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30/12/2009

XVII- S'il y a quelque chose à chasser, nous survivrons

      Nous disposons d'une bonne réserve de nourriture. Ce n'est pas de la haute gastronomie mais des conserves, des mets tout préparés conservés sous vide. Cela durera un temps. Il faut penser à l'avenir. Les cabanes seront bientôt terminées, beaucoup d'entre nous s'occupent à l'intérieur : égalisation et damage du sol, aménagement du couchage, les plus habiles d'entre nous ont réalisé des tables, des bancs et du petit mobilier en rondins de bois. Des chaumes constitués d'un mélange de branchages, de fines brindilles et de feuilles nous protégeront des intempéries. Mais pleut-il au moins sur cette planète ? Bien sûr que oui, sinon il n'y aurait pas d'arbres, de branchages, de brindilles ni de feuilles. Le plus gros du travail étant réalisé, nous explorons les environs immédiats de notre « village ».

 

 Le paysage n'est pas des plus pittoresques, nous sommes installés à l'orée d'un bois. Chose étonnante, aucun cri d'oiseau. De l'autre côté, si ce n'est cette brume de chaleur qui occulte l'horizon, la vue est dégagée sur des kilomètres : une lande qui nous rappelle celle de Lüneburg, moins les touristes en calèche évidemment. Ces grandes étendues d'un bleu profond, probablement des mers, parsemées d'îles ou d'îlots, ces grands espaces bruns ou verdâtres que nous avions survolés, quand Sésostris s'approchait d'Astrée... nous n'en voyons aucune trace, aussi loin que porte notre regard. Il est vrai que le vaisseau, en vol stationnaire à 30 miles d'altitude survolait un territoire d'une surface équivalente à celle de la Germanie ! Maintenant, au niveau du sol, à perte de vue, pas de lac, d'étang ni même de ruisseau, si ce n'est un maigre ru d'un liquide douteux qui coule péniblement à quelques centaines de mètres du camp. Alors pour l'eau, nous vivons sur nos réserves. Il doit bien y en avoir quelque part, les indigènes avaient nettoyé les plaies de la jeune fille avant de l'emporter. Une source ?

 

 La lande ressemble à un désert. En réalité, ceux qui s'y sont hasardés ont découvert une campagne bien vivante, herbeuse, parsemée de bosquets et de bruyères aux vives couleurs, ils en ont même rapporté des fleurs. Elle est bien vivante assurément cette lande où courent, vivent et se cachent de petits animaux et... des êtres humains ! Oui ce sont bien des hommes qui ont été aperçus hier, et pas des hommes de chez nous. Les indigènes chassent dans la lande. C'est la nouvelle la plus agréable depuis notre arrivée ici-bas. D'abord parce que c'est rassurant de les voir. Dans le bois, les enfants ont aperçu des femmes qui arrachaient des plantes. Chassés de leur village et réfugiés dans la forêt, ils ont gardé le goût de vivre, et leur habileté dans le maniement de la fronde en dit long sur leur capacité de survie. Et puis, s'il y a quelque chose à chasser, nous aussi nous survivrons.

 

 Il nous faut établir un nouveau calendrier. Voilà déjà quelque temps que je ne date plus les pages de ce journal. Nos montres et pendulettes s'étant arrêtées pendant le voyage, nous ignorons combien de temps a duré celui-ci. Ce que nous savons : nous avons vu deux couchers de Proxima (le soleil d'Astrée) pendant le déchargement de Sésostris par aller et retour des navettes.  Depuis l'atterrissage, il s'est levé et couché quatorze fois. Ici le jour dure une trentaine d'heures. A quoi bon reprogrammer nos montres ? Leurs batteries seront épuisées un jour ou l'autre, et personne parmi nous ne comprend rien à l'électronique. Les autres feront comme moi, ils tiendront un journal. A partir de maintenant, je préciserai la date en comptant les jours depuis notre arrivée sur Astrée, jour Zéro.

 

 Jennifer revient du bois toute excitée. Elle a couru, elle se tient les côtes. Dans un souffle, elle a le temps de me dire qu'un arbre au feuillage suffisamment dense lui procure un discret poste d'observation en direction de la clairière où sont établis les indigènes...  Avant même qu'elle ouvre à nouveau la bouche pour me rapporter (dans le moindre détail, je la connais !) ce qu'elle a vu, je l'arrête dans son élan.

 

  • - Penses-tu vraiment que ce soit la meilleure manière d'entrer en contact avec ces gens? Nos enfants n'ont eu besoin ni de se cacher, encore moins d'espionner pour nouer des relations avec les enfants des Autres...

 

Encore essoufflée, à peine remise de sa course dans les bois, elle reste bouche bée, ne sachant quoi dire. J'insiste.

 

  • - Est-ce que tu réalises que ces gens ont été expropriés, par les nôtres! Ils se réfugient dans la forêt, d'où on les espionne! S'ils te découvrent, c'en sera fini de nos relations, et pour longtemps, avant même qu'elles aient commencé.

 

 Peut-être y suis-je allé un peu fort, nous vivons un peu sous tension, je ne cesse de ruminer, il faut penser à nous, aux enfants, savoir de quoi demain sera fait...

 

 Jennifer s'est éclipsée dans la case. Ce soir, nous ne ferons pas couche commune.

 

17° jour : Nous sommes réveillés par des coups de feu. Probablement des chasseurs, des gens de chez nous bien sûr. Les armes à feu avaient pourtant été prohibées dans les vaisseaux... Ils seront bien un jour à court de munitions. Pour notre part, nous avons taillé des sagaies et passé les pointes au feu. On s'entraîne au large pour éviter tout accident avec les enfants, aux premières heures du jour. Le vent se lève régulièrement dès que l'astre lumineux monte au zénith. On s'entraîne alors à la fronde. Nos enfants ont pu observer comment s'y prenaient les Autres. Ils nous expliquent. Mais nos essais n'ont rien de concluant. Pendant longtemps encore il faudra lancer les pierres à la main. On se demande avec inquiétude quels animaux se laisseront prendre de la sorte !

 

 Jennifer ne me parle pas. Elle est partie dans la matinée et n'est toujours pas revenue.

 

 Ce soir, il y a de la fumée au loin sur la lande. On distingue des silhouettes. Ce sont des Terriens, une navette avait atterri dans ce secteur quelques heures après la nôtre. Pendant ces premiers jours nous fûmes tous occupés au point d'oublier que plusieurs millions de nos congénères avaient été déposés sur Astrée. Il est inévitable qu'un jour on se rencontre. Sots comme ils sont, les hommes seraient bien capables de reconstituer les nations, de réinventer des frontières, et pourquoi pas... de se faire la guerre. Trêve de plaisanterie. Je dis plusieurs millions, j'exagère, il était question de répartir l'humanité dans cette même région stellaire sur une dizaine de planètes que les Gens du Voyage tenaient pour habitables. Saurons-nous un jour combien d'êtres humains ont pu être épargnés par la Catastrophe ? Une chose est certaine : les malheureux qui n'ont pu ou pas voulu être emportés, sont aujourd'hui redevenus poussière. A moins que, dans des caves, des couloirs de métro, des souterrains... Je n'ose pas y penser et je prends un air évasif quand les enfants me posent la question.

 

La lande ressemble à un désert.jpg

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