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09/11/2014

Il y a 25 ans...

 

 

...le mur de la honte est tombé. Il avait été édifié contre la volonté des peuples. Les allemands ne l'avaient pas voulu. Pas plus que les peuples tchèque, slovaque, hongrois, roumain et bulgare n'avaient désiré être coupés du monde par un rideau de fer. Ces horreurs on nous avait dit qu'elles n'en étaient pas. Il fallait croire que pour protéger une belle société en construction, une séparation d'avec le monde du passé était nécessaire. Le monde du passé, c'était lui l'horreur, il portait et porte d'ailleurs toujours un nom affreux: le monde capitaliste, lieu de toutes les inégalités, de l'injustice, du commerce et des bandits. Et quand là-bas des ouvriers, des paysans, des étudiants, des gens de tous les jours émettaient des doutes sur les bienfaits de la société en construction, le canon des chars les ramenaient à la raison (1). Pire, au-delà des morts et des déportations, on accusait ces pauvres gens d'être des espions, des agents du diable capitaliste. D'autres, plus jeunes ont tenté d'échapper à cet enfer. En sautant le mur au risque de leur vie. Le musée de Check point Charlie à Berlin montre à quel point l'homme est ingénieux quand il s'agit de retrouver la liberté dont il a été injustement privé. Le plus bel exemple: ces étudiants tchèques qui notaient jour après jour les heures de mise sous tension des cables électriques reliant leur pays à l'Autriche. Ils avaient construit un engin de type téléphérique qui, aux heures creuses minutieusement mémorisées, les fit passer à l'ouest. D'autres se dissimulaient sous les banquettes des voitures, il arrivait même que des policiers chargés de la surveillance du mur tentent de fuir. 

 Dans les années quatre-vingt, dans un camping tchèque, j'avais fait la rencontre d'un couple d'allemands de RDA. Le camp était divisé en zones strictement réservées aux différentes nationalités des pays de l'est. Chose tellement incroyable que je n'avais pas remarqué cette horreur avant que ces gens qui campaient tout près m'ouvrent les yeux. Ils étaient sympathiques, on passa la soirée autour d'une bouteille de schnaps. Ils me racontaient leur vie, et brûlaient d'impatience de savoir comment les choses se passaient à l'ouest. A la veille de la retraite, professeurs tous les deux d'éducation physique, ils dormaient sous une canadienne deux places, une Trabant soigneusement garée à côté. Pour rouler en Moskvitch ou en Lada, la liste d'attente était trop longue, et il fallait être membre du parti. Pareil pour le logement et aussi pour les sorties du territoire. Cet homme avait connu -comme beaucoup de ses compatriotes- les deux dictatures: fasciste et communiste. Sous Hitler, il fut mobilisé et subit à St Lo les bombardements des Alliés, ses quatre camarades de char furent tués, et lui-même rapatrié blessé avec la Wermacht en déroute. Rapatrié oui, malheureusement pour lui en Thuringe, à Erfurt en zone orientale conquise par l'Armée rouge. Il vécut un double drame: cinq ans de déportation en Sibérie, et à son retour au pays, l'impossibilité de revoir une partie de sa famille qui résidait à l'ouest à Hambourg. Ce sont des choses que des gens qui comme moi n'ont toujours connu que la liberté ne peuvent pas comprendre. Je peux l'écrire ici, je peux évoquer ces choses, mais c'est au-dessus de mes forces de comprendre.

 

 Comment des personnes d'ici pouvaient-elles juger que le bilan de l'expérience communiste sur trois cent millions d'êtres humains était globalement positif ?

 Comment pouvait-on faire croire aux ouvriers français que la condition ouvrière dans ces pays était merveilleuse ?

 Comment le secrétaire d'un parti politique français pouvait-il -sans problème de conscience- passer ses vacances dans le pays du tyran Ceaucescu ?

 Pourquoi des intellectuels comme Aragon ont-ils attendu les années quatre vingt pour commencer à émettre des doutes sur la légitimité du régime soviétique ?

 Pourquoi tant de silence sur les déportations, les internements en hôpital psychiatrique, les procès politiques truqués, la censure, les persécutions des familles des dissidents ?

 Pourquoi tant de silence sur la corruption d'un système qui apportait tant de richesses et d'avantages à des castes (2) prétendant faire le bonheur de peuples qui étaient dépouvus de tout ?

Pourquoi moi-même alors trotskiste ai-je pu jusqu'aux années quatre vingt considérer l'URSS comme un état ouvrier mais dégénéré, un état que je croyais être une immense conquête de la classe ouvrière ?

 

 Le bourrage de crâne n'est pas une explication. Cela vaut pour le fascisme et les dictatures en général, régimes fondés sur la violence, dirigés par des individus assoifés de pouvoir rêvant de dominer le monde. Partout où des hommes ont tenté de l'instaurer, le communisme a été le système totalitaire le plus efficace et le plus durable. Des millions de travailleurs de par le monde ont cru et espéré la victoire d'une expérience qui pour la première fois dans l'histoire -après celle malheureuse de la Commune de Paris- allait démontrer la capacité des classes populaires à prendre en charge la destinée humaine. Combien a-t-il fallu de morts, de déportations, de persécutions, de procès truqués et de trahisons pour que des femmes et des hommes, militants qui avaient cru au matin, se rendent à la raison et, voyant cette foule avide de liberté traverser le mur dans la joie, se dise enfin selon le mot du poète, mourir pour des idées, oui mais lesquelles... En tout cas, pas celles qui pendant soixante douze ans ont enfermé des millions d'humains dans une immense prison.

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                                                         cliché M.Pourny, Berlin novembre 1989

 

  1. Allemagne de l'est 1953, Hongrie et Pologne 1956, Tchécoslovaquie 1968;

  2. Il serait intéressant aujourd'hui de se pencher sur les conditions d'existence d'une certain Fidel Castro.

08/11/2009

Berlin 89

  

« Il n'est qu'une erreur et qu'un crime : vouloir enfermer la diversité du monde dans des doctrines et des systèmes. C'est une erreur que de détourner d'autres hommes de leur libre jugement, de leur volonté propre, et de leur imposer quelque chose qui n'est pas en eux. Seuls agissent ainsi ceux qui ne respectent pas la liberté, et Montaigne n'a rien haï tant que la « frénésie », le délire furieux des dictateurs de l'esprit qui veulent avec arrogance et vanité imposer au monde leurs « nouveautés » comme la seule et indiscutable vérité, et pour qui le sang de centaines de milliers d'hommes n'est rien, pourvu que leur cause triomphe. »

 

Stefan Zweig

 

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