03/01/2015
Culture obligée ?
On me téléphone. C'est gentil, pour avoir des nouvelles. Je n'aime pas trop en donner des nouvelles, rien que le mot m'énerve, en général elles sont mauvaises, il faut pourtant dire qu'elles sont bonnes. Ah tu es allé au cinéma ? Oui pour voir « Camping ». Quoi ? Toi tu vas voir ce genre de film ? Tu plaisantes ou quoi ?
En général j'en rajoute : « excellent film, comique certes, mais aussi peinture intéressante des rapports humains ».
Silence au bout du fil. Je n'aime pas ce silence, je sais que je vais être catalogué et rangé au fond d'un tiroir.
Le 18 octobre 2014, après l'affaire de la structure gonflable, œuvre de Paul McCarthy de 24 mètres de haut dressée au milieu de la place Vendôme, qui avait été dégonflée dans la nuit par des inconnus, l'adjoint à la culture de la mairie de Paris est à la radio. Il défend l’œuvre, ainsi que la liberté artistique. Il condamne cette dégradation, mais dans son discours deux mots retiennent mon attention. S'en prenant aux adversaires de l’œuvre, il évoque une "vision populaire naïve". Pourquoi populaire ? Qu'est-ce que le peuple vient faire ici ?
A la radio, rubrique culturelle : on classe spectacles, concerts, théâtres, films et livres, en précisant à quel public ils sont destinés. Ceux qui classent ainsi sont les gens avisés, avertis, instruits, fins, réfléchis, distingués, délicats aussi car incapables de mépris vis à vis de ceux qui n'ont rien de tout ça et qui se pressent, foule innombrable perdue pour la « culture » aux grilles des spectacles classés « grand public », bref le peuple.
Pauvres de nous qui osons rire de la Grande Vadrouille ou du Corniaud, qui préparons un avenir pitoyable à nos enfants en les livrant une journée entière à la culture Disneyland, qui nous plantons devant les jeux télévisés, qui suivons assidûment les feuilletons américains scotchés devant la chaîne de droite TF1, qui remplissons les stades en chantant faux des hymnes incompréhensibles, oui pauvres de nous.
Ceci dit, pourquoi aurions-nous honte ? Pourquoi serions-nous ridicules en disant qu'on s'est ennuyé pendant un long métrage de Fellini ? Ridicules en disant qu'on a regardé dix fois Il était une fois dans l'ouest ? Où commence et où s'arrête la liberté d'aimer ou de ne pas aimer ? De rire ou de ne pas rire ? D'être touché ou de ne pas l'être ? Qui pourra me dire cela ? Me dire ce qui est sublime et ce qui ne l'est pas ?
Rappelez-vous. On a vu dans le passé des dictatures pleines de bonnes intentions qui faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour éduquer leurs administrés. On leur disait ce qui était bien, ce qui était mal. Ce qu'il fallait lire, ce qu'il ne fallait pas. Il y avait la bonne culture, il y avait la mauvaise. Pardon, la mauvaise n'était pas proposée, elle avait pris le chemin de la Sibérie et finissait ses jours entre deux rangées de barbelés. Vous riez ? Vous dîtes qu'on n'en est pas là ? Certes, mais je me dis en écoutant certains de mes contemporains, qu'il suffirait de peu de choses.
Je reste persuadé que les artistes, ceux qui ont vécu et qui ont quelque chose à dire, à montrer, à faire entendre, que les artistes s'adressent à tout le monde, sans distinction d'origine, de couleur de peau, de classe sociale. L'art appartient à tout le monde, et si certains doivent avoir honte, ne les cherchez pas dans le public que nos conseillers en culture qualifient de grand avec mépris, mais parmi ces boursicoteurs qui cachent de grandes œuvres dans leur chez eux, à l'abri de l'impôt.
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09:38 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : culture, bobos, peuple, grand public