23/12/2014
Qu'elle est loin cette gare!
Vous est-il déjà arrivé d'être pressé, de tenter d'atteindre la gare à la limite du pas de course en évitant autant que faire se peut les rencontres dangereuses, voisins, cousins, amis, tous plus bavards les uns que les autres, qui sans le vouloir et avec les meilleures intentions du monde risquent de vous faire rater le train?
La marche à pied est un délice pour celui qui veut méditer, penser, construire, refaire le monde. A bicyclette ou en voiture, ce n'est pas possible, ça va trop vite, ce sont des modes de déplacement incompatibles avec la flânerie. Allez reconstruire le monde alors qu'un connard vous colle à 50 centimètres parce que vous ne roulez qu'à 30 kmh en ville à l'heure de la sortie des écoles! Non, si je me rends à la gare, ce sera à pied. Je vais pouvoir ruminer. Elle est à un kilomètre et demi, j'ai le temps de gauler à la frontière suisse les malhonnêtes qui tenteraient de mettre leurs richesses à l'abri de l'impôt, de traduire en justice les criminels de guerre, de redonner du travail à celles et à ceux qu'on a gentiment remerciés après des années de loyaux services contre un salaire de misère, de distribuer des jouets de noël aux enfants hospitalisés pour longtemps, de les amuser, de leur montrer qu'il y a du monde qui pense à eux, de dire aux religieux que leur dieu ils peuvent se le mettre quelque part...
...et patatras ! Voilà David au bout de la rue, et il m'a vu. Catastrophe, c'est le plus bavard des gens que je connais, je peux dire adieu au train de 37. Comment pourrais-je ruser avec cet homme qui est de tous celui que j'admire, qui me fait monter les larmes chaque fois qu'il me parle. Il m'appelle Michel et pourtant je ne l'ai rencontré qu'une fois dans une clinique de rééducation. Il fut rafflé pendant la guerre. Arrivé au terminus à Auschwitz, les SS avaient fait monter tout le monde dans le camion(1), mais avant de fermer les portes, un des gardes en uniforme avait fait redescendre le garçon, pour en faire monter un autre à sa place, allez savoir pourquoi? Le reste de la guerre ne fut pas pour lui une partie de plaisir, mais il eut la vie sauve. Il me racontait tout cela, et bien d'autres choses, ce type était captivant, d'une intelligence et d'une sensibilité rare. David!
Oui quand je suis pressé, je ne tiens pas à rencontrer des gens intelligents, je préfère en croiser d'autres, ils sont des milliers avec lesquels je n'ai rien à partager. Mais ce jour-là, quand il faut se rendre à Paris, que la boutique qui vend du papier photographique ferme à 12h30, et que le train de 37 risque de vous passer sous le nez, il vaut mieux croiser des gens à qui vous n'avez rien à dire. Mais la malchance s'acharne. Vous allez me dire, si l'individu dangereux est au bout de la rue, vous aurez peut-être le temps de changer de trottoir? Oui, sauf s'il n'apparaît pas au bout de la rue, mais par surprise à un carrefour, qu'il débouche de cette ruelle imprévisible, et que vous vous trouviez nez à nez avec cette femme dont l'enfant est hospitalisé pour longtemps, oh qu'il doit s'ennuyer là-bas sans personne pour l'amuser, sans voiture elle ne peut s'y rendre qu'en bus, mais ses autres petits ont aussi besoin d'elle, et comme vous le savez, les femmes font des enfants toutes seules, les hommes ont des occupations très importantes, ils ne peuvent pas être au four et au moulin. Qui osera me dire que -pour être à l'heure à la gare et simplement pour l'achat d'une boîte de cent feuilles de papier photographique- je devrais ignorer cette personne et me contenter de lui adresser un sourire, cette femme que je ne reverrai sans doute jamais, et qui pensera qu'après tout c'est normal que chacun s'occupe de ses affaires, que j'ai d'autres chats à fouetter, des choses plus essentielles que de m'enquérir de la santé d'un enfant dont les médecins ne savent ni n'espèrent rien.
Une chance enfin pour moi, je ne risque pas une rencontre avec Peter. Il est loin de l'autre côté de la Manche en Irlande. Ce serait quand même étonnant qu'il surgisse au coin de la rue, outre le fait qu'il est à des jours d'ici, il doit avoir maintenant dans les cent vingt ans, pauvre Peter qui aimait la France au point d'y avoir laissé son fils en juin 44, et qui pleurait quand il apprit que j'étais de là, français, de ce pays qu'il fallait aider et libérer des barbares. Son fils il ne l'a jamais revu, même pas son corps. Peter! Comment pourrais-je seulement écrire que je ne souhaite pas le rencontrer. Peter, si de là-haut où je crois que tu es, si de là-haut tu lis ces lignes, tu vois que je pense à toi et que l'idée de ne pas te rencontrer m'est insupportable. Quand nos regards se sont croisés, j'ai su que ce n'était pas un hasard, et que c'était pour toujours. Peter!
Il y a ceux que je ne croiserai plus jamais. Michel, allez je peux dire son nom, Laurent. Nous avions vingt ans, nous étions révolutionnaires, lui encore plus que moi, lui il l'était vingt quatre heures sur vingt quatre, avec un handicap: pour avaler quelque chose, il lui fallait mastiquer pendant des heures car étant enfant, il avait bu une gorgée de soude chez lui, au sous-sol là où étaient entreposés des produits dangereux. Un jour, c'est la bourde de ma vie, nous étions en camping avec des copains, et nous nous étions ce jour-là bien amusés, je lui dis, mais comment cette parole m'est-elle venue à l'idée? Je lui dis que nous aurions de ce jour de bons souvenirs! Imbécile que je suis! Il devait quelque temps après subir une opération de l’œsophage, opération prévue depuis longtemps je le savais, qui ne pouvait être réalisée qu'au terme de la croissance. Il m'a envoyé balader, en me disant que les souvenirs il n'en avait rien à foutre. Quelques jours après l'opération, il mourut d'une septicémie. Michel!
Et puis Catherine, pour moi c'était Menie. Une grand-mère comme il n'y en a pas beaucoup, employée agricole en Auvergne, elle ne connut pas souvent les bancs de l'école. Elle vint à Paris pour des ménages et gardiennage, elle était fière de m'annoncer qu'elle avait rencontré Marcel Aymé. Elle passa des examens puis fut embauchée comme soudeuse autogène chez Técalémit. Syndiquée et très active, elle participa aux mouvements de grève en 1936. Active mais responsable, elle combattit autant les patrons que les ouvrières pour qui la grève était l'occasion d'un défoulement, faisant du strip-tease debout sur les machines. Trente deux ans après, pour contredire l'adage selon lequel la sagesse vient avec l'âge (ce qu'on appelle la sagesse, c'est la lâcheté qui nous prend à tous les âges, mais qu'on ne déclare que lorsqu'elle est excusable) elle fut solidaire des grandes grèves et du mouvement étudiant. Là où elle est maintenant, cela ne m'étonnerait pas qu'elle serre les poings en voyant ce que les dirigeants du mouvement ouvrier sont devenus. Menie!
Sur le chemin de la gare, je ne verrai pas non plus tous ces amis que les années, la vie et la paresse ont éloignés de moi.
Je ne te verrai plus Jean-Bernard, mon ami. Si là-bas il pouvait y avoir un train en partance pour toi, plus personne, pas un David, un Peter, un Michel, pas même Menie ne pourraient m'arrêter. Un jour je le prendrai ce train, et crois-moi j'arriverai à l'heure dans cette foutue gare triste comme un jour sans pain. Jean-Bernard!
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les gens étaient asphyxiés à l'intérieur par un système de retour des gaz d'échappement.
09:03 Publié dans Jean-Bernard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rencontre, amitié
14/08/2011
Moi aussi j'ai cru au matin
Chaque année au mois d'août je pense à mes amis Michel et Jean-Bernard, nos vacances à Nyons, nos randonnées à bicyclette, et tout le reste.
Si c’était à refaire, tu parles. Ce n’est pas à refaire. Jamais. Ce qui est fait est fait. Le passé est passé. Il y a prescription. J’en avais touché un mot à Jean-Bernard, que j’aurais voulu recommencer ma vie, tout reprendre à zéro, retour au point de départ, quand j’avais quinze ans. C’est à quinze ans que les ennuis ont commencé. A lui j’en avais touché un mot, à personne d’autre je n’aurais osé faire cette réflexion qu’on aurait jugé sotte, puérile.
Il avait posé sa main sur mon épaule. Il reprend sa main et s’empare du verre posé sur la table basse. Il s’enfonce à nouveau confortablement dans le fond du canapé, boit une gorgée. C’est du Bourbon. L’alcool préféré de Jean-Bernard. Jean-Bernard est un sage. Il ne parle que de ce qu’il connaît, mais il l’exprime mal, sans effets. Moi, c’est le contraire, je parle bien de ce que je ne connais pas. Nous sommes complémentaires, d’où les liens qui nous unissent et les discussions interminables.
Jacqueline était assise à l’autre bout du canapé. Elle consultait les programmes de télé. Quand son mari a posé sa main sur mon épaule elle a laissé tomber le magazine, maintenant elle me fixe, je crois déceler une pointe de compassion dans son regard, aussi une interrogation. Habituellement, elle s’amuse de moi « Il est très fort, Michel ! ». Il faut dire que j’en rajoute « Quoi ? vous vous arrêtez toutes les deux heures sur l’autoroute ? Moi, Nyons-Conflans je t’avale ça en 7 heures et sans pause ! » Ca les fait bien rire tous les deux, d’autant que je participe de bon cœur, plus ils rient, plus je cherche à me rendre ridicule. Mais aujourd’hui, l’attitude de Jacqueline, sa position dans le canapé et son regard, surtout son regard, trahissent l’inquiétude. Ce n’est pas comme d’habitude. Il se passe quelque chose.
La pièce est décorée des tableaux de Jean-Bernard, plus loin dans le hall en fait c’est une verrière, il y a des photos d’arbre, des troncs noueux, il s’est mis à la photographie, il sait depuis quelques mois ce que c’est qu’un diaphragme, un temps de pose, une profondeur de champ, et encore il vaut mieux ne pas trop creuser, et il réalise déjà des tirages à faire pâlir de jalousie Weston, Ansel Adams et toute l’école américaine de la « Pure Photography ». D’où je suis j’aperçois le portrait de sa grand-mère qu’il avait réalisé au pastel quand il était encore chez ses parents à Maurecourt. La pièce est sombre, les lumières parviennent de la fenêtre et des œuvres accrochées au mur, surtout de ce portrait de femme dont le voile délicat n’a pu être tracé que par un maître flamand de l’école des grands, Van Eyck ou peut-être Memling ou Van der Weyden.
Le sage pose son verre. Il me regarde, son œil rit déjà, puis il éclate :
- Allez, Michel, avoue, tiens en attendant, bois un coup !
Jacqueline sourit seulement, elle m’interroge du regard.
- Vous ne me croirez pas. De toute façon, j’ai déjà gâché ce bon moment que nous aurions pu passer ensemble…
Le sage :
- Allez, arrête, tu ne gâches rien du tout, tu nous surprends, c’est tout. Alors ? (il prend l’accent allemand) J’ai les moyens de te faire parler !
- Je… J’ai…
Chez Jean-Bernard, nous sommes souvent interrompus par des causes très diverses, l’eau qui bout et qui déborde sous le couvercle de la casserole, Jacqueline qui allume la télé car c’est l’heure des jeux de midi, alors que nous sommes en train de parler, les deux chihuahuas qui s’accrochent à mon pantalon ou qui se mettent à aboyer quand une ombre passe derrière la fenêtre. Aujourd’hui précisément, ce sont les chiens. Cela m’énerve au plus haut point, il le sait, il les prend sur ses genoux, les caresse, ils se calment. Mes deux amis, installés face à moi dans leur canapé, mes deux amis sont à l’écoute. On dirait un homme d’état une seconde avant la conférence de presse à la veille de la déclaration de guerre. Derrière moi, pas de drapeau, ni de France ni d’Europe. Pas de micros, et deux auditeurs! Les pires, ceux qui savent, qui me connaissent, qui devinent, au timbre de ma voix, mes pensées les plus intimes.
- J’ai cru au matin.
Jacqueline rit modérément, Jean-Bernard aussi, mais d’un rire que je connais bien, le rire à problème, celui qui sonne faux, qui trahit l'embarras.
- Tout le monde a cru au matin, Michel !
Jacqueline en rajoute :
- Tu étais jeune. En prenant de l’âge on devient réaliste, raisonnable.
Et elle saisit la télécommande. Jean-Bernard bondit :
- Ah non, pas maintenant. On parle, Jacqueline !
Elle est fâchée et disparaît vers la cuisine. C’est bon signe, elle a compris qu’il n’y avait pas urgence, Michel va très bien, il nous joue son numéro habituel, il est temps de mettre le gros sel et les pâtes dans l’eau. Tant pis pour les jeux de midi.
J’en avais trop dit. Il fallait en finir. J’ai tout déballé. Mars, avril, mai, juin 1968. Juillet, août et toutes ces années terribles, lourdes, de plomb. Tous les espoirs déçus. La droite bras dessus bras dessous à l’Etoile, les staliniens rayonnants, il faut savoir terminer une grève, les chars qui écrasent le Printemps de Prague, la dissolution des organisations révolutionnaires, les dissidents expulsés d’Union soviétique qu’une petite poignée de français accueillent à l’aéroport. Mes études sacrifiées, adieu concours, adieu CAPES. Pas pour tout le monde, je l’ai constaté par la suite. Beaucoup ont cru au matin. Moi, c’était matin, midi et soir, même la nuit. Au point de faire l’impasse sur les choses essentielles, ma femme par exemple que j’oublie, un soir, à Paris. Et mes enfants, ah oui, mes enfants, ils étaient moins importants que la Révolution Mondiale, mais quand ils seraient grands ils connaîtraient le paradis communiste, les derniers seront les premiers, sur terre, sur cette bonne vieille terre où tous les problèmes seront résolus par une bonne dictature pour commencer, attention, une dictature sympa, celle de la classe ouvrière, les capitalistes au pilori, des soviets partout, partout, partout jusqu’aux Galapagos où c’est les Galapagos ? Jean-Bernard et Jacqueline ne buvaient plus, ils étaient prostrés les pauvres, ah j’aurais dû me taire, garder ces horreurs pour moi, et faire semblant de croire encore à l’avenir, d’aborder la question des élections municipales, la coupe du monde de foot chez les colonels argentins, que sais-je encore, les chihuahuas vautrés sur leurs genoux feignaient de dormir, par moment ils ouvraient un œil quand j’élevais la voix. Ah j’y allais de bon cœur. Et puis il y a eu l’armée, quatre mois seulement, même pas les EOR, je restai avec le peuple, le vrai, celui des appelés et des engagés de base, commandés par une petite crapule d’appelé déjà maréchal des logis, instituteur dans le civil ! Qui nous obligeait à marcher au pas au milieu de la nuit après une journée de manœuvres dans la boue, la bonne boue de Lorraine au mois d’octobre. Puis il y a eu cet accident, allez hop, hôpital militaire, des mois, des greffes osseuses, des mois encore, les béquilles. De tous les grands révolutionnaires parisiens, il y en a eu un, un seul pour venir me voir à Bar-le-Duc, un seul. C’est Michel Laurent. Je savais qu’il était parmi les plus sincères, j’appris qu’il avait un cœur. Michel est mort quelques années après, emporté par une septicémie à l’hôpital Foch. Après j’ai galéré, maître auxiliaire, payé au mois de janvier après trois mois de travail, une prof syndiquée qui me sort : ras le bol des MA, ils n’ont qu’à passer le CAPES. J’en ai encore froid dans le dos. Des apparatchiks on en a ici aussi, et des sévères, des bien dans la ligne, de gôche. Pouah ! Non Jean-Bernard, je ne généralise pas, il y a aussi des candidats au goulag, rassure-toi, à gauche et à droite, d’ailleurs j’ai le tournis, gauche, droite, tout ça c’est de l’esbroufe, des discours, du carriérisme. A la première alerte, il n’y a plus personne. Si, des gens bien, des justes. A ce qu’on m’a dit, ils n’étaient pas nombreux dans les années quarante, et beaucoup n’en sont pas revenus. Les autres sont toujours là, à nous faire chier, à donner des leçons au peuple. Après j’ai arrêté la politique, en tout quinze ans, mais à temps plein. Après je suivais tout ça de loin. Quinze ans décisifs, quinze ans perdus, pas tant pour moi, car j’en ai retenu des leçons, mais pour mon épouse et pour mes enfants, et pour tous les autres, pour toi Jean-Bernard, toi qui m’attendu à Rosans, près du mas abandonné, au rendez-vous des dix ans, au carrefour de notre jeunesse, toi que je savais là-bas à attendre. Je ne suis pas venu. J’ai cru au matin. J’ai sacrifié notre amitié sur l’autel de la révolution mondiale que nous ne verrons jamais nos enfants non plus. Heureusement. Prenons le temps de respirer, de vivre. Ma vie, c’est un grand trou noir qui a tout aspiré, ce qu’il y avait en moi de meilleur. Ma vie, il est six heures du soir, bien tard, trop tard.
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19:20 Publié dans Jean-Bernard, libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : temps qui passe, temps perdu, amitié, absence
23/12/2010
Jean-Bernard, c'était monsieur Sécurité
Premier voyage en bicyclette et mobylette, direction l’Espagne. Une pause au bord de la route. Nous fumons une cigarette en silence, il fait beau, nous regardons passer les voitures à quelques mètres de nous sur la nationale. Elle passent vite. JB me dit que quand il conduirait, il ne passerait jamais la quatrième vitesse. Je n’étais pas un as de la mécanique, mais je savais que passer un rapport supérieur soulageait le moteur. Peu importe son ignorance technique, pour lui la troisième vitesse était celle de la prudence, elle était sécurisante.
C’est facile pour moi de le critiquer, nos départs en camping étaient assurés quasiment en totalité par mon ami. Il avait tout acheté au Bazar de l’Hôtel de Ville. Quand JB prononçait béach’vé, la cause était entendue, il n’y avait rien à ajouter. Attention, on parle bien du Grand Magasin rue de Rivoli, pas des succursales ! Le BHV c’était la caverne d’Ali Baba, avec le sérieux en prime. D’abord, on y trouvait tout. Question qualité et pertinence du conseil, il n’y avait pas mieux. Il fit donc provision de tout le matériel dans le divin magasin : remorque pour cyclomoteur, tente canadienne, popotte en alu et tutti quanti. J’étais admiratif. On attela la belle remorque derrière la bleue, celle qui faisait un bruit de fusée à la décélération. Oui, il faut que je m’arrête sur la mobylette de JB. Il habitait à Maurecourt, à deux kilomètres de chez mes parents. Parvenu au rond point, à environ cent mètres, il coupait les gaz. JB freinait toujours longtemps avant l’obstacle. Je savais qu’il arrivait, car sa mob ralentissant s’entendait de très loin, produisant un bruit comparable à celui des jets quand ils inversent les turbines avant l’atterrissage.
Donc on attela la remorque toute neuve… et tout acier, donc très lourde. Pour du costaud, c’en était, cent pour cent BHV. On y chargea tout le matériel afin d’alléger le vélo, le mien ou plutôt celui de mon père. Il avait fait l’après-guerre comme vélo de piste, le pignon fixe avait été remplacé par une roue libre de quatre couronnes avec dérailleur, à l’avant deux plateaux de 52 et 42, le cadre avait été repeint en rouge, la selle d’origine tout cuir devait peser plus d’un kilo. Le guidon de pistard très arrondi avait été équipé de manettes de freins.
La remorque tint le coup jusqu’à Hendaye, où dans une descente rapide sur mauvaise route, l’attelage cassa net. Heureusement elle continua sa course vers la droite. Il fallut faire ressouder plus solidement les deux tubes désolidarisés. Miracle de l’époque ! Allez faire ressouder quelque chose en ville aujourd’hui… Le soir, accroupis devant le bleuet qui chauffait les pommes de terre à l’eau accompagnées des traditionnelles saucisses, la conversation évita soigneusement d’effleurer la qualité des fabrications du matériel délivré par le divin magasin parisien . Et c’est tout à mon honneur, car si j’avais voulu…
Pour la tente, la catastrophe survint plus rapidement, au soir du quatrième jour de voyage, aux Sables-d’Olonne. Orage. Il pleuvait des cordes. L’eau commença à traverser la toile. En quelques minutes les duvets, puis les matelas furent trempés. Aucune solution. Si, je crois qu’on étendit un plastique pour couvrir la toile, mais question confort intérieur, c’était trop tard. Nuit blanche au bureau d’accueil. Le lendemain par chance, avec le retour du beau temps, sacs de couchages et matelas pneumatiques purent sécher un peu. La tente de qualité supérieure BHV avait été livrée sans faîtière à mon ami. Dès que le double toit était mouillé, il entrait en contact avec la toile intérieure. On connaît la suite. Il fallut bricoler pour les jours suivants une faîtière de secours en bois (branche élaguée) arrimée aux mâts par des bouts de ficelle, et comme cela faisait épaisseur, on dut se passer, pour le reste des vacances, des deux demies pommes de terre plantées sur les pointes qui devaient –d’après radio baroudeurs-je-sais-tout-sur-le-camping- protéger de la foudre la tente et ses occupants.
Par souci de sécurité, Jean-bernard ne quittait jamais la France. On ne sait jamais ce qui peut se passer au-delà de la frontière, problème de communication d’abord, les étrangers ne parlant pas le français, problème de ravitaillement car la monnaie ayant cours dans les autres pays n’était pas le franc. Comme si cela ne suffisait pas, monnaies et langues étaient différentes selon les pays. Quand à l’alimentation, dans l’esprit de JB, en Espagne on ne mangeait que de la paella, en Italie que des pâtes, je ne lui posai pas la question, mais il devait s’imaginer les allemands en casque à pointe se gaver de choucroute et de grasses pâtisseries. Donc, une fois l’attelage de la remorque ressoudé à Hendaye, alors que nous étions à quelques hectomètres de la frontière –pour ne pas dire au pied du mur- inéluctablement la question se posa de passer ou non en Espagne. Comme bien souvent, c’est moi qui eus le dernier mot, parce que je m’énervais facilement, et JB n’aimait pas ça. Il boudait, on se préparait à manger nos patates au jus de saucisse chacun dans notre coin quand le sol se mit à trembler.
Nous campions dans un pré avec l’autorisation de l’agriculteur, qui nous avait simplement averti qu’il ne fallait pas s’inquiéter si de temps à autre il y mettait des vaches. Le jour déclinait, et la lueur du bleuet attira l’une d’entre elles qui fondit sur nous au galop. Rien de tel pour réconcilier deux amis fâchés. On courut vers la clôture. La bête s’arrêta net à quelques centimètres de la tente. Même la casserole ne fut pas renversée. L’animal repartit comme il était venu, mais plus lentement et en broutant. Le soir même on aboutit à un compromis : on passerait en Espagne tout en revenant le soir camper dans le pré français. Le ravitaillement, cela va sans dire, se ferait dans le monde civilisé. On avala nos saucisses patates avec le sourire de héros qui ont surmonté l’épreuve, tout en jetant un œil de temps à autre, l’air de rien, du côté du pré.
J’aurais tellement voulu faire visiter d’autres cieux à mon ami. Un jour, je le convainquis de descendre en Provence, puis sur la côte, puis de longer celle-ci jusqu’en Italie. De ce pays je ne connaissais que la région de Turin, et encore j’exagère. En réalité, mes parents, ma soeur et moi passions régulièrement nos vacances d’été à Caravino, un joli petit village à quelques kilomètres d’Ivréa où nous nous rendions les jours de marché pour faire le plein en fruits et légumes, ce qui comme vous l’imaginez passionnait les enfants de notre âge. A Caravino, à part le terrain de boules, la sieste, la pasta et les conversations entre mon père et sa famille dans un mélange aléatoire de piémontais, d’italien et de français, il n’y avait pour distraire les enfants que les quelques jouets qu’on avait emportés dans la valise. Donc, je voulais présenter l’Italie à Jean-Bernard.
Plus jamais, vous m’entendez, plus jamais je n’inviterai une personne à tenter une promenade hors de nos frontières. Notre expédition en terre étrangère fut une suite de catastrophes. D’abord, au sud de Gênes, alors que nous campions en hauteur et profitions d’une vue superbe sur le grand port, la tempête du siècle se déchaîna, et nous passâmes notre première nuit en Italie adossés aux deux mâts de la tente pour éviter qu’elle s’envole. Arque boutées l’une contre l’autre, les mobs résistèrent. Les premières lueurs du jour révélèrent les dégâts dans le camp : toit du bureau d’accueil envolé, tentes cabanon écrabouillées, caravanes endommagées. Il y eut plusieurs victimes à déplorer dans le port de Gênes. Quelle est la réflexion la plus idiote que peut faire un franchouillard quand, au premier soir du voyage dans l’inconnu, il subit une tempête ? C’est toujours comme ça ici ? Quoi répondre ? Vous êtes désarmé.
On eut vite fait de déplanter, direction le nord (les Alpes et la France…). Côme. Là, j’étais sûr de moi, région résidentielle, châteaux et magnifiques propriétés au bord du lac, sûr que JB serait impressionné. Mais au bord de la route qui longeait une forêt, des femmes presque dévêtues, un petit sac sous le bras, fumaient et faisaient les cent pas, en se dandinant. Une des caractéristiques du deux roues monoplace, c’est que, quand vous voyagez à deux, toute communication est impossible avec votre compagnon de route, sauf à hurler et à prendre des risques. Le temps d’arriver au terme de l’étape, on oublie facilement les petits événements du voyage. On n’aborda pas le sujet, mais je crois que, vu notre âge et les préoccupations pas toujours bien exprimées qui devaient être les nôtres à cette époque, ce silence trouve une explication.
Arrivés à Côme, ou tout près, nous fûmes d’abord accueillis –si l’on peut dire- par le tarif exorbitant du camping. Là JB me fit carrément la gueule, et j’eus droit à une liste de comparaisons avec les prix que nous avions payés dans la mère patrie. Non seulement la nuitée était onéreuse, mais en plus vu l’état de délabrement des sanitaires, le prix à payer n’était nullement justifié. JB avait raison, c’était sale et c’était cher. Les jours suivants, nous fîmes le tour du lac, les paysages et les aménagements étaient superbes certes, mais le cœur n’y était plus. J’eus droit à des remarques méchantes du genre, c’est beau mais c’est pour les riches, j’aimerais bien voir l’environnement dans la banlieue de Turin…
Nous remontâmes vers la Suisse par le Saint-Gothard(1). Nos mobs étaient équipés du Variomatic, un système qui permettait au petit moteur de 50cc de gravir de bons pourcentages. Celui de JB tomba en panne. Imaginez, c’est comme si vous tentiez de gravir des pentes de 10% avec votre automobile engagée sur le quatrième rapport. Le moteur calerait immédiatement. Mais le cyclomoteur avait sur l’auto (et la moto) un avantage : la présence de pédales. Comme j’étais parti en avant, je ne me souciais pas de son retard. C’est quand je vis mon pauvre ami, tout en bas, trois ou quatre lacets au-dessous de moi, pédaler laborieusement le nez dans le guidon, que je compris que pour l’Italie, la coupe était pleine. Je ne veux pas raconter d’histoire dans ce récit, d’abord par respect pour mon ami disparu, mais je vous avoue franchement que je ne me souviens pas si je suis descendu l’aider. Franchement, je l’espère, mais je ne me souviens pas. Au sommet, opération photo devant la pancarte « St Gothard 2000… » , chacun à notre tour. Je tire le porte objectif du Mosquito(2), JB pose près de sa bleue, mais avant que je déclenche, une jeune homme hirsute avec une barbe de plusieurs jours se propose de nous immortaliser ensemble. Ce cliché sera pour moi le plus cher à mon cœur, car nous sommes côte à côte deux kilomètres au-dessus du monde. Le garçon me rend l’appareil. On échange quelques mots. Incroyable, nous qui nous prenions pour des aventuriers de l’extrême, il nous montre sa mob, une grise premier prix sans suspension arrière ni Variomatic, avec trois fois rien sur le porte-bagages. Il revient d’Istanbul. On lui a tout volé, tente et matériel, il lui reste peu de sous pour se nourrir le temps de rentrer je ne sais plus où. On lui laisse une boîte de cassoulet William-Saurin et deux trois petites choses. On enfourche nos montures, elles démarreront facilement dans la descente. Dernière image, assis là-haut, à côté de son cyclomoteur, perdu dans la foule des touristes qui se frayent un chemin entre voitures et autocars, les uns, alignés derrière le parapet, admirant le paysage, les autres se précipitant au café ou dans les échoppes de souvenirs, perdu dans la foule un jeune homme qui ressemble à ces étudiants sur les photographies des barricades en 1968 nous fait un signe. Qui est-il ? Que deviendra-t-il ? Plus jamais nous ne le reverrons.
Comme chaque année le retour fut très rapide, pas tellement par manque de sous. JB me ressemblait sur un point : quand on sait que c’est presque fini, finissons-en. Le soir, il n’y avait plus ce plaisir de l’installation au camp, le repas assis dans l’herbe après une bonne douche chaude, sans oublier le petit coup de rouge, le café et les petits gâteaux. Plus rien de tout cela. Une atmosphère de dimanche soir. C’était vers le 15 août, c’est du pareil au même. En perspective : le redoublement dans un lycée que je ne connaissais pas après mon exclusion d’un autre établissement, le cœur n’y était pas. Comme à mon habitude, je gardais mes problèmes à l’intérieur de moi, car si j’en parlais cela les multipliait par deux. Donc JB ne savait rien de tout cela. Lui était sur les bons rails : école Estienne et perspective d’une formation en photocomposition. Par la suite sa vie professionnelle se développa sans accroc d’importance. Jusqu’au jour où… mais ce n’est pas le sujet pour aujourd’hui. J’y reviendrai.
Un petit mot cependant sur la descente du St Gothard. En mob ou en vélo, les descentes étaient pour moi un ravissement. Quand j’avais visibilité, je coupais les épingles, et je remettais les gaz aussi vite que possible. La route était comme du billard, pas de nid de poule ni de gravillons sur les bas côtés. Je ne dis pas que je ne me suis pas fait quelques frayeurs, surtout en sortie de virage, quand les pieds perdent les pédales et vont chercher contact avec le sol… au cas où. Sans mentir, arrivé au bas du col, il m’a fallu attendre un bon quart d’heure pour voir arriver JB. Ce qui m’énervait le plus chez lui, c’était ses attitudes de vieux. La prudence. Voilà le mot. Jean-Bernard était la prudence personnifiée. Il freinait dans les descentes ! Je comprends qu’on ralentisse avant le virage, mais lui c’était tout le temps. Je me rappelle, quand on faisait du vélo par chez nous, ou quand nous partîmes en Bretagne avec d’autres copains, les routes qu’on craignait le plus étaient ces tracés rectilignes avec succession de montées et de descentes car on a l’impression de ne pas avancer. Arrivés au sommet des raidillons, nous étions tous à fond sur grand braquet afin d’aller le plus loin possible sur la pente raide qui suivait. Mais non, JB allait son petit bonhomme de chemin, bien calé sur la droite de la route, avalant tous les nids de poule. Au bas de la descente, il devait faire au maximum du quinze à l’heure, il prenait tout son temps pour passer la chaîne sur le petit plateau, se préparant à gravir la pente comme s’il allait s’attaquer à un col d’altitude. Car en plus d’être prudent, JB n’avait pas l’esprit de compétition. Avec le recul, cela me fait sourire, car finalement, c’était lui le plus sage, au sens le plus élevé du terme. Quand aux autres, dont moi, nez collés au guidon, des collines du Perche nous n’avons pas dû apprécier grand-chose.
Par ses attitudes d’adulte raisonnable accompli, JB était pour les jeunes de son âge un sujet de moquerie, pas méchante certes, mais de moquerie. Je n’ai jamais participé à ces plaisanteries, j’avais un avantage sur tous les autres, pour l’avoir fréquenté depuis plus longtemps, je savais que sous ses airs de vieux se cachait un être d’une valeur exceptionnelle. Et là je ne pense pas seulement à ses qualités d’artiste. JB avait une vision du monde, une conception de la vie et des rapports humains complètement différente de celles véhiculées par l’opinion, même par celle qui résulte de savoirs acquis à l’école. Il n’était pas vraiment autodidacte, puisqu’il avait suivi un cursus scolaire –c’est d’ailleurs là que je l’avais rencontré- jusqu’au BEPC. De toutes les rencontres que j’ai pu faire, il est la seule personne dont on peut affirmer sans se tromper qu’il pensait par lui-même. Il observait, il lisait, il écoutait beaucoup, et ce qu’il en tirait était toujours un enrichissement pour lui sans que jamais il use de ce qu’il avait appris comme argument d’autorité. Il n’eut pas le plaisir de suivre un jour le cours d’un professeur de philosophie –il m’écoutait avec beaucoup d’intérêt quand je lui en parlais- mais je suis sûr que JB dans nos classes n’aurait pas démérité, loin de là…quand je pense à d’autres pour qui évoquer la maïeutique de Socrate ou la morale kantienne, c’était donner de la confiture à des cochons.
Les personnes de notre entourage que nous croyions connaître, sur lesquelles facilement nous collons des étiquettes, que nous classons vite fait selon leur apparence physique, leur caractère, leurs opinions, leur façon de vivre, selon l’attitude qu’elles adoptent par rapport à nous-mêmes, ce dernier point étant souvent décisif, bien souvent un jour ces personnes nous surprennent. C’est inévitable. Car nos préjugés ont l’épaisseur d’une forteresse, mais la plus solide ne résiste pas à un séisme. Si l’on dit souvent qu’il ne faut pas se fier aux apparences, c’est qu’elles peuvent être trompeuses bien sûr, mais aussi qu’il ne faut pas accorder trop de pouvoir à nos sens. La maxime vaut autant pour l’observateur que pour l’observé. Avant de juger les autres, il faudrait avoir fait un bout de chemin dans la connaissance de soi-même. Que vaut le jugement si le juge lui-même est mis hors course ? Si j’ose cette digression, c’est que j’ai pris longtemps Jean-Bernard pour un autre. Par erreur. Rappelez-vous ce que je disais de lui tout à l’heure avant notre passage en Espagne, quand il boudait avant de passer la frontière, la conception franchouillarde qu’il avait de l’étranger. Et bien nous passâmes en Espagne. A San Sebastian, chez un luthier, il acheta une guitare.
Il fallut trimbaler l’instrument sur les 900km du retour, nous la portions dans le dos tour à tour quand nous étions sur la mobylette. Mais peu importe, il était heureux, j’étais content. Quand par la suite je lui rendis visite à Maurecourt, il était sur son instrument, les yeux rivés sur des partitions qu’il s’était procurées rue de Rome à Paris. Il écoutait aussi des disques de Narcisso Yepes qui interprétait des grandes œuvres, espagnoles en particulier. Notre voyage n’avait pas été inutile, j’y étais un peu pour quelque chose, je ne lui ai jamais dit, mais il le savait bien le bougre.
Pendant que je voletais de gauche à droite, me souciant peu de mes études et de mon avenir, alors que je ne construisais rien de solide, délaissant mes parents, prêt à suivre le premier camelot qui passe –c’est d’ailleurs ce qui s’est passé, c’était de la politique-, contre vents et marées pendant encore quelques années, je rendis visite à mon ami. Jean-Bernard, c’était mon arbre. Monsieur Sécurité. Tu sais, si je te nomme ainsi, c’est pour rire. Si tu as disparu trop vite JB, bien trop vite, et pour ça tu sais combien je t’en veux, pense à tout ce que tu laisses. Tu occupes une grande place dans mes pensées et dans mon cœur. Il y a tes photographies et tes toiles. J’en ai une à la maison, le feu, et deux plumes que je n’ai toujours pas accrochées, je ne sais pourquoi, elles sont toujours dans le carton, je ne l’ouvre pas.
(1) Saint-Gothard (en allemand Sankt Gotthard), massif des Alpes suisses (3197 m au Pizzo Rotondo), où le Rhône et le Rhin prennent leur source. Le col du même nom y unit la haute vallée de la Reuss à celle du Tessin. Il est franchi par une route touristique. Le massif est percé d’un tunnel ferroviaire de 15 kilomètres reliant la Suisse et l’Italie (trafic très important), construit de 1872 à 1882, et d’un tunnel routier.
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(2) le Mosquito est un appareil photographique en bakélite noire qui fournissait 8 clichés de format 6x9 sur une pellicule 620 (petit trou). Il m’avait été offert à Noël par les usines SIMCA où travaillait mon père.
(3) Saint-Sébastien (en esp. San Sebastián - Donostia), v. et port d’Espagne, à 20 km de la frontière française; 183940 hab.; ch.-l. de la prov. basque de Guipúzcoa. Pêche; constr. mécaniques; prod. chimiques. Stat. balnéaire.
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16:52 Publié dans Jean-Bernard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amitié, nostalgie, solitude