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26/05/2013

Pluie et froid encore pour quelque temps

 

 Même le temps s’y met. Printemps en panne. Il pleut. La radio s’arrête. J’ai beau appuyer sur « on », ça grésille pendant cinq minutes, puis plus rien. De toute façon, pour ce qu’on y entend ! Côté jardin, le lilas trempé a pris un air penché, les plants de tomates s’étalent sur la terre, un merle fait une courte apparition, l’écureuil s’est absenté, jusqu’à quand je me demande, l’amélioration n’est pas pour demain. Je doute qu’il y en ait une un jour. Non, tout va continuer ainsi, de travers, en gris, en pluie. On ne voit rien venir. 

 Il était bien le temps de notre jeunesse quand même sous la pluie on attendait la révolution. Que dis-je ? On la PREPARAIT. Elle allait venir, elle était là. Avec ses drapeaux rouges, son chant des canuts, bientôt sur la terre plus personne n’irait nu, et leur chasuble d’or les prélats des églises pourraient se la mettre… On était tous sur le Potemkine. Tous les jambons du monde étaient avariés, les matelots des cuirassés de guerre tout en haut des mâts, le regard fixé sur l’infini, appelaient à l’insurrection. Les landaus dévalaient des escaliers gigantesques. C’était une époque où l’on ne s’indignait pas. On avait notre dignité. On se révoltait. Et si dans la liesse des voitures étaient renversées, c’était pour quelque chose, dans une folie révolutionnaire, une pulsion venue des tréfonds, pour se libérer, nous, libérer nos camarades, tout le monde, les ouvriers, les étudiants, les paysans, les femmes. Ah ça, il pouvait pleuvoir, il aurait neigé en mai qu’on aurait été dans la rue pour gueuler notre haine mais c’était une bonne haine, qui venait du cœur, haine de tous les enfermements, des murs de la honte, de l’injustice, des forteresses que depuis les siècles des siècles les hommes dans leur stupidité avaient élevées contre eux-mêmes. Ah il pouvait pleuvoir ! 

 Les révolutionnaires ont pris du ventre. Je n’ai plus qu’un pantalon à ma taille. La moitié de ma penderie est à donner aux pauvres. Oui, ils sont toujours là, ils n’ont pas grossi eux, mais ils sont encore plus nombreux. Ils sont dans l’attente, d’une pièce, d’un vêtement, d’un toit, d’une école, d’un sourire. Ils sont perpétuellement sur le qui-vive, à l’affût, ils n’ont pas de repos. Ils sont en guerre. Certains, plus forts et plus fiers que les autres le sont contre la charité des humanistes d’occasion, la bonne vieille charité qui n’ose plus dire son nom mais qui est restée la même, celle des monarques et des églises, celle qui retarde indéfiniment l’explosion, la jacquerie, la rébellion, l’émeute, la révolution. Nous sommes encore dans l’ère des guerres et des révolutions, mais c’est dans la grisaille et sous la pluie. Les guerres apportent toujours le crime et la désolation, les révolutions portent des cinglés au pouvoir, des primitifs qui voilent les femmes. Il fut un temps, où tout était loin d’aller pour le mieux, mais les filles qui venaient d’Algérie enfilaient des minijupes et montraient leur chevelure. J’y pensais hier au supermarché en voyant ce gros con barbu au visage fermé qui tenait deux fillettes par la main, derrière une femme qui poussait le chariot, entièrement de noir vêtue, on ne voyait que sa face, et je me disais ces fillettes que vont-elles devenir ? Et là-haut les personnes qui ont entre leurs mains la destinée du monde se demandent si la courbe de la croissance va s’inverser dans les mois qui viennent, s’il fera beau à Roland Garros. Je parle, je parle, et l’écureuil n’a toujours pas réapparu. Il fait comme tout le monde, il s’abrite, bien au chaud, il attend le printemps. 

 

§

10/05/2013

Est-ce que la fin justifie les moyens ?

 

 Les Saintes Ecritures l’attestent : tout est permis à celui qui se croit investi d’une mission divine. Pour employer un mot savant, et pour revenir sur nos cours de terminale, on peut parler d’eschatologie : l’étude des fins dernières de l’homme et du monde (Petit Robert). La religion, quelle qu’elle soit, ne se conçoit qu’en fonction de ce qui arrive à la fin. Il y a toujours un Jugement dernier quelque part. Tout s’ordonne selon ce dernier, dans la vie, le comportement, la conduite, jusqu’aux plus infimes détails de la vie quotidienne. Nul mieux que les religions n’aurait donné une aussi évidente justification à la poursuite du Bien, à ce qu’on appelle le sens moral. A ce qui paraît. Car on sait qu’on a encore peur aujourd’hui que les Cieux nous tombent sur la tête. La poursuite du bien par peur de l’enfer n’a rien à voir avec la morale. Pas plus que son contraire : la violence et la guerre dans l’espoir du paradis. 

 Les siècles passés ont été durs pour les religions. Avec raison, car pour arriver à leurs fins, elles avaient été peu regardantes sur les moyens. Les philosophes ont travaillé, critiqué, démonté, remis à sa place le dogme religieux. Mais à quel prix ? Bien souvent pour le remplacer par un autre, tout aussi néfaste, il a fallu plus de cent ans pour s’en rendre compte. Un penseur lucide (1) l’a dit à peu près en ces termes : sur le trône encore chaud de Dieu s’est installé le socialisme. Et pour faire quoi ? Pour définir une nouvelle fois où est le bien où est le mal, pour régler la vie des gens, pour dire qui sont les bons, qui sont les méchants, les bons étant ceux dont l’itinéraire coïncide avec le sens de l’histoire, « Sens » avec une majuscule, car la trajectoire est fixée une fois pour toutes, sa destination déterminée : la société idéale dans laquelle s’épanouira un beau jour l’homme total.  

 Le hic, c’est que pour y arriver, il faut faire quelques concessions à la morale. D’ailleurs de quelle morale s’agit-il ? De l’ancienne, celle des ignorants qui ne trouvent rien d’autre à penser que de s’occuper de leur jardin, de ceux qui n’ont pas compris que leur sort était lié à celui de l’humanité tout entière, bref des aliénés victimes inconscientes de la société de classe, vestiges d’une civilisation qui fut nécessaire, mais aujourd’hui dépassée. Mais pour eux rien n’est perdu, il y en a de récupérables, on a beaucoup fait pour eux, les camps de rééducation par exemple, outils nécessaires à la construction de la société nouvelle.  

 Aujourd’hui, de ces camps on n’en parle plus que dans ces pays lointains où le dogme a su employer les armes et la violence nécessaires à la poursuite de ses objectifs fous. Dans nos contrées où les droits humains sont à peu près respectés, où le pire des criminels a encore droit à des avocats comme aux faveurs de la presse, il serait malvenu à un intellectuel inspiré de faire la réclame d’un fil de fer barbelé si peu piquant soit-il. Il serait pris pour ce qu’il est : un fou. Bon, il y en a bien un ou deux égarés ici ou là sur les plateaux de télévision, ils passent encore pour des clowns, méfions-nous quand même. 

 Donc Dieu est mort, les camps sont rasés. Tout danger n’est pas écarté pour autant. Pour certains, la fin justifie encore les moyens. La fin étant pour eux, et là ils ont raison, le bonheur du peuple, certaines attitudes douteuses seraient justifiées. Quels que soient la situation politique, les événements et même le sens de l’histoire, contre vents et marées, la gauche est convaincue de représenter universellement et éternellement le peuple. A quoi bon voter ? Quand elle gagne, sa logique est respectée, c’est le peuple qui a terrassé le diable. Ce dernier porte des noms variés et adaptés au moment : grand capital, impérialisme, extrême droite, boursicoteurs, marchés financiers… Quand elle perd, c’est que l’ennemi a réussi à tromper le peuple, c’est le mensonge qui a pris le dessus, la ruse et la finance ont eu raison –pour un temps- du sens de l’histoire. Ou alors, mais là c’est un signe rare du désespoir, la gauche a perdu en tirant contre son camp, par la division, et on profère alors des propos très durs à l’encontre du parti qui a failli à sa mission. Renégat, ennemi du peuple, agent de l’étranger sont les qualificatifs adaptés à la situation. 

 La droite n’a d’autre intérêt à défendre que celui de son porte-monnaie, ce qui la soulage d’un poids énorme –les transactions ne se font plus en monnaie trébuchante ni en lingots d’or- et si elle prétend parfois oeuvrer au  bonheur des pauvres, c’est parce qu’elle a besoin des suffrages populaires pour assurer son avenir politique personnel, politique et finance étant réunis  pour le meilleur et pour le pire.  

 Il en va différemment de la gauche. Elle est en mission. Même vaincue aux élections, elle reste mandatée par le peuple. Elle n’est jamais fautive, tout au plus, les hommes et les femmes qui la composent commettent des erreurs, qui leur reprochera ? Sur un mur s’étalent les portraits de ses ennemis politiques, ceux de droites, ou qui font le jeu de la droite. Au-dessous les commentaires sont grossiers, injurieux. Le mur n’est pas dans la rue, mais dans un local syndical de magistrats. Dans un pays éternellement en proie aux conflits politiques, il est normal que chacun, selon ses convictions en pense ce qu’il veut. Certains peuvent même en rire. Ce qu’ils ont fait d’ailleurs. La question qu’on peut se poser : cela aurait-il été possible dans le local d’un syndicat de magistrats de droite ? Je pense que non. Ou l’événement aurait soulevé les protestations unanimes des médias, des syndicats et de tout ce que la gauche compte de chroniqueurs, d’écrivains, d’artistes, de chanteurs, de cinéastes, de peintres et de photographes réunis. A commencer par celui qui aurait réalisé ces photos, à coup sûr, au lieu d’être sanctionné, il aurait mérité le prix Pulitzer. 

 Et cet acte lamentable de s’en prendre aux personnes elles-mêmes, en étalant leurs portraits, comme si on voulait les exposer à la vindicte populaire –qui pouvait assurer que les images de ce « mur » honteux ne seraient pas rendues publiques un jour ?- cet acte lamentable en rappelle d’autres, surtout dans la manière. Je pense aux méthodes des fascistes et des staliniens. Mais ces gens-là ont la conscience tranquille : dans le partage entre le bien et le mal, ils sont –par essence- du bon côté.  

 

§ 

 

(1) Nietzsche