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05/12/2018

Pourquoi donc ces gens-là...

 

 

...ne sont-ils pas contents ? Ils disent que leurs déplacements leur coûtent de plus en plus cher, qu’ils ont du mal à boucler leurs fins de mois, qu’ils n’arrivent plus à vivre et à faire vivre leur famille décemment ni à s’accorder des loisirs. Ils disent qu’ils ne sont pas insensibles au danger que la pollution automobile fait peser sur l’environnement, mais que pour un artisan, un ouvrier, un paysan, un commerçant vivant loin des métropoles, l’achat de véhicules propres n’est aujourd’hui financièrement pas possible.

 Nous vivons heureusement dans un pays où le droit de manifestation est respecté. On nous le rappelle d’ailleurs régulièrement, le rôle des forces de l’ordre étant d’éviter tout débordement susceptible d’empêcher les protestataires de se faire entendre. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que des manifestants par centaines de milliers répartis sur tout le territoire ne sont ni mobilisés ni encadrés ni représentés par une association, un parti politique ou un syndicat. Finalement ils ne représentent qu’eux-mêmes. On peut comprendre le désarroi du personnel politique du pays. La tradition veut que les mots d’ordre, les slogans, les calicots exhibés dans les cortèges soient compatibles avec les revendications et les programmes élaborés dans les sphères responsables, les bureaux syndicaux, les comités centraux, les comités de grève, bref les instances représentatives le plus souvent élues. Or dans le cas présent, il n’en est rien : pas de leader, pas de programme. Incroyable, inquiétant.

 On connaît les fonctionnaires, les ouvriers, les cheminots, les techniciens de surface, les commerçants, les restaurateurs, les aubergistes, les éboueurs, les paysans, les artisans, les routiers, les chauffeurs de taxi, les pêcheurs, les retraités, les jeunes des banlieues, on connaît même les délinquants, les racistes, les gauchistes, les fascistes et les homophobes, mais quand tous ces gens sont rassemblés, on ne sait plus qui ils sont. On utilise un artifice, en les identifiant par la couleur de leur gilet. Ils sont en nombre certes mais pas suffisamment pour qu’on parle de population. Comme on ne peut pas expliquer le phénomène, la moquerie tient lieu d’analyse. Le monde éclairé –ou qui croit l’être- nous parle de « beaufs », « d’homophobes », de « racistes », de gens sans culture, et toise ces centaines de milliers de gens avec mépris et condescendance. Tout juste si on ne parle pas d’une révolte de rustauds.

 On entend peu les commentateurs évoquer le « peuple ». Six lettres lourdes de sens et qui nous renvoient autant à la sociologie qu’à l’Histoire pour un concept non encore estampillé par la magistrature syndicale et politique. Par les syndicats parce qu’au-delà des catégories qu’ils défendent, ils ignorent les autres. Par les partis de droite parce que derrière ce mot, d’autres plus terribles encore leur viennent en mémoire, et pas seulement des mots. Par les partis de gauche parce qu’il leur reste quelques stigmates de marxisme et qu’ils peinent à analyser une situation sans faire référence à la division de la société en classes sociales antagonistes.

 Et pourtant, quand on enseigne la Révolution française aux élèves des écoles, on dit que le peuple a pris d’assaut la Bastille. Si un enfant nous demande ce que c’est que ce peuple qui a mis fin à des siècles d’injustice, que devra-t-on lui dire ? Qu’il s’agit des pauvres ? Des gueux ? Des Jacques ? Des vilains ? Mais il faudra qu’on lui parle des philosophes, des encyclopédistes, des réformateurs, des utopistes, des révolutionnaires, des orateurs, du tiers-état, des bourgeois, sans parler des bandits, des apôtres de la terreur, des va-t-en guerre, des justiciers mais aussi des vengeurs, bref d’une multitude de gens qui ont tous peu ou prou participé à la chute de l’ancien régime.

 Donc on ne parle de peuple que dans le cas d’une révolution. Brrrr… Restons-en aux personnes qui portent des gilets jaunes !

 

 

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04/12/2018

Les sondages ne disent pas tout

 

 

 Si 80% des français soutiennent les personnes qui portent des gilets jaunes, n’ayons pas peur des mots : on est à la veille de la Révolution. C’est ce que penserait quelqu’un qui ne nous connaît pas, une personne étrangère ignorant tout de la France et de ses habitants. Mais à nous on ne la fait pas. Les révolutionnaires d’ici sont surtout actifs le dimanche dans les réunions de famille, le soir devant la télévision ou lors des enquêtes d’opinion. Il y en a même de tendance jusqu’auboutiste, certains font peur. On se verrait bientôt la tête au bout d’une pique. Pour le bonheur de tous, ce ne sont que des orages, des tempêtes dans des verres pas toujours remplis d’eau.

 Ma première réaction à l’écoute de ces sondages a donc été l’étonnement, puis je me dis que le vent avait tourné, que les français allaient enfin mettre leurs actes en accord avec leurs paroles. Eh bien cette fois, c’est le cas. Sincère il faut l’être, et courageux, pour passer une nuit entière près d’un rond point balayé par le vent du nord afin de tenir un barrage et faire entendre que depuis des décennies des gens qui travaillent dur ont été oubliés. Ces femmes et ces hommes-là je les ai vus et je leur tire mon chapeau, en souhaitant que leur combat aboutisse. Mais il y en a d’autres, par millions, qui s’arrangent pour passer le rond point en affichant un gilet jaune. Pourquoi leur en vouloir ? Il faut bien qu’ils se rendent au travail, qu’ils aillent faire leurs courses, qu’ils conduisent leurs enfants à l’école.

Il faudrait interpréter les sondages plus raisonnablement : en réalité 80% des français sont opposés à l’augmentation des prix du carburant. Je me demande même si on ne frôle pas les 100%.

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