complique la tâche des archéologues. L’aspect désolé, brûlé de la surface est confirmé. Quelques traces de vie végétale et animale renaissantes. Depuis quand ? On parle de trente mille ans pour les espèces les plus résistantes aux radiations. Les mers recouvrent les neuf dixièmes de la surface, je devrais dire l’océan ! Paysages inhabituels et non dénués de charme, où les vagues viennent clapoter au pied des montagnes. Les pôles sont dans l’eau. Si la Terre avait encore des habitants, ils seraient navigateurs. Mais je ne sais pas s’ils vivraient de la pêche, quand j’évoquais la vie animale, j’entendais « microscopique », pour l’instant, aucune trace de poissons.

 

 Outre les paysages, les plus belles découvertes ont été faites en sous-sol. Dans les galeries souterraines d’une grande cité d’altitude d’entre les deux Amériques. Je pense à des voies rapides de circulation en tunnels. Tu dois savoir mieux que moi de quoi il peut s’agir. Des fresques extraordinaires, admirables peintures rupestres représentant des véhicules à roues, des aéronefs, et quantité d’autres machines, mais aussi des silhouettes, des corps, des visages humains, féminins pour la plupart. Un important travail de restauration nous attend, car la couleur n’était pas portée directement sur les parois, mais sur des supports souples que l’humidité a rendu fragile, friables. Des inscriptions encore indéchiffrables  accompagnent ces représentations. Les linguistes nous en diront plus.

 

 Peut-être imagines-tu combien c’est douloureux pour moi de connaître votre avenir, de savoir quels dangers menacent votre planète, quels drames vont bouleverser la vie de vos contemporains, de leurs enfants et petits enfants, sans pouvoir rien changer au cours des choses ! J’ai longtemps hésité avant de prendre cette terrible décision : révéler ce que je sais à ceux à qui je dois ma propre existence : mes ancêtres. Je suis un grand enfant, je n’ai pas su tenir ma langue. Non, soyons sérieux. Le secret était trop grand pour moi. Il me fallait le partager. Nous sommes nombreux à savoir, ici sur Astrée. Mais cela n’intéresse personne de connaître le sort qui fut celui des terriens il y a cent mille ans. Pour eux, c’est beaucoup moins intéressant que de connaître la météo du lendemain, les tendances de la mode pour l’été prochain ou le résultat de la finale de Go dans le village !

 

 En fait, nous sommes deux. J’allais dire « dans la confidence »… Essaie de comprendre ma situation, serais-tu resté muet si tu avais connu l’avenir du monde, de tes amis, de tes proches, et de toi-même ? Rassure-toi, je ne sais pas tout ! Je ne peux communiquer que ce dont je suis certain : des faits avérés suite à des recherches sérieuses. Pour parler simplement, je sais en gros ce qui va arriver. Pour toi et tes contemporains, pas d’inquiétude. Au siècle prochain, de grands bouleversements politiques, l’extension des puissances asiatiques sur le monde, de la Chine surtout, et la constitution d’un grand empire concurrent de celui des Amériques. Tu sais déjà que le désastre n’aura lieu que dans 650 ans, et qu’une grande partie de l’humanité pourra y échapper. Alors, carpe diem.

 

Si je t’ai choisi comme destinataire de mes lettres, c’est par pur hasard. Ou presque. Je ne voulais pas m’adresser à une personne connue du grand public. Célébrité et maîtrise de soi ne font pas toujours bon ménage. Je risquais de mettre cette personne dans la position de Cassandre dont les prédictions -pourtant exactes- provoquaient la risée de son entourage, ou dans celle de ces terriens qui avaient vu des objets volants d’origine extra-terrestre et qui, trop longtemps, furent considérés comme des illuminés. Les humains accordent du crédit aux pires sottises… quand elles les arrangent. Pour le reste, ils enfouissent leur tête dans le sable.

 

 A bientôt, amitiés,

 

Tchang Li

 

(1)   Astrée de Proxima, dans la constellation du Centaure. Petite planète pittoresque habitée seulement dans la partie médiane de son hémisphère nord, climat tempéré et sol fertile. Ces caractéristiques sont typiques des planètes de migrants. N’oublions pas qu’elles ont été choisies. On comprend que les humains n’aient jamais cherché à s’implanter dans des régions qui ne pouvaient assurer leur subsistance. La constellation du Centaure compte une multitude de planètes telluriques, mais beaucoup d’entre elles sont invivables pour ces créatures difficiles qui exigent air, eau, lumière, température supportable, ressources naturelles, alternance du jour et de la nuit, rythme des saisons.

(2)   Toutes les datations sont données en années-terrestres après Confucius. Soustraire 550 ans pour la chronologie chrétienne.

 

 

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