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10/07/2010

Sur la liberté de l'internaute

 

  Suite à un projet de réglementation sur Internet, visant à ce que les personnes qui s’expriment le fassent en leur nom et non sous un pseudonyme (1), j’ai entendu :

 

Les blogueurs veulent défendre la liberté !

Les blogueurs tiennent à leur liberté !

 

 Une loi obligeant les gens à exprimer leurs opinions en leur propre nom serait donc liberticide ? Sacrebleu, qu’elles sont loin les leçons de morale de nos maîtres de l’école primaire ! Qu’ils sont loin les idéaux de ces penseurs lumineux lus et commentés dans nos classes des lycées ! Des noms prestigieux se rappellent à moi, les Socrate, les Bruno, les Galilée, les Lavoisier, les Louise Michel, les Zola, les Albert Kuntz, les Sakharov, les Soljenitsyne, les Plioutch, tous ces héros dont beaucoup d’entre nous ne connaissent que le nom, ces héros qui parlaient, qui écrivaient, qui clamaient leurs convictions, jusqu’à la porte des prisons, parfois au pied du bûcher, dans les couloirs de la mort, entre les barbelés du goulag, ces porte-drapeau de l’humanisme, du progrès, de la raison, de l’intelligence, n’auraient jamais eu l’idée saugrenue de s’exprimer sous un faux nom, d’ailleurs se seraient-ils cachés, Platon n’aurait rien écrit, la terre serait encore au centre du monde, le peuple de Paris aurait accepté l’humiliation, Dreyfus aurait été définitivement jugé coupable, les fusées V2 auraient atteint leur objectif, entraînant peut-être la victoire du nazisme, les droits de l’homme en URSS seraient restés lettre morte, et le totalitarisme encore une réalité.

 

 Les grandes idées ne sont jamais anonymes (2). C’est aux pénitents de porter la cagoule, aux bandits de masquer leur visage pour échapper à la justice. Les idées et les actes qui ont changé le monde furent toujours œuvres humaines, résultats de la pensée, du travail, du courage aussi de femmes ou d’hommes en chair et en os. Certes il leur fallut parfois se cacher, agir secrètement, pour échapper à la répression d’un pouvoir tyrannique. Mais la clandestinité n’est pas l’anonymat. Quand pour faire entendre sa voix, on risquait sa vie et celle de sa famille, quand pour libérer un peuple on devait rester dans l’ombre… mais pourquoi parler à l’imparfait ? Que des opposants au régime islamiste en Iran se cachent, qui leur reprochera ? Qu’en Chine les internautes s’abritent derrière un pseudonyme, qui s’en offusquera ?

 

 La volonté de ces personnes confortablement installées en société démocratique, à voir dans l’anonymat la préservation de leur liberté paraît bien ridicule ! Ces propos déshonorants, attaques à la personne, injures, dérives antisémites, négationnistes et néo-nazies, sans parler des textes et photographies diffusés par des pédophiles sont-ils l’expression de la liberté ? Serait-ce une atteinte aux libertés démocratiques de les interdire ? L’anonymat est trop souvent l’innommable. La lâcheté de ces-auteurs-qui-n’en-sont-pas est à la mesure de l’irrationalité de leurs élucubrations. Qu’on les contraigne à décliner leurs noms, ils disparaîtront.

 

 J’ai bien conscience que c’est un combat perdu d’avance. Les séraphins (3) qui hurlent aux lois liberticides quand on propose d’interdire la dissimulation de son visage sauf en période de carnaval, qu’on autorise la police à ouvrir les coffres des voitures pour éviter les attentats et combattre le trafic de drogue, qu’on passe au scanner les passagers en aéroport, qu’on interdise le port de la cagoule (4) aux manifestants, qu’on installe des caméras qui permettent d’identifier les délinquants, nos bons angelots clameront qu’au nom de la liberté il est interdit d’interdire, et que la démocratie consiste à cultiver l’irresponsabilité. Un raisonnement qui tient la route ! Vous n’êtes pas sans savoir que, par sa tenue provocante la jeune fille violée l’avait bien cherché, que l’agresseur de la vieille dame était dans le besoin, que le père qui maltraite ses enfants avait lui-même été maltraité, que le pédophile avait été violenté dans son jeune âge, que les caïds de banlieue sont en désespérance, que le terrorisme est lié à la misère, que le port du capuchon, de la casquette ou du foulard sont autant d’expressions d’une identité culturelle que la méchante société occidentale s’efforce d’annihiler. Quant aux victimes, la jeune fille, la vieille dame, l’enfant maltraité ou violé, le locataire d’un logement en banlieue qui a peur de rentrer chez lui, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. A eux il est interdit de se plaindre.

 

 Alors que sur le net, on continue en cachette à déverser des propos immondes sur tout et sur rien, quelle importance ? Je dirai cependant à ces chaperons (5) de la délinquance organisée que je n’ose imaginer le mal que ces innomés de la toile pourraient faire si un régime du type Vichy voyait le jour. Il y eut à l’époque quantité de dénonciations anonymes. Alors, à l’échelle d’Internet…

 

§

 

 

(1) pseudo-, composant grec tiré de pseudos, fausseté ; un pseudonyme est un faux nom.

 

(2) anonyme adj. et n. 1. Se dit d’une personne dont on ignore le nom, ou d’une œuvre sans nom d’auteur. Écrivain anonyme. Ouvrage anonyme. ­ Lettre anonyme, que son auteur n’a pas voulu signer.  © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001

 

(3) séraphin n. m. Ange décrit par Isaïe avec trois paires d’ailes. ­ THEOL Séraphins: premier chœur de la première hiérarchie des anges. 

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001

 

(4) Cagoule (la), nom donné au Comité secret d’action révolutionnaire (C.S.A.R.), organisation d’extrême droite fondée en 1935 par Eugène Deloncle. De 1935 à 1941, elle réunit des groupes armés pour lutter contre le communisme. Elle organisa notam. l’assassinat de Marx Dormoy (1941).

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001

 

(5) espèce de coiffe, et personne qui en « couvre » une autre (d’où chaperonner).

06/07/2010

Où l'Eglise et l'Islam font bon ménage...

 

Lu dans Les échos n°77, Saintes-est, mars 2010, sources des textes  La Croix, Panorama, Zenit, France catholique :

 

France : L’Institut catholique de Paris réalise une idée de la République française

 

 Lancée par la République française et réalisée paradoxalement par l’Institut catholique de Paris en raison du refus, au nom de la laïcité, des universités publiques de dispenser un programme de mise à niveau à des étudiants de confession musulmane, les imams ou aumôniers musulmans parmi eux six femmes ont reçu leur diplôme universitaire « interculturalité (1), laïcité et religions » à l’Institut catholique de Paris.

 L’une d’elles, mère de cinq enfants, arrivée il y a neuf ans de son Algérie natale, fut d’abord aumônier de prison agréée. Elle est désormais aumônier militaire, à l’hôpital militaire de Lyon et à l’Ecole de santé. Elle a suivi la formation mise en place par l’Institut catholique de Paris, destinée « aux cadres religieux, culturels ».

  « Cette formation me permet de mieux comprendre, donc de mieux expliquer les codes culturels de la société française et les principes du pacte social sur lequel repose la société, et d’aider les musulmans à vivre leur religion de manière sereine dans un pays très sécularisé.» Cette formation suscite un intérêt croissant.

 

Fin de citation.

 

 Catholiques et musulmans sont enfin réunis pour la défense de la laïcité et du pacte social. On ne saurait trop les en remercier, en ces heures sombres où démocrates, libres penseurs, agnostiques et autres blasphémateurs mettent en péril l’idéal républicain. Allah akbar, amen.

 

(1) interculturel, elle adj. Didac. Qui concerne les rapports entre plusieurs cultures.

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001

 

 Dans l’atmosphère morose de notre société en crise, l’interculturalité pourrait changer bien des choses. Dans un complexe nautique par exemple, on peut très bien concevoir une baignade commune pour catholiques intégristes (2), catholiques socialistes (3) de plus en plus nombreux, musulmans chiites, sunnites (4) ou militants du Hamas et du NPA, musulmans démocrates ouverts à la discussion (5), musulmans socialistes (6) musulmans de l’UMP (7) en forte progression, animistes (8), hassidites (9), pharisiens (10), sadducéens (11), esséniens (12), arianistes (13), anabaptistes (14), évangélistes (15), mormons (16). Fermera-t-on pour autant la porte aux adeptes des Mystères, ces nostalgiques des cultes d’Osiris ou de Mithra ? Certes non, les fonts baptismaux (17) interculturels ouvriront leur porte à tous, dans le plus profond respect de l’esprit religieux depuis toujours ivre de paix et de tolérance. Une restriction toutefois, on évitera de plonger pécheresses et hommes dans le même bain, des essais sont en cours pour définir des horaires différents pour les deux sexes. La baignade sera interdite, cela va de foi, aux apostats (s’il en reste), incroyants, agnostiques, libertins, libres penseurs et autres desperados et empêcheurs de prier en rond.

 

 

 (2) contacter Bruno Gollnisch ;

 

(3) contacter Martine Aubry ;

 

(4) La sunna (ou Tradition) constitue l’orthodoxie musulmane, et on peut voir en les sunnites les musulmans orthodoxes. En fait, les sunnites (près de 900 millions de musulmans) et les chiites (env. 125 millions) se distinguent en ceci: les sunnites affirment la légitimité des califes qui succédèrent à Mahomet, alors que les chiites n’ont pas admis la déposition d’Ali, gendre de Mahomet, en 659. *

 

(5) j’ai appelé plusieurs fois, ça ne répond pas ;

 

(6) contacter Martine Aubry ;

 

(7) attendre encore un peu avant de contacter François Fillon, il est en cours de conversion ;

 

(8) animisme n. m. Croyance attribuant aux choses une âme, une conscience.*

 

(9) hassidisme n. m. Courant mystique et ascétique du judaïsme traditionnel qui se développa principalement aux XIIe et XIIIe s. et fut restauré par le Ba’al Shem Tov (1700 - env. 1760).*

 

(10) pharisien, enne n. et adj. Personne qui pratique une piété tout extérieure. Mod. Personne qui observe avec une rigueur pointilleuse les préceptes d’une morale étroite et toute formelle, et qui se pose en modèle de moralité, de vertu. ­ adj. Une attitude pharisienne. *

 

(11) sadducéen, enne ou saducéen, enne . Membre d’une secte juive issue des classes riches et de la haute hiérarchie sacerdotale, qui affirmait la primauté de la Torah sur toute tradition orale et niait la résurrection des morts. *

 

(12) essénien, enne adj. et n. Relatif à une secte juive du temps du Christ, dont les membres, au nombre de quelques milliers, menaient une vie ascétique de type monacal. *

 

(13) arianisme, hérésie d’Arius qui, niant l’unité et l’identité de substance du Fils avec le Père, ne reconnaissait que partiellement la nature divine de Jésus-Christ, infirmant ainsi le dogme de la Trinité. *

 

(14) anabaptiste [anabatist] n. Adepte d’un mouvement protestant qui dénie toute valeur au baptême des enfants et réserve ce sacrement aux adultes.*

 

(15)  évangéliste n. m.  1. Prédicateur de l’Église réformée. *

 

(16) mormon, one n. et adj. Membre d’un mouvement religieux («Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours») fondé aux États-Unis à partir de 1830, dont la doctrine repose sur l’Ancien Testament mêlé d’emprunts à diverses religions (partic. au judaïsme). adj. La foi mormone. *

 

(17) cuve qui contient l’eau du baptême ;

 

Les notes marquées d’un *  sont extraites de © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001

 

§

 

 Du texte cité plus haut, je retiens particulièrement l’énoncé :

 

« aider les musulmans à vivre leur religion de manière sereine dans un pays très sécularisé »

 

sous-entendu TROP sécularisé, c’est-à-dire : dans une société qui a exclu la religion du domaine public. Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec cette analyse de Roger Garaudy, philosophe converti à l’islam:

 

« …ayant accueilli dans une large mesure les perversions grecques du dualisme, jusqu’à interpréter, dans un esprit de résignation, l’opposition de Dieu et de César (…) comme un dualisme de la foi et de la politique, il (le christianisme, NDLR) laissait à César, depuis Constantin, plein pouvoir sur la vie politique et sociale, l’aidant même dans sa tâche, car, par ce dualisme frileux, il faisait de la foi une affaire privée, n’ayant plus prise sur l’organisation de la société. La politique est ainsi devenue autonome, portant en soi ses propres fins, sans rapport avec l’homme ni avec le divin. »

 

Et puis Zorro est arrivé :

 

« L’Islam, en refusant les faux dualismes de la politique et de la foi (…) peut nous aider à revivifier le christianisme lui-même et à surmonter la crise de désintégration du tissu social. » (18)

 

CQFD : l’islamisation, ultime espoir pour la hiérarchie catholique de saper définitivement la loi de séparation de l’église et de l’état. Voir avec quel empressement certains de nos élus –dans un esprit œcuménique- accordent des terrains pour la construction de mosquées, tout en s’avouant impuissants à empêcher la fermeture des bureaux de poste, des écoles, des hôpitaux, bref des services publics.

 § 

(18) Roger Garaudy.- Promesses de l’Islam, éditions du Seuil, 1981, page 57.

04/07/2010

Va,te,faire,fils,de.

 

 Mon cher Jean-Bernard, 

 Pendant ces quelques semaines passées dans le milieu hospitalier, c’est fou ce que dans un lit on peut ruminer, d’abord parce que l’on sort de chez soi et que l’on rencontre du monde, infirmières, médecins, rééducateurs, voisins de chambre, malgré la présence incessante de la télévision puisque la personne d’à côté ne peut se passer de ces images de fond lancinantes qui vous informent de tout et de rien, surtout de rien, quelque chose me dit qu’on apprend beaucoup plus entre les quatre murs d’un centre de soins que plongé confortablement dans le doux cocon domestique. Même si à la maison les livres même ceux des philosophes, la musique, la conversation, l’éveil printanier du jardin, le bruit du vent dans les arbres, le vrombissement d’un gros cube, le dessin des fumées d’avion dans le ciel, le passage de la factrice, la radio, la télé, Internet, le téléphone et les nouvelles toujours mauvaises sont là pour nous relier au monde, ce monde, le monde réel, nous n’en avons vraiment l’idée que lorsque nous sortons de chez nous, j’entends simplement quand nous sortons. Le philosophe disait que les formes apparaissant au fond de la demeure ne sont que les images inversées du monde réel, et qu’il faut bien un jour se tourner vers la lumière, affronter la réalité (1). Modestement, ce n’est ni la quête de la Vérité, ni le goût de l’aventure qui me firent quitter le domicile familial, mais l’arthrose du genou. Et je m’aperçus bien vite que l’hospitalisation était un voyage au cœur de la réalité, un apprentissage.

 

 Ce que j’appris là-bas n’est pas toujours bon à dire, encore moins à ruminer, mais tu sais Jean-Bernard que je suis un éternel ruminant, que je trouve toujours à redire de tout, que j’ai l’esprit compliqué. Pour ma défense, sache que mon péché originel : la photographie, me condamne éternellement à garder les yeux ouverts, à considérer ce qui se passe autour de moi comme un spectacle. Certes, pas plus que celle des grands photographes, ma vision n’est objective, et je dois reconnaître que mon regard sur les hommes et les choses est borné, limité par le nombre de mes yeux : deux (2), et encore…faut-il que je porte des lunettes. Alors voilà.

 

 Entre autres choses désagréables, savais-tu que l’hygiène du corps n’est pas une priorité pour beaucoup de nos concitoyens ? Qu’on n’ouvre pas la porte à une personne se déplaçant en fauteuil roulant, car elle fait partie de la communauté des Roms (3) ? Qu’on préfère voir s’édifier en face de chez soi une mosquée plutôt qu’une banque ? Et alors là, je vais te faire bondir, toi dont l’antiracisme n’a d’égal que le souci de la justice sociale : savais-tu mon ami, qu’on fait payer par la sécurité sociale des soins qui n’ont pas lieu d’être, ce qui soulève l’indignation de personne ou presque car la dame à qui je pense est d’origine africaine et ce n’est pas demain la veille qu’un citoyen courageux osera dire à une personne de couleur qu’elle profite du bien public, car dans notre société perpétuellement rendue coupable de tous les maux nous devrons éternellement payer la politique d’un empire qui, alors que nous n’étions pas nés, avait soumis, exploité, dépouillé l’autre moitié du monde. Et vas-y, que dans ma belle robe multicolore, étendard admirable et admiré par les zélateurs de la diversité culturelle, je me promène sourire aux lèvres dans un centre de soins ultramoderne payé par les cotisations de millions de travailleurs dont beaucoup aujourd’hui sans emploi sont oubliés par la république, je pense à ces habitants des régions déshéritées de France qui, après la fermeture des mines, des usines, des écoles techniques, n’ont rien d’autre à proposer à leurs enfants qu’un sombre avenir, je pense à ce monsieur, Emma tu sais de qui je parle, mineur et vaincu par la silicose, à ces travailleurs qui disparaissent aujourd’hui parce qu’ils ont respiré trop longtemps et sans protection les poussières d’amiante, pour eux cures thermales et rééducation fonctionnelle n’auraient servi à rien, ils n’auront pas coûté cher à la communauté.

 

 J’ai appris aussi qu’on s’offusquait de voir une équipe nationale exclue au premier tour de la Coupe du monde de football, qu’on réclamait la démission de son sélectionneur, qu’on s’indignait cette fois avec raison des émoluments immérités dont bénéficient les joueurs, mais la raison s’arrête là. Car je n’ai pas entendu –ou du moins pas assez- qu’il était indigne de la part de sportifs qui représentent la nation de proférer des mots qui n’ont de commun avec la langue française que quelques articles, un pronom, une virgule, deux verbes à tout faire et un point d’exclamation. Cette belle langue dont les Envoyés de l’Exception Culturelle à la Française nous rabattent les oreilles quand il s’agit de railler la langue de Shakespeare commerciale et impérialiste, celle de Hölderlin cataloguée fruste et militaire, bref les langues étrangères, cette belle langue –pas plus que l’équipe tricolore- n’a brillé en Afrique du sud, et des millions de français de tous les âges ont pu découvrir avec horreur, étalés en grand à la une du journal, des mots qui trahissent la haine homophobe et misogyne de la pire racaille que sont les caïds de banlieue. Ce jour-là, il n’était pas besoin d’être patriote pour ressentir de la honte.

 

 J’ai découvert aussi la détresse, l’invalidité permanente, ces bras collés au corps, ces membres sclérosés que des kinésithérapeutes souriants, soucieux de tout faire, mettant à l’œuvre leur connaissance approfondie de l’anatomie humaine, espèrent un jour réanimer, par des massages, des pommades, des encouragements, des plaisanteries, des éclats de rire. Ces gens-là je les admire, et je les crois, par leur application, leur métier, leur persévérance, capables de prodiges hors de portée de tous les magiciens, sorciers, enchanteurs, charlatans, dieux et jésus réunis. Quand une femme clouée au fauteuil depuis trop longtemps s’est levée entre les barres, esquissant quelques pas, aurais-je été chrétien, j’aurais perdu la foi. La science, debout derrière à un mètre, jeune femme attentive, sûre d’elle, a dû esquisser un sourire. Athéna sans casque terrassant l’hémiplégie.

 

 A ma table, une femme d’origine turque et un homme retraité d’origine marocaine. L’un comme l’autre ne connaissent que quelques mots de français. Tout échange est impossible, sauf par gestes. La femme est opérée de la hanche, je ne comprends pas pourquoi elle montre son ventre en faisant la grimace. Mon vis-à-vis, une française, a compris : déjà mère de trois enfants, elle craint que la prothèse rende difficiles de nouvelles grossesses. Lui, plus âgé, est habitué au langage gestuel, mais il veut tellement en dire, que l’arabe prend rapidement le dessus en discours interminables, impénétrables. Moi qui, à peine réveillé, aime préparer dans le calme mes tartines au beurre et à la confiture, je suis servi. Il embraye à 8 heures du matin sur ce que je présume être une énumération de ses enfants et petits enfants, énumération qu’il répète à chaque repas, en faisant trottiner ses dix doigts sur la nappe… Je lui dis : « 10 ? ». Il en ajoute un. Onze enfants, et pour les autres, les petits de ses enfants, ses doigts trottinent sur la table –j’exagère à peine- jusqu’à l’arrivée du plat principal. Devant notre étonnement, il nous rassure : ses fils ont plusieurs femmes, là-bas au pays, pour s’occuper de tout ce petit monde.

 

 Depuis combien de temps ces deux personnes sont-elles en France ? Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment ces gens peuvent-ils aimer ce pays et ses habitants sans parler la langue? Je vois les regards que les autres portent sur eux. Sourire, indifférence, mépris. Quelques-uns font l’effort de les comprendre, les échanges se limitent à la pluie et au beau temps. Sans la parole, il n’y a pas d’intégration.

 

 Il y a ceux qui se pointent, quand on en est au fromage. Les serveurs ont la gentillesse de garder leurs plats au chaud. Leur entrée est remarquée, certes ce sont les seuls hommes de couleur, mais leur attitude choque les gens ordinaires que nous sommes. Casquette vissée sur la tête, tenue jogging impeccable haut de gamme, il ne disent pas bonjour, à quoi bon puisqu’ils n’entendraient pas la réponse à cause du casque audio qui couvre leurs oreilles. Ils ne semblent pas apprécier la nourriture, car ils sortent les premiers, leurs mets à peine entamés. En un mois de cure ce qu’ils laissent dans leur assiette pourrait nourrir combien d’enfants dans leur pays d’origine ? Oui, cela me met en colère, car ces jeunes hommes à qui la démocratie accorde le droit de vote seront peut-être les premiers qui, outre la mauvaise qualité de la nourriture, oseront critiquer les mœurs du pays d’accueil, la société de consommation occidentale, et tutti quanti. Le Marocain dont je parlais se plaignit même avec force gestes d’avoir attendu très longtemps après l’heure fixée du rendez-vous pour passer un scanner.

 

 L’autre, plus loin, depuis les siècles des siècles Français du haut du crâne jusqu’à la plante des pieds, je lui donnais soixante-dix ans, toute l’apparence de la sagesse que j’attribuais à ses cheveux blancs, sa démarche lente appuyée sur une canne, son air sévère. Je me trompais. A l’heure du goûter, nous avons droit à une boisson chaude accompagnée d’un biscuit. Dissimulant, à la vitesse de l’éclair, le sien sous sa serviette, de sa voix de stentor (4), il réclame son biscuit. Le jeune serveur, nouveau dans la maison, se dirige aussitôt vers le chariot, quand une voix féminine provenant du fond de la salle l’en dissuade : « Non non non, on ne me la fait pas à moi ! Son gâteau, il l’a planqué sous sa serviette ! ». Et vlan ! Le même vieux rapace –vous n’allez pas me croire- s’amuse à tapoter les fesses des femmes qui passent entre les tables, du bout de sa béquille. Combien de fois ai-je pu me tromper et juger à tort les gens selon leur apparence !

 

 Je n’ai pas évoqué Poséidon. Il marche à petits pas tremblants en s’aidant d’une canne à trois pieds, attribut qu’il partage avec le dieu des océans. Pour le reste, il garde un œil fermé, son visage est grêlé, buriné. Qu’il vente ou qu’il pleuve, il trouve toujours le moyen d’aller en griller une. Les rééducateurs cachent leurs sentiments, ils font semblant d’y croire. Effacé mais affable, cet homme est un naufrage, je lai lu dans son regard.

 

 Bien que très faible et se déplaçant avec une béquille, on l’appelle Rambo, car il descend un jour en salle de rééducation en tenue de camouflage. Son kiné continue comme si de rien n’était (et de rien n’était !) à s’affairer sur un autre patient. Rambo salue tout le monde, le kiné s’excuse : « Ah, pardon, je ne vous avais pas vu ! » Oui, il nous arrive de rire, d’ailleurs le même plaisantin était un fan de Franquin, de Goscinny et de Desproges.

 

 La quarantaine, teint hâlé, maillot débardeur laissant voir les tatouages sur les épaules et les bras. Il pense tout haut, les occasions sont toujours bonnes pour interpeller celle ou celui qui passe, il nous attribue des surnoms, en fonction de notre allure, de notre coiffure, un vocabulaire d’une centaine de mots lui suffit pour prendre place au milieu du monde, d’ailleurs il est toujours au milieu, cigare à la bouche, affalé sur une chaise ou un banc, les jambes tendues laissant voir les cicatrices qui justifient sa présence ici. En moi-même je le maudis, il y a tellement de gens qui ont tant de choses à dire et qui par humilité se taisent. Et puis patatras ! Le jour de son départ, il entre en salle de rééducation. La femme qui est allongée sur l’autre table à deux mètres de moi, est âgée, infirme et ne cesse de se plaindre. Il s’approche, se penche sur elle, l’embrasse et chuchote quelques mots à son oreille que je n’entends pas, mais ce sont des paroles affectueuses, les larmes aux yeux elle lui rend son sourire. Il se relève, vient me serrer la main, la kiné s’approche, il la prend dans ses bras et la remercie. Il s’en va. Il boîte encore.

 

 De retour dans ma chambre, mon voisin m’annonce qu’il sort bientôt. Il est content. Il va retrouver son petit chez-lui, mais encore avec deux cannes anglaises, et dans l’attente d’une nouvelle opération, cela n’en finit pas. Sa femme est partie. Il vit tout seul. Sa mère à deux pas fera ses courses. Il aime bien son quartier, il me fait comprendre que tout va bien. Il s’aperçoit que pour l’écouter j’ai posé mon livre. Il s’excuse. Je lui fais signe que je suis content pour lui. Je me replonge dans ma lecture. C’est le livre de Job. Exceptionnel. Traduction Chouraqui. Job, qui frémit d’Elohim et s’écarte du mal, je ne l’ai pas rencontré dans ce centre. Car ici, ce n’est pas Satan qui accable, ce n’est pas IHVH qui sauve. Le malheur frappe au hasard les riches et les pauvres, les bons et les méchants, l’infirmité aplanit les différences, et ceux qui s’en sortent ne sont pas toujours les bons, et même s’ils s’en sortent, les meilleurs médecins ne les rétablissent jamais dans leur premier état, portant au double tout ce qu’ils avaient possédé, 14000 brebis, 6000 chameaux, 1000 paires de bœufs et 1000 ânesses, 7 fils et 3 filles, ils ne connaîtront pas jusqu’à la quatrième génération les fils de leurs fils. Ils mourront sans être rassasiés de jours (5). En quittant ce centre, j’ai conscience d’avoir été soigné d’une égratignure. Tout juste si je ne sors pas en me cachant. Je laisse derrière moi des gens souriants, qui prennent la vie comme elle vient, certains avec humour, qui me souhaitent un bon rétablissement. Je leur réponds par un sourire et une chaleureuse poignée de main.

 

 Cette main, la tienne Jean-Bernard, tu ne m’as pas laissé le temps de la serrer. Combien je t’en veux.

 

 Ton pote, Michel.

 

 

§

 

 

(1) Allégorie imaginée par Platon dans le livre VII de la République: « …des prisonniers, enchaînés au fond d’une caverne et tournant le dos à l’entrée, voient seulement, sur la paroi éclairée par réflexion (les rayons lumineux passant par un minuscule trou appelé stenopê, renvoient sur un mur l’image inversée du monde extérieur NDLR) des silhouettes d’hommes et d’objets qui passent; ils prennent ces ombres pour la réalité. Un prisonnier rendu à la lumière est d’abord aveuglé puis il s’habitue à la réalité et à la vue du soleil. Ainsi, l’homme doit se consacrer à la philosophie: se détourner des apparences, pénétrer dans le monde intelligible grâce à la dialectique, accéder aux idées, notam. l’idée du bien, véritable soleil. »

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001

 

(2) pour information, Argos avait cent yeux, dont cinquante demeuraient toujours ouverts. Quand je vois ce que je vois avec seulement les deux miens (en outre fermés la nuit), je pense qu’Argos devait vivre un enfer.

 

(3) Rom (les), l’un des trois grands groupes de Tsiganes, parlant la langue romani, dite aussi tsigane, dans laquelle homme se dit rom. Ils vivaient et vivent surtout en Europe centrale, mais certains ont gagné l’Europe de l’Ouest et même l’Amérique du Nord et l’Afrique.

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001

 

(4) Protozoaire cilié d’eau douce en forme de trompe.

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001

 

(5) Job 42, 12 à 17 traduction André Chouraqui, ed.Desclée de Brouwer 1989 :

 

« IHVH bénit l’après de Iob plus que son en-tête.

Et c’est pour lui quatorze mille ovins, six mille chameaux,

mille paires de bovins, mille ânesses.

Et c’est pour lui sept fils et trois filles.

Il crie le nom de l’une : « Iemima, Colombine » ;

le nom de la deuxième : « Qesi’a, Cinnamome » ;

et le nom de la troisième : « Qèrèn-ha-Poukh, Cornet à Poukh. »

Il ne se trouve pas de femmes

aussi belles que les filles de Iob sur toute la terre.

Leur père leur donne une possession au milieu de leurs frères.

Iob, après cela, vit cent quarante ans.

Il voit ses fils, les fils de ses fils : quatre âges.

Et Iob meurt vieux, rassasié de jours. »

 

Iemima : tourterelle ;

Cinnamome : arbre aromatique ;

Qèrèn-ha-Poukh : corne de fard ;