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04/06/2016

Balades de gens qui sont nés quelque part

 

 

 

Non mais vous avez vu de quoi ils vivent là-bas ? Mais comment font-ils ?

Attendez, ne croyez pas que l’antienne évoque la vie des indigènes aux antipodes ! Non, nos marins au long cours reviennent d’Angleterre.

« Un pays qui propose à ses maigres habitants ruisselants de pluie : du thé, du mouton bouilli, une seule variété de fromage, pasteurisé sans goût, et qui les soûle à l’alcool de grains. Pouah ! Qu’on est bien chez nous.

Les allemands font pire. Ils s’empiffrent de saucisses grasses comme une bavaroise à natte, le type même de l’allemande dans la petite tête du franchouillard qui de la Bavière n’a visité en courant que le château de Neuschwanstein pour dire qu’il n’est qu’une pâle copie de celui du roi soleil. A part les saucisses, il n’y a outre-Rhin que de la discipline, les piétons traversent dans les passages cloutés ! Pas étonnant qu’ils aient suivi Hitler comme un seul homme. Pouah ! Qu’on est bien chez nous.

En Italie, rangez votre porte-monnaie, cachez vos bijoux, n’emportez que le nécessaire. Ils vont tout vous prendre, et encore si vous revenez vivant. Ils conduisent comme des dingues des bagnoles au moteur trafiqué. Même les carabiniers sont de mèche. Pour la bouffe, des pâtes, que des pâtes à la sauce tomate matin midi et soir. Si vous avez encore faim, ils vous bourrent de pizza, ou pizze c’est comme ça qu’ils disent quand ils sont plusieurs. On n’a pas dépassé Vintimille, ils nous avaient piqué la bagnole. Pouah ! Qu’on est bien chez nous.

En Belgique, on a essayé les musées, sinon le pays est plat comme une crêpe. Mais leurs peintres ne valent pas le déplacement, comment c’est qu’ils s’appellent déjà ? Memling, Van der Weyden, Van Eyck, rien que des primitifs. En plus beaucoup ne parlent pas français ou très mal. C’est guttural, ça ressemble un peu à la langue des boches. D’ailleurs ils ont un peintre qui s’appelle comme ça. Pouah ! Qu’on est bien chez nous.

En Espagne, il n’y a rien à voir à part les corridas pour le spectacle et la Costa Brava pour le soleil et la baignade. Ils cuisinent tout dans l’huile d’olive pas raffinée. Pouah ! Qu’on est bien chez nous.

Ne me parlez pas de la Suisse, ou alors seulement des paysages de montagne. Au sud, dans la partie francophone, les gens sont encore supportables. Dans le nord, les suisses allemands font la loi, ils sont balourds, dieu qu’ils sont balourds ! Heureusement, on n’était pas loin de chez nous.

Des Etats-Unis, on est vite revenus. Là ou il n’y a pas d’immeubles, c’est le désert. Sauf en Louisiane, ils parlent français, c’est drôlement beau la Louisiane. Mais on est quand même mieux chez nous.

On n’est pas allé au Canada, on a préféré faire le Québec. Les habitants sont super sympas, ils parlent notre langue avec un accent agréable, ils disent beaucoup de bien de la France, on était fier. C’est sûr, au Québec on y retournera. Mais quand même, il y fait un peu froid. Plus que chez nous.

On est allés dans les dom toms, c’est comme la France, 8 heures d’avion en plus. Je vous dis pas la plage, les palmiers, le punch à la cannelle, la mer d’un bleu qu’on dirait la Côte d’azur. Bon, pas pour y vivre, la vie là-bas en dehors du club, c’est pas dans le confort qu’on a ici. On est quand même mieux chez nous. »

En écoutant ces ragots de mulots qui ont la nostalgie de leur trou, je me dis que la balade en solitaire vaut mieux que celle en chauvinisme organisé. Si partir c’est revenir en se disant qu’on est mieux ici qu’ailleurs, il vaut mieux rester ici. Combien de marins, combien de capitaines ai-je entendus gazouiller ce refrain ! Mais qu’ils nous foutent donc la paix avec leurs voyages ! Pour passer la frontière si le passeport est en règle, c’est l’ouverture d’esprit qui fait défaut. Comment voulez-vous contrôler ça ?

 

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01/05/2016

Pompéi, souvenir des vivants

 

 

 Qu’irais-je donc faire à Pompéi ? La ville a quasiment disparu sous la cendre. On me dit que ce qu’il en reste est en danger. Les maisons s’effondrent, dont la célèbre Schola Armaturarum (la maison des gladiateurs) où les pluies gonflent la terre qui fait pression sur les murs. Comme partout, à Venise aussi, les crédits font défaut pour protéger les chefs d’œuvre. Et puis même, imaginons que ces ruines restent telles qu’elles ont été dégagées aux siècles derniers, quel intérêt ? Les pompéiens sont morts, c’est eux que j’aurais voulu rencontrer.

 Ca ne devait pas être triste Pompéi avant l’éruption. A tous les coins de rues, dans les jardins des villas, parfois même en fontaines, partout où c’était possible, des phallus sculptés, peints, parfois énormes, certains sont même pourvus d’ailes, vous rendez-vous compte, des phallus volants ! Si le sexe masculin a la part belle, le féminin n’est pas mal non plus, comme ces jeunes filles enlacées, au corps de rêve, les femmes drapées dans le marbre, qui n’exhalent plus leurs parfums mais montrent leurs parures. Pour donner la mesure, Dionysos, dieu de tous les plaisirs trône en majesté. Sur les murs, les images des banquets où trinquent les bons vivants de l’époque, coupes en verre s’il vous plaît, vin de Crète…on se demande pourquoi, il y en a du bon en Campanie. C’était un temps où les ligues n’existaient pas, où le pape et les imams n’étaient pas là pour pomper l’air à l’humanité.

 Bref, on vivait bien, je n’en suis pas certain, un esclave m’en toucha quelques mots. Et alors ? Autant rester sur de bons souvenirs, comme on dit. De regarder les chaînes rongées par la rouille qui entravaient les chevilles des condamnés aux plus durs labeurs n’éveille que la curiosité morbide qui sommeille au fond de nous. Mais je reste ébaubi devant cette statue du fils d’Hermès et d’Aphrodite qui se prélasse en exhibant ses attraits. Allez, rien que pour lui, rien que pour elle, le voyage en vaut la peine. J’aurais aimé être pompéien à cette époque quand l’obscénité n’existait pas. La nudité n’était pas voilée. La sexualité n’était pas un péché. Les lieux de plaisir étaient partout, mais nulle part, et pourtant les fresques sont aussi nombreuses que les murs, nulle part le sexe ne s’exhibait.

 Non, je n’aurais pas aimé vivre à Pompéi, avec mes pensées tordues, mon air maussade j’aurais cassé l’ambiance. Ou alors, si. Pas à Pompéi, mais quand même à cette époque. J’aurais pris la place de Jupiter, cet incapable, non mais qu’est-ce qu’il foutait sur son Olympe quand le Vésuve crachait le feu ? Allez ouste, dégage ! J’aurais foutu une trempe à Junon qui m’aurait barré le passage, j’aurais donné mes ordres. Neptune, au lieu de s’époumoner à lever des tempêtes inutiles sinon à faire sombrer les héros de la mythologie, Neptune aurait vite compris à quoi il pouvait se rendre utile. Vite fait bien fait il aurait soufflé sur le monstre fumant jusqu’à l’éteindre. L’année 79 aurait été une année comme les autres, animée seulement par la joie de vivre et la brise venue de la mer.

 Seulement voilà aujourd’hui, pillés, brisés, usés par les siècles, les pluies et la brise venue de la mer, la belle statue de l’hermaphrodite, les jeunes filles enlacées, les phallus volants auraient disparu. Avec eux les fresques, les rues, les boutiques, les touristes, les agences de voyage.

 

 

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27/08/2015

Allemagne

 

 

A force de références en bien ou en mal, mais surtout en bien : puissance industrielle, économique, écologique, n’est-on pas en train de susciter de nouvelles vocations en germanophobie ? Car la mémoire est encore vivante chez un grand nombre d’entre nous, ceux qui ont connu les guerres et ceux qui se les ont fait raconter, navrés au fond d’eux-mêmes de découvrir que contrairement à toutes les lois de l’histoire, le bonheur va aux vaincus. 

 Si on regarde de près en essayant de mettre de côté les préjugés, bonheur est un bien grand mot. Si l’Allemagne n’est pas un enfer, elle est loin d’être un paradis. 

 Un énorme cigare à la bouche, son air arrogant traverse le verre fumé de la grosse cylindrée. Elle, imposante, la natte blonde régulièrement tressée tombant au milieu du dos, descend le vallon en compagnie de vaches propres comme des sous neufs. Images de la Germanie éternelle dans l’esprit de beaucoup, et pas seulement de ceux qui ont connu la guerre ou à qui on l’a racontée. Ajoutez-y l’industrie lourde, tout est lourd en Allemagne, la grotesque fête de la bière, les saucisses bien grasses, la grosse Bertha et le comique troupier de la septième compagnie, vous avez un cocktail tout à fait compatible avec la ritournelle des annonces qu’on nous assène tous les matins comme quoi là-bas tout réussit, ils sont plus forts que nous. Un peu dans l’esprit des commentaires avant match : les français jouent dans la finesse, l’initiative, l’inspiration, leurs adversaires sont balourds, sans grâce, seulement attention ils sont costauds. France David contre Goliath germain. Astérix rusé contre soldatesque romaine. Si tous les français ne sont pas aussi rusés que le petit gaulois, les allemands casqués en costume noir et tête de mort sont rares aujourd’hui outre-Rhin, et quand il y en a, ils sont recherchés par la police. 

 Il ne s’agit pas d’oublier le passé, oh que non ! Je comprends les réticences à voyager en Allemagne de ceux dont parents ou grands parents ont souffert, ou pire. Vladimir Jankélévitch dont j’admire la profondeur de la pensée (L’ironie, La mort…) disait que la philosophie allemande ne l’intéressait plus. Je comprends. Ce sont des choses qu’on ne discute pas. Dans ma famille, il n’y eut aucune victime du génocide. 

 Ne pas oublier le passé. Au contraire, le rappeler. Commémorer, enseigner, continuer inlassablement la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, le fascisme. Mais en parlant clair, distinctement, sans accuser un peuple car cela n’a pas de sens. Les allemands ont été les premiers à souffrir du nazisme, juifs, tziganes, communistes, démocrates… Ce sont des allemands qui, dans des conditions d’esclavage, ont construit les premiers camps, Buchenwald, Dachau. Des camps dans lesquels ils ont été les premiers à mourir. Ou parfois comme à Buchenwald, les premiers à s’organiser et à résister. Albert Kuntz, qui a permis le sabotage des têtes des fusées V2, qui a fait passer le plan de l’usine d’armement sise près du camp à Londres par l’intermédiaire de civils allemands eux aussi, de Weimar. Kuntz qui est mort torturé sans livrer les noms de ses camarades. Non l’Allemagne ne porte pas en elle le nazisme, pas plus que la Russie n’incline au communisme, ou l’Iran au fondamentalisme religieux. 

Et puis l’Allemagne, ce n’est pas Siemens plus Volkswagen et les saucisses de Frankfort. Il y a aussi des gens qui rient, qui pleurent, qui chantent. Il y a même des poètes, oui madame la journaliste qui avez asséné un jour cette sentence sans appel : le romantisme littéraire allemand est balourd. 

Un autre jour, ils étaient trois à se moquer, deux écoutaient l’autre, grand couturier. Quand ils lui demandèrent s’il lui serait difficile d’habiller Angela Merkel, gros rires. De gens plutôt délicats tout chargés d’une culture qui sent bon l’exception française. Gros rires d’intellos de base dont le vernis idéologique multicouches laisse vite suer l’instinct primitif : objets de la risée : l’allemande, la femme, l’étrangère, l’apparence physique, le jugement au faciès. Bande de pleutres ! C’est cela votre « Vivre ensemble », votre « Droit à la différence » ? On ajoutera aussi que la femme…qui réussit est un excellent sujet de moquerie pour le franchouillard dont le pays ressemble à un bateau qui coule.

 

O Deutschland, bleiche Mutter !

Wie haben deine Söhne dich zugerichtet

Dass du unter den Völkern sitzest

Ein Gespött oder eine Furcht !

 

Allemagne, O mère livide !

Comment tes fils t’ont-ils arrangée,

Que te voici parmi les peuples,

Toi, la risée ou l’épouvante. *

 

 Allez donc à Berlin, cette ville qui doit tant à nos huguenots, métropole cosmopolite, lieu de toutes les rencontres, et rendez-vous au Gedenkstätte Deutscher Widerstand (Mémorial de la résistance allemande) Stauffenbergstrasse 13-14 D-1000 Berlin 30. Si les documents sont enfin traduits en français (il y a dix ans ils ne l’étaient pas), vous saurez tout sur ce que fut la résistance au nazisme, dans le mouvement ouvrier, chez les chrétiens, dans les milieux artistiques et scientifiques, sur les préparations de coups d’état et l’attentat du 20 juillet 1944, le cercle de Kreisau, la Rose blanche, l’Orchestre rouge, l’opposition des jeunes, le « Comité national de l’Allemagne libre », la résistance des juifs, l’aide aux persécutés… Vous ne verrez plus l’Allemagne de la même façon. En sortant, allez déguster un jarret de porc grillé s’il fait beau en terrasse avec vue sur la Spree, mais ne traînez pas, l’île des musées vous attend, et ses trésors. 

 

 

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* Bertolt Brecht, ed. Gallimard Pléïade 1993