05/01/2025
Belles pages : Jean-Jacques Rousseau
Nous vivons des temps de violence, où les actes les plus vils sont à peine condamnés, et encore pas toujours, car le pire des criminels, il faut le comprendre. C’est ce qu’affirment ces nouveaux maîtres en sociologisme : la vie, l’origine, l’enfance, la couleur de peau, le quartier, le mal-être : autant de raisons qui mènent au crime. A force de regarder les circonstances, il n’y a plus de criminel à juger, encore moins à condamner.
Ce serait donc la société qu’il faudrait juger, ce monstre tout puissant qui règlerait la vie de chacun, qui dicterait nos pensées et nos actes, nouveau « Très-haut » qui ferait de nous des « riens du tout », êtres impuissants car simples fantassins d’une troupe, d’une ethnie, êtres perdus dans la tour d’un faubourg.
En ces temps de violence où la société, responsable de tout, innocente tout le monde, il est bon de relire ce qu’un philosophe des Lumières disait de l’homme, cet être unique, capable du meilleur comme du pire:
"Il est donc, au fond des âmes, un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui, comme bonnes ou mauvaises, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience.
Trop souvent la raison nous trompe, et nous n’avons que trop acquis le droit de la récuser : mais la conscience ne trompe jamais ; elle est le vrai guide de l’homme ; elle est à l’âme ce que l’instinct est au corps ; qui la suit, obéit à la nature et ne craint point de s’égarer…
Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs, à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe."
Jean-Jacques Rousseau : Emile, Profession de foi du Vicaire savoyard.
18:49 Publié dans Belles pages | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : conscience, responsabilité, jean-jacques rousseau
12/03/2023
Sommes-nous responsables ?
Je crois bon de revenir sur une idée développée par le personnage de Viviane dans mon recueil de nouvelles « Là-bas, tout près ». Voilà ce qu’elle dit :
(…) Les dégradations dans les transports, dans les services publics, les incivilités, l’absentéisme scolaire, le vol d’un portefeuille, le viol en réunion, l’agression d’un professeur... La société serait responsable de tous ces maux? Je ne peux plus entendre ce discours-là. Mais enfin, pourquoi chercher toujours hors de nous-mêmes l’origine et même la cause de tout ? Certes la société pourrait être plus juste, mais pour moi, la responsabilité est toujours individuelle. Il faut dire et répéter aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils ont bien de la chance de vivre dans un monde où la société n’est responsable de rien, où notre destin pèse sur nos propres épaules. Car nous sommes libres.(...)
Je peux comprendre à quel point ces paroles sont difficiles à lire, à entendre. Que chacun d’entre nous porte la responsabilité des ses actes est une idée qui va totalement à l’encontre de l’opinion couramment admise selon laquelle nous sommes des êtres sociaux, dépendant les uns des autres, ayant reçu une éducation particulière, nés dans un certain milieu obéissant à certaines règles, certains usages… D’un criminel on dira que dès l’enfance personne ne l’a aidé à suivre le bon chemin, du voleur, qu’il n’avait pas de quoi subsister, du raciste, qu’il n’a jamais connu que des êtres de sa propre couleur de peau, de l’enfant en échec scolaire, qu’il n’a personne pour l’aider dans ses leçons et ses devoirs. On pourrait allonger la liste des raisons pour lesquelles nous ne sommes responsables de rien, ou si peu. Si nous tuons, nous volons, nous haïssons, nous échouons, nous n’y sommes pour rien. Il faut dire aussi que celle ou celui qui agit bien, qui aime et respecte ses contemporains, qui réussit sa vie n’y est pour rien non plus. Peut-être est-il né dans un quartier agréable, d’une mère et d’un père de bon conseil, dans une maison qui déborde de livres et d’instruments de musique ? Non, vraiment, avancer que dans l’existence de chacun, la société n’est responsable de rien, que toute la responsabilité repose sur nos propres épaules, est une idée apparemment indéfendable.
Deux célèbres déclarations de guerre ont été faites à l’idée de responsabilité dans la conduite humaine. La première on la trouve dans le Nouveau Testament, dans ces propos attribués par Luc à Jésus sur la croix (Luc 23, 34):
“Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font.”
La deuxième, dans cette pensée de K.Marx selon laquelle les hommes font leur propre histoire, mais dans des conditions non déterminées par eux. Une pensée précisée ainsi: ce n’est pas la conscience qui détermine notre être, mais l’être social qui détermine la conscience. (K.Marx, L’idéologie allemande).
Dans le premier cas, l’être humain agit à l’aveugle (“Ils ont des yeux et ne voient pas” parole attribuée à David, puis à Jésus), car sa pensée, sa liberté, son action sont dépendantes de sa foi, de sa confiance en la volonté divine. Dans le deuxième cas, son existence dépend exclusivement des conditions extérieures. Dans la perspective chrétienne, pour “voir” il faut avoir la foi, pour “être” il faut croire. Dans le système marxiste, toute liberté individuelle est exclue, car l’être humain est déterminé, “agi” par des conditions qui lui sont imposées.
Ce qui est remarquable, c’est que les deux perspectives ne ferment pas la porte à un avenir radieux. L’une dit: “Croyez et vous serez sauvé” et promet ce qu’il y a de mieux, l’accès au Royaume de Dieu. L’autre prend le prolétaire par la main, et lui promet, à l’issue d’un combat contre ses conditions matérielles d’existence, de devenir ce qu’il n’a jamais été: l’homme total, conscient de lui-même, retrouvé.
Leur point d’accord se résume ainsi: L’être, l’individu n’existe qu’en temps qu’il est membre d’un ensemble (“brebis dans un troupeau” et si on lit la Bible, ceci n’a rien de péjoratif) ou d’une classe sociale en une époque déterminée (Marx). S’il y a de la liberté quelque part, elle n’est pas propre à l’individu, mais viendra à la fin des fins, au bout d’un cycle où, ayant respecté la volonté de la divinité ou certaines lois de l’histoire, il prendra possession de lui-même dans un monde idéal (céleste ou terrestre). En prenant le côté négatif de la chose, et pour évoquer le monde réel, celui d’aujourd’hui, la liberté n’existe pas. Non pas cette liberté d’aller et venir, liberté de penser, de réunion, d’association, non. Ces libertés-là elles sont largement accordées dans les sociétés démocratiques. Mais la liberté intérieure, ce libre-arbitre, qui nous dit “tu dois, tu ne dois pas”, elle est niée par les deux systèmes. En réalité, c’est l’idée de la personne humaine qui est mise de côté, ignorée.
Plusieurs individus agressent un homme handicapé, le jettent à terre, le blessent à coups de pied, le laissent pour mort et s’enfuient mais sont rattrapés. Face à ce crime, journaux, médias et population sont outrés. La condamnation de ces actes est unanime. Les jours passent. On s’interroge. Les avis sont plus modérés. On se dit que peut-être les juges tiendront compte de circonstances atténuantes. D’où viennent ces individus ? Qui sont-ils ? D’abord ils sont jeunes. Dans l’article de certains journalistes on voit même apparaître le terme « gamins ». Ensuite, ils viennent de banlieue, de quartiers défavorisés. L’agression d’un homme sans défense est bientôt classée dans la rubrique des faits divers. On ne le dit pas, mais on pense très fort que les auteurs du crime, en guise d’éducation n’avaient connu que les coups. Cerise sur le gâteau, on apprend que la victime est sortie du coma. Alors la messe est dite. Foutue société qui ne donne pas sa chance à chacun, et de l’handicapé on ne parlera plus. Ce refus de la responsabilité nous rappelle ces paroles inouïes d’anciens capos des camps de la mort : « Je n’ai fait qu’obéir aux ordres ! » Ici c’est la société elle-même qui mène au crime, chacun peut nier sa propre existence dans la formule « Ce n’est pas moi, c’est l’autre. » L’être humain serait un jouet entre les mains d’un père, d’un maître, d’un militaire, d’une nation, d’un dictateur, un jouet manipulé par une société injuste qui ne donne pas sa chance à tout le monde.
Si l’être humain est réductible à un jouet, ballotté par les dieux, la société ou que sais-je encore, si ses actes sont explicables par des causes religieuses, sociales, économiques ou politiques, je voudrais qu’on m’explique, comment un homme assez haut placé sur l’échelle sociale, bon père de famille, aimant sa femme et ses enfants, cultivant son jardin et choyant ses animaux domestiques avec soin lors des jours de congé, comment cet homme respectable et qui a des projets plein la tête, qu’on m’explique comment cet individu peut consacrer ses jours de travail à vérifier, avec la plus grande minutie, la bonne application de la solution finale dans les camps d’extermination.
Les idées qui prétendent tout expliquer ne peuvent aller au plus profond de l’âme humaine. Celle-ci est trop complexe, son entrée leur est interdite. C’est pourquoi il faut s’en tenir, raisonnablement, à ce que le maître disait à son élève Viviane, qu’on pouvait être pauvre et digne, et que nous devions toujours répondre de nos actes.
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11:33 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : liberté, responsabilité, marx et la bible
23/11/2022
dans "Là-bas, tout près": l'interview de Viviane
(...)
- A sept heures, une dame a dit: “Si je parle on brûle ma voiture.”
- On se demande si la république existe encore. Sur place, les gens normaux se taisent, l’omerta est la règle. Le maire a parlé : « C’est un problème social… » On a droit au discours sur le chômage, le mal-être, la banlieue défavorisée, l’absence de police de proximité, la prévention, tout le monde est gentil, c’est la faute de la société… Bref, la France devrait s’accommoder du mélange entre les gens honnêtes et les délinquants. Il ne le dit pas comme ça, mais le résultat est que la ménagère qui rentre chez elle doit dire trois fois pardon, baisser les yeux et s’excuser d’exister.
- C’est difficile pour le maire de dire autre chose! Que peut-il faire si les gens ont peur de parler?
- Le problème, ce n’est pas le silence des habitants du quartier. C’est la loi du silence au niveau national. Les dégradations dans les transports, dans les services publics, les incivilités, l’absentéisme scolaire, le vol d’un portefeuille, le viol en réunion, l’agression d’un professeur... La société serait responsable de tous ces maux? Je ne peux plus entendre ce discours-là. Mais enfin, pourquoi chercher toujours hors de nous-mêmes l’origine et même la cause de tout ? Certes la société pourrait être plus juste, mais pour moi, la responsabilité est toujours individuelle. Il faut dire et répéter aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils ont bien de la chance de vivre dans un monde où la société n’est responsable de rien, où notre destin pèse sur nos propres épaules. Car nous sommes libres. Libres de tout, de nos mouvements, de nos pensées, de faire du bien, de faire du mal, de risquer notre vie en allant chercher un enfant emporté par la crue, de piller la maison abandonnée d’une famille fuyant l’inondation. Comme nos parents étaient libres de résister, libres de dénoncer. Libres au point de respecter les idées et les croyances d’un autre, libres d’imposer notre propre vision du monde. Libres d’aimer, libres de haïr, libres de sauver, libres de tuer. C’est toute la difficulté de notre condition. Nous pouvons choisir, à tout moment, tout le temps, entre le bien et le mal. Une puissance démesurée, sans limite, effrayante, exaltante. (...)
11:30 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : délinquance, responsabilité, libre-arbitre