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13/09/2025

Sommes-nous perdus ?

 

 Je me souviens d’un temps où il était difficile d’avouer qu’on ne croyait en rien. Idée insupportable pour une religion fanatisée. Elles ne le sont pas toutes, au moins dans leur pratique. La personne qui m’avait appris à lire la Bible, me rencontrant quelques années après, nous étions en 1968 en pleine guerre, me dit d’une voix douce : « Tu sais Michel, il y a ce qui passe, il y a ce qui reste. » Dans Ce qui reste, je mets la majuscule, car je connaissais la personne, et le ton de sa voix était sans équivoque. Sans doute possible il y avait plus d’humanité dans le christianisme de cette dame que dans l’œil conquérant et sûr de lui d’un héroïque combattant de barricade. Que je n’étais pas d’ailleurs. 

 Mais la croyance se perd. Au mieux elle s’égare et prend des chemins variés, parfois inattendus. Cela n’est pas nouveau. Ce qui l’est par contre, c’est qu’on n’a plus foi en rien. L’agnostique du siècle des Lumières et du suivant, s’il mettait en doute l’existence d’un dieu, si l’athée la contestait absolument, c’était au profit de la croyance au progrès, à la science, au travail émancipateur de la raison. Comme s’il était impossible de n’avoir foi en rien, libérés du lien avec la divinité, les hommes se mirent à espérer un avenir radieux sur terre. Porte était ouverte à l’idée du progrès qui, à califourchon sur la science, allait nous apporter tout ce qu’en les siècles des siècles les dieux n’avaient pu nous accorder. Comme disait le philosophe, sur le trône encore chaud de Dieu on installa le Socialisme. 

 Là, on pourrait s’appesantir sur les horreurs du totalitarisme, ce n’est pas le sujet. Par dérision, je prendrai le côté positif des choses, disons le verre à moitié plein. Car voyez-vous, au temps du Goulag, les gens croyaient en quelque chose. Ils espéraient. Tout allait mal, guerre, misère, dictature, régime policier, déportations, mais c’était un passage obligé. Au loin, par delà les nuages, il y avait l’espoir d’un monde nouveau, à visage humain. A l’ouest, la perspective était encore plus enthousiasmante, car on avait l’espoir, sans les inconvénients –c’est tout l’avantage du capitalisme, on peut rêver à la société future sans avoir à la construire-. Le mot est dit : à l’est à l’ouest au nord et au sud on pouvait rêver. Dieu était mort, certes, mais d’autres meneurs de foule, géniaux, avaient conçu la société de nos rêves, et plus que cela car ils n’étaient pas des utopistes, ils fournissaient l’équipement, les outils, les conseils pour le montage. Tout était entre nos mains : lutte des classes, syndicats, partis, internationale, sans oublier l’essentiel : la désignation de l’ennemi à abattre : le Capital, l’impérialisme et ses délégués locaux : bourgeois, banquier, koulak, curé dans un premier temps, puis au fil des ans en affinant : la politique libérale, les petit bourgeois, les déviationnistes, les « jaunes », les renégats, les indécis, puis les démocrates tout court, les gens de tous les jours qui n’entrent dans aucun tiroir, les inclassables qui ne croient qu’en ce qu’ils vivent et ce qu’ils voient. 

 Et pourtant c’était beau. Autant le fascisme hitlérien fut toujours à bannir, on peut même s’étonner qu’il ait vécu douze ans vu ce qu’il promettait d’horreurs dès son avènement, autant le socialisme dont le substrat idéologique n’impliquait ni le concept de race, ni l’idée de conquête et de guerre, mais au contraire l’idée admirable de l’émancipation de l’humanité, autant le socialisme répondait avec excellence à l’aspiration de millions d’hommes et de femmes qui n’avaient plus rien à espérer. Une société aussi prometteuse incluant mille souffrances et le Goulag a pu ainsi survivre plus de soixante dix ans. Quelle dictature fasciste ou militaire sur plus de cent millions d’êtres humains pourrait en dire autant ? Aucune. 

 Oui mais voilà. Les barbelés qui enfermaient ces gens ont été coupés, le mur est tombé. Comme ces maisons en construction d’où sortent des fers à béton rouillés et qui restent comme cela, abandonnées et tristes car on ne peut s’empêcher de penser qu’une famille en avait fait un projet pour la vie, et puis la vie justement en décida autrement, comme ces ruines qu’on rencontre dans des lieux déshérités, le communisme n’a pas été édifié. A-t-il seulement commencé à l’être ? Alors des millions de gens se frottent les yeux, se disent que tout est foutu. Beaucoup plus que cela : c’est leur combat, leur foi, leur vie qui s’écroulent. Non seulement il n’y a plus rien, mais on s’est trompé. Tout ça pour ça. Terrible. Peut-on avec des mots commenter la profondeur de leur désespoir ? Seul peut-être le théâtre pourrait le faire. 

 Désespoir. Car l’homme vit dans le projet. Quand il n’y a plus rien au bout, ni dieu ni maître à penser, quand il n’y a que les soucis et les petites joies du quotidien, l’esprit ne rencontre que du vide, si loin qu’il pense il ne voit rien venir. Pour les hommes et les femmes que nous sommes, travailler, s’aimer, avoir des enfants, construire une maison, sortir et voyager, ce n’est pas une vie. Nous avons cru nous libérer en rompant tous nos liens avec le ciel et les grandes idées, et nous voilà orphelins, en manque, perdus. A la question que pose le philosophe « Que puis-je espérer ? » l’homme d’aujourd’hui n’a pas de réponse. 

 Le vide. En Haut, en bas, partout. A force de négation nous avons fait du ciel un désert et le risque encouru est à la mesure de notre soif : prêts que nous sommes à boire n’importe quoi, le premier malotru venu qui promettrait la lune pourrait bien combler notre attente. 

 

§

29/05/2015

A force de dénigrer le passé, saura-t-on conjuguer au futur ?

 

 Vous pouvez aligner tous les arguments (du verbe latin arguere, supin argutum au sens primitif de: indiquer, expliquer; dérivés: arguments, arguties) de la ministre (se rattache au latin minor, minus et au substantif ministrum dont le sens primitif est: inférieur, serviteur, qui agit sous les ordres d'un maître) en faveur de la suppression de ces options, ils ne valent rien en comparaison de ce constat : dans l'esprit (du latin spiritum, souffle et âme, rattaché au verbe spirare, souffler, d'où viennent les composés aspirer, respirer, soupirer, expirer, inspirer, transpirer, conspirer = respirer ensemble) de la plupart d'entre nous les langues anciennes sont mortes et bien mortes, elles n'ont même pas l'intérêt (du latin esse, interesse = être au milieu de, participer à, d'où le substantif français = part prise à un fait dommageable ou profitable) que peuvent offrir les tablettes mésopotamiennes ou les hiéroglyphes (du grec hieron, sacré, et gluphê, gravure) égyptiens qui sont beaux à regarder le dimanche au musée ou les peintures rupestres (du latin rupes, rocher) qui font la richesse du patrimoine (du latin pater, père, d'où viennent paternité, paternel et patrimoine = bien des pères, comme patrie qui est le pays des pères, d'où patriote, compatriote...) artistique national. Nos enfants ont déjà du mal à apprendre le français et quelques rudiments (du latin rudem = grossier, novice, d'où rudesse, rudoyer; le dérivé rudimentum a le sens d'apprentissage, d'où rudimentaire; au contraire l'é-rudit est celui qui est dégrossi, instruit) d'anglais, à quoi bon aller les em... (du latin in = préfixe qui marque situation et pénétration et merda = matière fécale, au sens figuré = chose méprisable; s'emmerder revient à s'ennuyer, s'embêter. Le Robert cite Maurois: "On s'emmerde ici. Si on allait dans une autre crèmerie ?) à baragouiner (origine douteuse peut-être bretonne, de baragouin = langage peu intelligible) dans des langues qu'on ne parle plus en Grèce ni même dans les églises françaises! A l'heure où le short message service se substitue peu à peu à la langue de Molière, il faut se rendre à l'évidence : la prime est à l'efficacité. Nous vivons dans la société de communication, nous devons nous faire comprendre vite et bien. Il est plus convenant de taper: je suit las dans 5 munite (du verbe latin minuere d'où minutum, subdivision de l'heure) que d'écrire: Quand pourrai-je passer un moment avec toi? Imaginez la même phrase interrogative rédigée sur papier, plié dans une enveloppe timbrée au plus cher, ce n'est pas dans les 5 munite que le texte parviendra à votre interlocutrice, mais quarante huit heures après votre arrivée chez elle. 

 Nous avons changé d'époque c'est un fait. Mais ce qui est insupportable, c'est qu'à la moindre occasion on vous le fait comprendre. Si vous ne courez pas dans tous les sens, si vous ne sautez pas sur tout ce qui brille, tout ce qui sort, tout ce qui twitte, si vous n'avez pas votre tronche sur facebook, certes on ne vous fera aucun mal. Vous aurez droit à un sourire, allez vieux, il faut vivre avec son temps. 

 Mépris du passé. Qui ira aujourd'hui se plonger dans la lecture des grands auteurs? Par contre, on va faire des recherches généalogiques laborieuses pour savoir si l'aïeulle était mariée à un marchand de vin qui a encore son nom sur les bouteilles mais ce n'est pas la même orthographe, sujet controversé dans les réunions de famille. On commémore de plus en plus avec lassitude. Les mêmes qui au siècle dernier encore soutenaient que la vie avait commencé six mille ans avant nous et célébraient et célèbrent encore la naissance, la souffrance, la mort et la résurrection d'un homme dont on ignore s'il a existé un jour, les mêmes se lassent de commémorer l'armistice, le débarquement en Normandie, l'un d'entre eux avait même osé: il faudra bien qu'un jour on cesse de montrer en boucle à chaque occasion toutes ces horreurs. Il parlait de la Shoah (de l'hébreu : catastrophe). Ces horreurs! Massacre voulu, programmé d'un peuple. Classé avec d'autres mauvais souvenirs dans la poubelle de l'histoire. Horreurs, aussi horribles que les victimes de la faim dans le monde, du dernier tremblement de terre, des tués de la route. Horreurs! Euphémisme terrible. Du préfixe grec eu (= bien) et du verbe grec phanai (= parler), bonne parole, qu'on peut traduire par "parole de convenance", c'est très à la mode aujourd'hui de dire non ce qui est, mais ce qui convient. 

 Et voilà ce qui me met en rogne (origine inconnue): avec notre histoire, on met de côté les principes, la justice, le droit, les politesses, le respect, la grammaire, le grec ancien, le latin, la langue française. Bientôt peut-être aussi les Lumières. On ne pense plus. A quoi ça sert ? La philosophie ? Non mais regardez un peu ces coupeurs de cheveux en quatre ! 

 Pauvre enfant, s'ils n'avaient pas existé les philosophes, ces intellos comme tu les nommes, tu ne serais pas là aujourd'hui à couvrir le monde du manteau de tes préjugés, mais peut-être marchand d'esclaves sur le quai d'un grand port, à Nantes ou à Liverpool. Ou esclave toi-même. 

 Toi que cela fait sourire de me voir introduire à deux mains et avec difficulté une pellicule (latin pellicula, de pellis = peau) dans mon appareil photo (du grec phôs = lumière et graphein = écrire et dessiner, la photographie est l'art d'écrire avec la lumière) toi qui mitrailles à tout va, l'oeil sur écran, toi qui pixelles (origine inconnue) jusque dans les moindres détails, toi qui mets le monde entier dans une boîte, as-tu encore une idée de son existence ? Du rôle qui est le tien, de ce que tu as le pouvoir de faire pour que cela change, pour sauver ce qui peut l'être encore? Ad honores.

 

ENVOI (hier en commentaire sur page d'accueil au rayon actualités, ce n'est qu'un extrait):

 

"Arête de faire le pandi panda parlé Français te pas 1 ministre de la France au moins en apparence e commence a nettoyer a lintérieur de la France tu fait qua a la place de faire de crise de névrose on est pas des chiens et se normal de pas être pour ta politiques des nul (...)"

 

J'ai remarqué que la France avait droit à une majuscule. Tout n'est pas perdu. 

 

§