30/03/2010
XXVI- Qui? Qui a pu faire ça?
31° jour : Ce que nous avons vu est indescriptible. Le village d'où les Ahrt avaient été chassés est sens dessus dessous. Les cases sont écrasées, les pieux et les chaumes éparpillés, et s'il n'y avait que ça ! Il y a eu ici un massacre. Des corps jonchent le sol, plutôt des lambeaux, ici un bras, là une tête, et partout du sang, la terre est rouge. Certains ont été emportés, des traces en témoignent. Vu l'état de décomposition des cadavres, ou de ce qu'il en reste, j'évalue à trois ou quatre jours le décès de ces individus. Ce sont les nôtres, le doute n'est pas permis : vêtements, stature. Quand je dis « les nôtres »... bon on s'est compris.
L'odeur était insupportable, Xu voulait revenir, il est un peu jeune, il restait à l'écart. Des cadavres étaient cachés sous les chaumes des toitures effondrées. A plusieurs, nous avons pu dégager quelques corps. Il n'y avait pas trace d'Helmut, c'était la seule personne que je connaissais dans ce groupe. Nos recherches n'ont pas duré longtemps. Xu nous attendait en lisière de forêt. Il était pâle et tremblait de tout son corps. Renfrogné était imperturbable, je me demande ce qui pourra bien un jour le dérider celui-là. Quand à moi, je pris la décision, pendant que nous marchions en direction du camp, de ne pas rapporter à mes enfants ce que nous avions vu. On se mit d'accord ensemble, à part Renfrogné, nous avions tous des enfants, et nous pensions que notre exil sur une autre planète provoquait chez eux un traumatisme suffisant pour ne pas en rajouter. Et puis, mis à part les cadavres et le sang, nous ne savions rien. Alors, à quoi bon parler ?
A notre retour, le camp était paisible, Proxima au zénith, c'était l'heure la plus chaude, la place était déserte. Je ne voulais pas laisser Xu affronter seul les questions que lui poseraient les siens. Nous ne restâmes pas longtemps tous les cinq à discuter devant ma case, des femmes nous rejoignirent. Nos premières paroles : « Les gens qui occupaient le village ont été attaqués... » prirent progressivement une coloration plus fidèle à la réalité, et comme ces femmes et d'autres, des hommes aussi, les rejoignaient, nous jugeâmes plus raisonnables, après avoir vérifié l'absence des enfants, de rapporter avec la plus stricte exactitude ce que nous avions vu. Et l'émotion aidant, chacun d'entre nous en rajoutait, n'omettant aucun détail, les huttes renversées, les cadavres disloqués, les membres épars, et comme si ce n'était pas suffisant, j'entendis Kui, l'un de mes compagnons, devant les visages horrifiés de l'assemblée, affirmer que le sang coulait à flot et qu'il avait perçu un appel, il s'était approché d'un tas de débris, une tête était là, tranchée, et sa bouche tremblotante souffla ces mots « au secours, aidez-moi ! » puis plus rien. Il tremblait en parlant, il était pâle et des gouttes perlaient sur son front. A peine eut-il prononcé ces derniers mots « aidez-moi » qu'il s'effondra. Des hommes le portèrent dans sa case, accompagnés de sa femme, pendant que je m'efforçais de rétablir la vérité sur l'événement. Assis à quelques mètres de là, tenant une longue baguette avec laquelle il s'amusait à déplacer des cailloux, Renfrogné ne disait mot, je l'avais seulement vu dodeliner de la tête quand Kui s'était mis à délirer devant nous tous.
J'attendais la question. Elle vint d'une jeune femme, je ne connais pas son nom, elle est peu bavarde, on la voit peu, mais suffisamment pour que... bref, j'ai remarqué que Xu lui tourne autour depuis quelque temps.
- - Qui? Qui a pu faire ça?
§
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13:32 Publié dans A 100.000 années des Lumières | Lien permanent | Commentaires (0)
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