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14/02/2013

La faucille et le marteau

 

 D’abord, je me suis dit que la décision d’abandonner ce symbole appartenait au parti communiste, et que les gens qui n’avaient pas la carte n’avaient rien à voir là-dedans, c’est mon cas.  

 A la réflexion, j’ai eu comme on dit un petit pincement au cœur. Non pas que je regrette loin de là l’époque flamboyante du parti et l’édification héroïque du totalitarisme à l’est de l’Europe. Non. Pour moi, l’association de la faucille et du marteau a un sens plus profond, plus simple aussi : l’ouvrier et le paysan unis dans un même monde, celui du travail. Il y a quelques jours ici même, je maudissais cette société imbécile qui tire un trait sur le savoir-faire, l’inventivité, la créativité, l’intelligence, qui sacrifie ceux qui font, qui fabriquent, qui produisent les richesses. Et je parlais de mon père qui était fraiseur, de la qualité de son travail, travail effectué maintenant par des machines, et loin d’ici. Je pense aussi à Simone Weil qui parlait si bien de la condition ouvrière, et de celle du paysan. Si la vie de ce dernier est laborieuse, elle est aussi conditionnée par les caprices de la nature. Eleveur et agriculteur ne peuvent agir librement, indépendamment du climat, des saisons, de la qualité de la terre, du soin à apporter aux animaux. Il en est ainsi depuis des millénaires. Par rapport au travail en usine, c’est encore un avantage de dépendre des caprices de la nature. Mon père travaillait en alternance quinze jours de jour et quinze de nuit. Quand il était à la maison, il dormait. Quand on le voyait, c’est qu’il se dépêchait d’aller prendre son car. Longtemps son atelier fut installé près des presses, il en devenait sourd. De jour, de nuit, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, il allait prendre son autocar, la gamelle sous le bras. On lui demandait ce qu’il faisait, ses chefs ne lui disaient pas toujours. Et encore, lui était qualifié. On imagine le peu d’intérêt que devaient porter à leur travail ceux dont les gestes étaient répétitifs, chargés de reproduire à l’infini des pièces dont ils ignoraient tout sauf l’endroit où il fallait percer des trous.

  « Lorsqu’il met mille fois une pièce en contact avec l’outil d’une machine, il se trouve, avec la fatigue en plus, dans la situation d’un enfant à qui on a ordonné d’enfiler des perles pour le faire tenir tranquille (…) Il en serait autrement si l’ouvrier savait clairement, chaque jour, chaque instant, quelle part ce qu’il est en train de faire a dans la fabrication… » (1) 

  Quel chemin parcouru depuis ! L’ouvrier aujourd’hui, malheureusement n’a plus ces soucis. On le chasse. Il part, avec quelques sous en poche, laissant sur place son outil de travail. Reclassement, reconversion, baratin. Des millions d’hommes et de femmes restent sur le carreau, et leurs enfants avec. Plus d’usine, plus d’artisans, plus de commerces, plus de gare, plus de bureau de poste, plus d’école. Mais si ! On propose quelque chose, dans l’animation, les associations, la visite des personnes âgées, le gardiennage, les loisirs, et on en trouve des petits boulots, si on en manque, on les invente. Tout est bon pour apaiser la conscience de ceux qui savent. Qui savent qu’il n’y a pas d’autre solution que de jeter à la rue des millions de personnes. Alors vous savez, la transmission du savoir-faire, peut-être a-t-elle encore un sens en Corée, en Nouvelle-Zélande, mais ici, c’est foutu, ou alors, comme ces photographes qui passaient des heures sous une lampe rouge à révéler des détails dans les hautes lumières, cela fait rire tout le monde, le travail c’est fini, place à l’ipade et je me fous de savoir comment ça s’écrit, place aux loisirs, au jeu, rien de tel pour occuper le chômeur. 

 Quand au paysan aujourd’hui, il doit subir d’autres caprices, pires que ceux de dame Nature. Les quotas, la concurrence au-delà des frontières et jusqu’aux antipodes, les prix des semences, les exigences des distributeurs, sans oublier les difficultés croissantes dans sa vie quotidienne liées à la fermeture des commerces, des écoles, à l’exode des services publics.  

 Oui, la disparition de la faucille et du marteau a du sens, bien au-delà des discussions internes au parti communiste. Signe de la fin d’une époque, j’allais dire pour paraphraser Coluche, le mouvement ouvrier s’épuise, nous n’avons plus que Lisieux pour pleurer. Et les religions sont fleurissantes, pleines de vie, qui vendent de l’espoir pour pas cher. Pour pas cher c’est encore à voir. 

 Ceci dit, plutôt que s’en prendre à la faucille et au marteau, nos communistes, depuis des lustres, auraient pu être moins timides et moins sourds, quand ils savaient. Je parle de leurs dirigeants, de leurs intellectuels. Pour un Pierre Daix courageux, combien se sont tus ? Alors qu’ils se pâmaient devant le stalinien Aragon aux allures de poète(2), à deux mille kilomètres d’ici on tirait à balles et à chars sur les ouvriers de Budapest, on déportait, on internait, on massacrait des peuples entiers. Par respect pour les victimes, de la Russie au Cambodge, de la Pologne à la Roumanie, de la Chine au Tibet, le mot lui-même est à bannir, celui de communisme. Il a fait suffisamment de mal à l’ouvrier et au paysan. A ceux qui ont cru en lui, qui se sont battus pour lui. 

§ 

(1)   Simone Weil, La condition ouvrière ;

(2)   Pour le texte intégral, reportez-vous au Blog en hommage à Léon Chaix : 

"Prélude au temps des cerises " de Louis Aragon


(…) « Je chante le Guépéou qui se forme
en France à l'heure qu'il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France
Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou figure dialectique de l'héroïsme… »

08/02/2013

Tisserons-nous un jour le linceul du vieux monde ?

 

 

Vous souvenez-vous ? Mais si ! Vous avez la musique en tête… 

Pour chanter veni creator

Il faut porter chasuble d’or 

C’est nous les canuts

Nous sommes tout nus 

 Les canuts n’existent plus mais l’injustice persiste. Certes la pauvreté ne crève pas les yeux dans les rues. On peut disposer d’une automobile et manquer de tout. Jouer sur ordinateur, avaler les programmes télé et se nourrir comme on peut. Cacher sa misère. Quand des sommes colossales sont versées aux actionnaires des grandes entreprises, sont livrés au chômage des travailleurs sans lesquels actionnaires, entreprises et bénéfices n’existeraient pas. 

Nous tisserons le linceul du vieux monde

Car on entend déjà la révolte qui gronde 

 On peut ne pas partager les paroles outrancières et parfois menaçantes des délégués syndicaux des entreprises qui ferment, mais au moins eux, on les écoute. Ils savent de quoi ils parlent. Quand des artisans, des commerces, des cafés, des villes entières n’ont plus de grain à moudre, c’est la vie qui s’en va. J’ai vu dans ces belles régions du nord, oui ces belles régions du nord mais ça il ne faut pas le dire, pour l’opinion le nord c’est pas beau… j’ai vu dans ces belles régions du nord des quartiers entiers à vendre, des zones, des espaces inhabités, personne pas un gosse dans les rues, des cartons aux fenêtres, des portes entrebâillées sur rien, comme si tout le monde venait de partir. Quand j’ai vu cela, j’ai pensé aux canuts, à la révolte qu’ils annonçaient et qui ne gronde plus. Plus d’un siècle après les premiers combats ouvriers, la chasuble d’or pour certains et la nudité pour d’autres.  

 Pas vraiment la nudité, n’en déplaise aux fondamentalistes politiques, la classe ouvrière n’est plus ce qu’elle était, au moins ici. Elle est partie sous d’autres cieux, sur d’autres continents. Là où, comme aux siècles derniers en France, même les enfants travaillent dans des conditions très dures. L’ouvrier français sans emploi, la petite solidarité des associations peut lui venir en aide, il aura de quoi se nourrir, un toit ce n’est pas sûr, et ses enfants, l’avenir de ses enfants ? La société imbécile tire un trait sur le savoir-faire, l’inventivité, la créativité, l’intelligence. Il faut être Monsieur Jourdain pour croire que l’ouvrier travaille avec ses mains. Non mais regardez-les ces intellectuels d’opérette qui, derrière leurs verres fumés, toisent le  travailleur des rues, pensant par devers eux que finalement chacun est à sa place. Il n’y a pas de travail méprisable, s’il n’était que manuel, les tâches les plus difficiles pourraient être l’œuvre de robots. Nous sommes tous des êtres pensants, sauf peut-être ici ou là quelques bourgeois parisiens à qui l’école n’a pas livré ce qui leur était dû. 

 Je dis société imbécile car ce sont les gens les plus précieux qu’on sacrifie, ceux qui font, qui fabriquent, qui produisent les richesses. Mon père était fraiseur outilleur en usine automobile. Il avait son certificat d’études et un CAP d’ouvrier qualifié. Le travail qu’on lui demandait était d’une précision inouïe, car il lui fallait ajuster les outils qui servaient à donner les formes lors de l’emboutissage des tôles de carrosserie. Mon père qui était d’une maladresse qui nous faisait rire était dans son métier d’une compétence reconnue. Savoir faire. A l’époque ils étaient 30000 dans l’usine. Aujourd’hui je ne connais pas le chiffre exact, mais je crois trois ou quatre mille. Certes il y a les robots. Mais à nos enfants les robots ne transmettront rien. On dit que nos jeunes n’ont pas le goût de l’effort, mais la société qu’on leur présente n’ambitionne plus que le farniente, le loisir et l’inactivité. Dans cet environnement, ce n’est plus l’intelligence et l’effort qui sont récompensés. Mais la paresse et son corollaire la ruse, peut-être aussi la délinquance.  

 Et quel horrible mot celui de reclassement !  A trente ans quand on a peu d’expérience et la vie devant soi, on peut faire un effort pour s’adapter. Quand on a trente ans de maison, le savoir et la compétence et qu’on vous dit la bouche en cœur qu’on va faire de vous un autre homme, il y a des claques qui se perdent. D’ailleurs les claques se perdent de plus en plus, ce n’est pourtant pas les têtes qui manquent.

 

C’est nous les canuts

Nous sommes tout nus.

 

§