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13/03/2016

Lettre d'une enseignante communiquée par SOS éducation:

 



« Madame la ministre,



Mes élèves à moi apprennent à dire "wesh", "nique", "encule", "salope" dès le primaire.
Mes élèves à moi grandissent très souvent dans des familles où les parents ne parlent pas français, et où le summum de la réussite consiste à passer manager chez KFC.
Mes élèves à moi n'écoutent pas Boris Vian et Desproges, ignorent l'existence de Bach et Mahler. Mes élèves à moi n'ont droit qu'à Booba, La Fouine, Orelsan et Gradur. 
Mes élèves à moi doivent passer dix minutes sur chaque vers de Du Bellay pour espérer comprendre quelque chose. Parce que leur référentiel principal, c'est Nabila et Touche pas à mon poste.
Mes élèves à moi poussent dans un environnement où les filles doivent dès la 6eme s'habiller et se comporter en bonhommes, ou se voiler, si elles veulent avoir la paix. Mes élèves à moi découvrent le porno bien avant d'avoir la chance de rencontrer Balzac. 

Nos élèves, madame la ministre, comprennent que s'ils veulent s'en sortir, accéder aux postes que leurs talents et un travail acharné leur feraient mériter, ils doivent d'abord se défaire de leur codes vestimentaires et langagiers, découvrir les pronoms relatifs, atteindre le pluriel et le passé simple, se reposer sur le subjonctif. Ils savent, croyez-moi, madame, que si je m'escrime à leur faire répéter dix fois une phrase avec la bonne syntaxe et le ton juste, c'est parce que je refuse que nos lâchetés et nos faiblesses fassent d'eux ce que la société imagine et entretient : des racailles, des jeunes privés d'avenir car privés d'exigences, de langue, de style, de beauté, de sens, enfin.

Nous luttons quotidiennement au milieu de nos gosses de REP et REP+ contre les "salope !", "sale chien !", "tu m'fous les seum !". Nous luttons pour leur donner une noble vision d'eux-mêmes quand tout pousse au contraire à faire d'eux des êtres hagards, décérébrés, violents. Nous tentons de leur transmettre le Verbe, dans un monde qui ne leur offre qu'Hanouna et Ribéry. Nous ne passons pas nos journées à jouer les thuriféraires de la pensée unique, rue de Grenelle, nous. Nous ne nous faisons pas de courbettes entre deux numéros de cirque à l'Assemblée Nationale. Nous avons les pieds dans la boue, une boue qui nous donne quelquefois la nausée, tant nous sommes seuls, et isolés, et décriés, tant notre tâche paraît ridicule et vaine. 

Quand donc, à la radio, madame la ministre, vous lâchez votre "bruit de chiottes", en bonne petite bourge qui ne voudrait pas avoir trop l'air d'être loin du petit peuple, qui ne voudrait surtout pas faire le jeu de cet abominable élitisme dont tout le monde sait que notre société crève, n'est-ce pas, quand donc vous vous soulagez verbalement, ce n'est pas tant votre fonction que vous abîmez : c'est notre travail auprès des élèves, nos mois d'épuisement et leur espoir, nos années de travail et leurs efforts, nos séances passées à essayer de leur dire que ce n'est pas parce que ce monde-ci est laid qu'il faut lui ressembler. 

Vous avez réussi, en quelques mois, à démontrer avec éclat votre conformisme, votre arrogance, votre paresse intellectuelle. Nous n'ignorions rien de tout cela. Désormais, nous savons que vous êtes aussi vulgaire. On ne vous mettra pas de 0/20, puisque vous avez aussi décidé que l'évaluation, c'était mal, péché, Sheitan, vilainpasbeau. Vous aurez simplement gagné le mépris absolu de milliers d'enseignants qui bien souvent, eux aussi, quand ils sont un peu à bout, aimeraient en lâcher une bonne grosse bien vulgaire, en classe, mais se retiennent, par souci d'exemplarité. »

                                                                           

                                                                             §

 

Commentaires

Dis donc, cher Michel, encore une synchronicité, je lis cette lettre au moment où je suis en rogne contre ceux qui nous accusent de laver les cerveaux des pauvres enfants, croulant sous les devoirs et qui nous proposent d'adopter un langage "student-friendly"! Histoire d'être un prof cool! Pour l'instant, je résiste, je persiste dans mon langage vieux jeu, truffé de subjonctifs et d'adjectifs autres que "super" et "génial".
Je te tiens au courant et je t'embrasse.

Écrit par : Dana | 16/03/2016

Dana,

c'est avec trop de retard que je te réponds, encore des problèmes de santé. J'imagine bien à quel point il est difficile de devenir un professeur cool, quand je vois -mais je te le dis tout bas, car c'est mal vu, voire interdit de le supposer-à quel niveau d'illettrisme sont tombées les nouvelles générations. Aucun souci cependant pour les enfants des théoriciens de la pédagogie nouvelle, qui continuent de fréquenter de vraies écoles où le subjonctif a encore une raison d'être. Pour le reste (le peuple) il y a beaucoup à faire dans le domaine ludique, le sport, les sorties éducatives en base de loisirs, bref tout ce qu'un enfant d'aujourd'hui laissé à lui-même considère "génial" et "super". Quand on pense à ce qu'était l'école, ce lieu de loisir au sens grec du terme, car lieu retiré, à l'écart de la rue et de l'opinion publique, loin du labeur et des affaires, où tout l'espace était réservé à l'esprit, lieu sublime où l'enfant devait s'épanouir, laissant le champ libre à la pensée, quand on pense à cela, on a le droit parfois d'entrer comme tu le fais, en résistance. Merci encore pour ta précieuse collaboration, amicalement, Michel

Écrit par : Pourny | 22/03/2016

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