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09/12/2015

La censure idéologique toujours bien vivace


(publié ici le 17 janvier 2011)


« Il existe toutes sortes de censure (…) mais on a rarement prêté attention à une forme non officielle de censure, d’autant plus redoutable qu’elle est sincère, se croit honnête et n’a pas conscience d’être censure : c’est la censure idéologique (…) Elle consiste, non pas à empêcher la diffusion des œuvres et des idées , puisqu’elle n’en a pas le pouvoir légal, mais à dissuader le public d’en prendre connaissance. Le lecteur, l’électeur ne sont pas invités à juger par eux-mêmes des arguments d’un auteur, mais à s’en détourner comme on se détourne du péché. Censure prophylactique, consistant à déconsidérer les auteurs dangereux pour la Foi, au lieu de les discuter ; à les mettre à l’index au lieu de les réfuter ; à fanatiser le lecteur au lieu de l’éclairer. »

 Voilà ce qu’écrivait Jean-François Revel en 1977 (1). Y aurait-il une phrase, un mot à enlever ? Non, si l’auteur de ces lignes était encore vivant, il aurait pu les écrire ce matin.

 L’auteur observe la politique française dans les années 60 et 70. Un exemple : afin de préserver l’Union de la gauche, la critique du totalitarisme soviétique était bannie dans les milieux socialistes. Pas vraiment une interdiction, mais un empêchement, avec la menace pour le téméraire de se voir accuser de complicité avec le diable, en l’occurrence le capitalisme international. Inutile de rappeler que vous étiez montré du doigt, et que si vous aviez l’audace d’en rajouter, on ne vous écoutait pas, mieux : on vous jugeait avant de vous entendre. Le voilà l’esprit totalitaire : juger avant d’entendre. Qui est-il celui-là ? D’où parle-t-il ? D’où vient-il ? Premières questions inquisitrices, questions qui à peu de chose près sont celles du fasciste. L’esprit totalitaire prend naissance dans un dogme. Il est donc pour lui inconcevable que l’ingénu qui pose des questions soit un esprit libre, car pour lui la liberté est obéissance à la doctrine. On fait taire ou on liquide. Staline appliquait les deux méthodes. Et une troisième, sans discussion la plus efficace : extorquer des aveux. On fait passer les personnes les plus respectables pour des ennemis du peuple, du même coup on consolide le pouvoir, on confirme la doctrine.
Pour revenir à la France, les étudiants qui en 1968 manifestaient leur désapprobation de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie étaient systématiquement accusés d’être des complices de l’impérialisme américain, si ce n’est des agents de la CIA. Cela m’est arrivé.

 Mais pourquoi rappeler ce passé ?

 Si les interlocuteurs ont changé, si le parti communiste ne recueille plus que quelques pour cent des voix, dans les milieux de « gauche », il est toujours malvenu d’aborder certains sujets, même benoîtement. Le parti s’est déplumé, mais l’esprit demeure. Allez déclarer vos idées de droite ou même seulement votre neutralité ou vos doutes dans certains milieux professionnels, vous aurez la vie dure. Autant garder cela pour vous. De toute façon, vous ne convaincrez personne, car l’ordre règne. Osez dire qu’il y a des prisons à Cuba, on vous parlera de Guantanamo. Aucun dialogue possible. Alors imaginez le sort du naïf qui avoue être séduit par une remarque de Marine Lepen : silence dans les rangs, c’est un fasciste.

 Je devine confusément chez certains de mes lecteurs l’esquisse d’un questionnement : l’auteur de ces lignes se rapproche du Front National. Voilà, confirmation de ce que j’écrivais plus haut, aucun dialogue possible. Heureusement, il y a dans ce pays des personnes qui n’ont pas besoin d’un parti (pris) pour avoir de la jugeote. J’en ai des exemples –très peu dans les radios et les télés- mais sur Internet, sur le trottoir ou en faisant mes courses, bref dans la vraie vie. Ouf ! Que cela fait du bien de respirer un peu l’air du pays, du vrai, des gens qui travaillent ou qui n’y ont plus droit, loin des médias, des cliques et des nomenclatures. Des gens qui ne sortent pas « couverts ». Des gens qui ne prennent pas mille précautions et ne consultent aucun bureau politique avant de dire ce qu’ils pensent. Oh que ça fait du bien !

 Il y a aussi la censure idéologique en chaîne : vous déclarez votre inquiétude à propos de la propagation de l’islam dans nos sociétés. D’abord, on vous dira que c’est faux, ou que c’est très exagéré. Si vous insistez –en général c’est le cas- on vous soupçonnera d’avoir une idée derrière la tête. La majorité des musulmans dans ce pays étant originaires d’Afrique du nord, vous devinez l’accusation qui vous pend au nez. Et la prochaine fois que vous prendrez la parole, on partira de là : on sait qui vous êtes, et vous pourrez avoir des milliers d’amis arabes, rien n’y fera, vous êtes étiquetés et rangés dans un tiroir. Et pour sortir de là… De la calomnie il reste toujours quelque chose. Dans l’Union soviétique des années noires vous perdiez d’abord votre emploi, les gens ne vous adressaient plus la parole, et venait le jour du grand voyage là-haut dans l’archipel, loin des vôtres et pour toujours. Heureusement aujourd’hui en France, on ne s’en prend qu’à vos idées et encore, seulement dans ces milieux où les gens ont la mémoire si courte qu’elle leur donne une vision étriquée du monde. Etriquée, mais facile à concevoir, à comprendre et à transmettre, puisque de type binaire : à gauche le bien, à droite le mal.

 Jean-François Revel juge sincère la censure idéologique. Pour ma part je ne sais pas. Peu importe, ce qu’il faut retenir, c’est qu’elle est redoutable.

 Pour revenir au Front National dont les succès électoraux se confirment de jour en jour, comme des millions de citoyens je n’y suis pour rien. Allez donc voir du côté de ces partis et associations de gauche qui depuis des années ferment les yeux face à la délinquance, au chaos dans les banlieues, au non respect des règles les plus élémentaires, quand ce n’est pas face à la maltraitance des femmes, à l’intolérance religieuse, aux violences antisémites et homophobes. Allez donc voir du côté de ces partis, de ces associations qui au nom de doctrines réactionnaires comme celle, tenace, du multiculturalisme, ne voient dans la mise en cause de la laïcité, des libertés et de la république, que les conséquences de l’inégalité sociale. Faudra-t-il attendre le Grand Soir pour mettre fin à l’intolérable ?

 En attendant, ces gens-là donnent au Front National des raisons d’espérer. A son tour, comme au ping-pong, le parti xénophobe justifie les cris de vierges effarouchées de nos angelots : « Halte au racisme, à la xénophobie, au fascisme ! » Ainsi, ils ont quelque chose à dire. Sinon rien.

 

§


(1) J-F Revel.- La nouvelle censure, un exemple de mise en place de la mentalité totalitaire, Robert Laffont, 1977 ;

11/02/2012

Les propos de Claude Guéant

 

 Les radios nous abreuvent des propos de Claude Guéant. Ah oui, vraiment ? On passe en boucle la formule : « toutes les civilisations ne se valent pas ». Auditeur de France-info et d’Europe 1, je connais maintenant la formule par cœur, et des millions de français aussi. 

 Voici, diffusés par la presse écrite, d’autres extraits du discours de Claude Guéant devant les étudiants de l’UNI: 

« Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous toutes les civilisations ne se valent pas. » 

« Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. » 

« Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. » 

« Cela étant, si c’est l’occasion pour les français de se déterminer entre deux familles politiques qui n’abordent pas la vision d’avenir de notre société de la même manière, eh bien c’est une bonne chose. » 

 100 mots en tout, sujets sans doute à discussion, et c’est très bien, ça réveille.

 100 mots ! Et les angelots qui font la pluie et le beau temps sur les ondes n’en retiennent que 7, les sept mots qui les arrangent, qui leur permettent de substituer au débat : l’invective.

 Une bien curieuse façon d’informer les gens. 

 

§

11/01/2011

Quand le parti communiste s'indigne...

 

 

…accusant les autorités de pratiquer la censure (1), sais-tu ce que je fais ?  

Dans la cellule (2), chacun s’interroge : 

- tu ouvres un livre d’histoire ? 

- tu t’infliges pour la énième fois la lecture des trois volumes de l’Archipel du Goulag ?  

- tu te pinces pour vérifier que tu ne rêves pas ? 

- tu fais celui qui n’a rien entendu ? 

- tu cries, tu hurles avec le poète : 

 

« Je chante le Guépéou qui se forme
en France à l'heure qu'il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France
Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou figure dialectique de l'héroïsme… » (3)

 

- tu gonfles la poitrine au maximum, puis tu expires par petites saccades décontractantes? 

 Ou alors tu te dis que le plus dur est passé, et que rien dans la vie n’est jamais totalement négatif ? 

 Ou bien tu te rappelles la date du jour, on est le premier avril, ah ces plaisantins de la radio ! 

 Ou tu cherches immédiatement quelque chose à faire, planter un clou, ouvrir une porte, dérisoires faux-fuyants qui ne parviennent que rarement à juguler le stress. La solution pour oublier : réparer une fuite. Car cela implique une succession d’actions qui mobilisent corps et esprit : aller au fond du jardin pour couper l’arrivée d’eau au compteur, se munir d’une clé de 24, redescendre plusieurs fois au garage ou à la remise pour chercher celle de 22 qui ne va pas non plus il fallait la 23. Tenter de desserrer un écrou bloqué par le calcaire et la rouille depuis la signature du pacte germano-soviétique. Enfin, téléphoner au plombier. En gros, tu risques d’être occupé, mieux : préoccupé pendant un bon moment et je ne compte pas les minutes, les heures quelquefois les jours d’attente avant l’arrivée de l’homme de la situation et ses conséquences, les traces de brodequins boueux dans le couloir, le changement des joints et du vieux système d’écoulement incompatibles avec le nouveau siphon, la crainte de la facture, puis la facture elle-même accompagnée de l’habituel et douloureux sentiment d’impuissance ? 

 Cèdes-tu à la mélancolie ? La vie est bien triste, l’humanité te déçoit, tu avais tant espéré de tes frères humains, une larme une seule mais c’est déjà beaucoup scintille, glisse et s’épuise dans le creux d’une ride, quand tout à coup, dans un sursaut volitif qui peut parfois faire craindre le pire à ceux qui t’aiment, tu te dresses, le visage clair, les bras tendus le long du corps, les yeux mi-clos de ceux qui, par dessus les misères humaines distinguent les grands horizons, tu entonnes « Un bouleau s’élevait dans un champ » ? 

 Rien de tout cela, non ! Dans un grand élan compassionnel tu t’adresses à la cantonade : 

« et pourquoi donc refuser aux communistes le droit de qualifier une loi de liberticide ? »

et tu en rajoutes, même si tu n’en penses pas un mot, ça soulage :  

« De tous temps, les communistes ont combattu pour la liberté, que dis-je les libertés, en particulier dans ces pays où les populations ivres d’enthousiasme les ont appelés au pouvoir, libertés de penser, de réunion, d’écrire, de composer, libertés syndicale, politique (en particulier le multipartisme auxquels ils étaient très attachés)… »  

- Allez, vide ton sac … 

- mais où allez-vous chercher tout ça ? Non, quand j’entends ces gens-là prononcer le mot, ce cher mot LIBERTE…

 - oui ? 

j’esquisse un sourire.

 

(1) une cellule de prison (inspiré de « à 100 000 années des Lumières » sur nypour.blog4ever.com/) 

(2) un montage où l’on voit un pitoyable président de la république présenter ses vœux aux français en avouant misérablement son incompétence. C’est dans un total respect de la légalité que ce reportage (d’une balourdise à la Marchais) a fini ses jours (et encore pas totalement sur la toile). En conséquence, le PC hurle à la censure. On imagine à Cuba, en Chine ou en Corée du nord, un faux président présenter de faux vœux à la télé et sur le net. On imagine seulement. Vérité en de ça, erreur au-delà. 

(3) véridique, c’est d’Aragon, ce poète aujourd’hui tant loué sur toutes les radios.