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12/09/2010

Larmes de crocodile

 

Les mesures prises en France contre les Roms sont inacceptables. Populisme et xénophobie en sont les seules causes. J’ai dit par ailleurs ce que j’en pensais, tout en ne partageant ni les propos de ces hommes d’église qui tentaient une comparaison avec le génocide nazi, ni les critiques indignées de ces bourgeois de gôche habitant les beaux quartiers pour qui il est facile de réclamer le maintien des camps de gens du voyage quand ils sont à des kilomètres de chez eux.  

 Mais il y a pire. 

"La dernière chose à laquelle on pouvait s'attendre était cette nouvelle de l'expulsion de gitans français, victimes de la cruauté de l'extrême droite française, qui a déjà touché 7.000 d'entre eux. Ils sont victimes d'une autre espèce d'holocauste racial." a déclaré l’ex-leader cubain. 

 La commisération du vieux dictateur à l’égard de la situation des Roms en France ferait sourire… si à Cuba… après cinquante ans de pouvoir absolu, le peuple n’était exsangue. Bref, larmes de crocodile. Castro ferait bien de balayer devant sa porte, mais aujourd’hui c’est trop tard, le mal est fait. Les tyrans vivent vieux et les peuples qu’ils oppriment souffrent longtemps. On pense à Franco, à Pinochet, à Brejnev, bêtes immondes coriaces pour qui la retraite ne fut accordée ni à 60 ni à 62, ni même à soixante-dix ans. Ceux-là n’hésitaient devant rien pour museler l’opposition : tortures, garrot, mains coupées, traitement spéciaux en hôpitaux psychiatriques.

Castro, lui a un penchant plus marqué pour l’emprisonnement. Laissons la parole au poète, il sait de quoi il parle. 

 

Incompréhension 

                           A Olguita Nazario, sœur. 

A Cuba

le bonheur était une sale habitude

héritée de nos ancêtres,

comme Noël

et les Rois mages. (Selon

les statistiques du Kremlin.)

            « Ce vice bourgeois

de manger tous les jours

nous a été légué par les impérialistes. »

Les gens dans les rues

vont d’un coin à un autre

portant leur misère sur le dos

et la terreur sur leur visage.

La jeunesse

            presse un peu le pas

            méfiante

comme si elle n’avait pas l’espoir

d’atteindre

le progrès que le « leader » a promis

pour l’an 3000.

Poussés par la méfiance

beaucoup s’aventurent à traverser

l’océan

            juchés sur des tonneaux

            ou des carcasses d’automobiles.

-En exil on a créé un prix

pour le premier qui accostera

après une traversée dans une bassine.

 

 

Ernesto Diaz Rodriguez est l’auteur de 9 recueils de poèmes, condamné à quarante ans de prison comme opposant à la dictature, il en a fait vingt-deux, dont sept dans un isolement total, il fut aussi victime de tortures. Il faut remercier les éditions Gallimard ainsi que Reporters sans frontières et la FNAC qui ont publié les textes des poètes censurés à Cuba, dont celui reproduit ci-dessus.

(Anthologie de la poésie cubaine censurée, proposée par Zoé Valdés, Editions Gallimard, 2002) 

 

15:20 Publié dans Colère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cuba, castro, roms, exclusion, voyage

15/07/2010

"Je ne veux pas voir l'immensité de ton univers..."

 

Des ressortissants cubains libérés ont pu gagner l’Europe. Qu’avaient-ils fait ces gens pour être si longtemps privés de liberté ? J’ai beau lire les journaux, je n’y apprends rien. Peut-être ont-ils été emprisonnés parce que… ils existaient tout simplement. Cela s’est vu dans le passé. Toutes les catégories ethniques, sociales, politiques ont été touchées par ce phénomène au cours de l’histoire. Le pire a été atteint au XX°siècle où l’existence de millions de gens devint insupportable pour les grands régimes totalitaires. Dans un cas, les victimes  furent les juifs et les tziganes. Dans l’autre, des paysans trop attachés à leur terre, des peuples sacrifiés et livrés à la famine, des nations entières déportées, des millions condamnés à survivre loin de chez eux, dans des contrées sauvages.

 

 On dit que les dictatures ne souffrent pas d’opposition. Mais ce qui pour eux est insupportable, c’est la vie, la vie tout simplement. Ces régimes tirent sur tout ce qui bouge. La vie est un danger pour des états animés par un Guide un seul ou une Idée une seule. Pour les idéologues de ces systèmes, la réalité n’est pas celle qui est donnée de voir et de vivre, souvent dans les conditions les plus douloureuses, mais celle qui doit être. Les pires souffrances ne doivent-elles pas être acceptées si l’on veut le bonheur dans un Reich qui doit durer mille ans ?  Si l’on a en vue, à la fin des fins, la construction d’un monde où chacun aura selon ses besoins ? Alors, pensez, les juifs, les gens du voyage, les syndicalistes, les démocrates, les philosophes et les poètes, tous ces empêcheurs d’imposer l’Idée, de mettre en place le Système, qui pourrait s’indigner de leur liquidation, sinon des ennemis du Peuple, des agents de l’Etranger ? Ces femmes et ces hommes de courage, le plus souvent dans l’impossibilité de faire connaître leur existence hors des frontières de l’état-prison, résistent tout seuls, meurent d’une balle dans la tête, croupissent dans des geôles dont la presse internationale nous dit peu de choses, car dans ces pays la presse internationale ne s’aventure pas hors des bâtiments officiels, et encore, quand elle réussit à passer la frontière. Il est significatif que sur la même île, les conditions de détention des prisonniers de Guantanamo ont fait le tour du monde sur tous les écrans, internet et les journaux, alors que, à quelques kilomètres de là peut-être, des opposants au régime castriste finissent leurs jours en prison sans que personne ou presque n’en soit informé. Il a fallu la chute de Sadam Hussein pour que l’on apprenne quel était le sort terrible réservé aux démocrates irakiens. Quand à la Corée du nord, tout semble aller pour le mieux, le communisme en construction réserve au monde de belles surprises dans un avenir proche.

 

 Dans ces pays donc, la réalité n’est pas celle qui est vécue au jour le jour, mais celle qui doit être. C’est une idée ancienne, selon laquelle nos sens nous trompent, la seule réalité vraie ne peut nous être donnée que par le travail de l’esprit, par l’intellect. L’idée selon laquelle l’homme vit dans le projet, oh combien cette idée peut faire de mal ! Car en scrutant l’horizon avec une longue vue, on risque de ne pas voir où nous marchons et, comme disait le philosophe, de tomber dans un trou. C’était très beau en 1961 d’entendre Youri Gagarine s’adresser au monde depuis son véhicule spatial, premier voyage de l’homme hors de l’atmosphère terrestre. Imaginez qu’au lieu de cela, les journaux du monde entier aient consacré leur une à décrire la condition de vie et de mort des milliers de déportés politiques en Sibérie ! Impensable, au sens strict du mot. L’avenir, c’était Gagarine, et pas seulement pour les journaux communistes. Pourtant en ces jours sombres, la réalité était plus que jamais à nos pieds, sur notre bonne vieille terre, et les dissidents soviétiques ont dû se sentir bien seuls.

 

 J’évoquais ces cubains récemment libérés, sans oublier ceux qui sont encore emprisonnés. Qu’ont-ils fait, sinon ne pas avoir saisi la situation réelle de leur pays, celle d’un avenir en construction. Ils ont fondé leur jugement sur ce qu’ils voyaient, ce qu’ils entendaient, ce qu’ils ressentaient, ce qu’ils vivaient, sans replacer ces impressions dans la perspective globale de l’édification du communisme. Le monde apprendra un jour qu’ils étaient dans le vrai et que l’état qui les privait de liberté était entre les mains d’une clique qui s’était arrogée le droit de décréter ce qui était vrai et ce qui ne l’était pas.

 

 Finalement, si parfois les sens nous trompent, l’esprit peut nous tromper aussi. Et les conséquences en sont incalculables. Je ne résiste pas à l’envie de faire partager ces quelques mots du bon vieux Lucrèce :

 

« …la plupart de telles erreurs sont imputables aux jugements de notre esprit, qui nous donne l’illusion de voir ce que nos sens n’ont pas vu. Rien n’est plus difficile en effet que de faire le départ entre la vérité des choses et les conjectures que l’esprit y ajoute de son propre fonds. » (1)

 

 

(1) De la nature, livre quatrième, dans lequel –chose étonnante- Titus Lucretius Carus né en 98 avant notre ère, avait prévu la chute du mur : « Enfin si dans une construction le plan fondamental est faux, si l’équerre trompe en s’écartant de la verticale, si le niveau a des malfaçons, il sera fatal que tout le bâtiment n’ait que vices : difforme, affaissé, penchant en avant ou en arrière, sans aplomb ni proportions, il menacera de tomber, et tombera en effet par parties ; or toute la faute sera aux premiers calculs. » (446-524) Garnier-Flammarion, ed.1964 pp.130-131

 

§

 

 

Laisse-moi ici, auprès des orphelins

 

Au traître, Fidel Castro.

 

 

…Je ne veux pas voir l’immensité

 de ton univers : laisse-moi ici,

auprès des orphelins.

Pour continuer de vibrer parmi

ces quelques empans de pierres

et de mousse

je me contente de la lumière

qui habite mon cœur,

le soleil quotidien des naufragés

et la droite opportune.

A moins que tu n’aies

peut-être

mieux à offrir

dans ton monde

fait de foules écrasantes,

de chiffres,

de calculs

et du sourire polissé

qui affleure à tes lèvres ?

 

 

Ernesto Dias Rodriguez, 

poète interdit, condamné à 40 ans de prison, comme opposant à la dictature. Il est torturé, mais ne cesse de protester, à demi nu, refusant de porter la tenue de prisonnier. Libéré et expatrié de Cuba en 1991 grâce à une vigoureuse campagne menée par le parti communiste français… non, je plaisante !!! Libéré et expatrié de Cuba en 1991 grâce à une vigoureuse campagne en faveur de sa liberté menée par les Pen Clubs de France et des Etats-Unis.

 

[Avec mes remerciements aux éditions Gallimard, à Reporters sans frontières, à la FNAC, pour ces extraits de l’Anthologie de la poésie cubaine censurée, proposée par José Valdès, éd. Gallimard, 2002.]

 

§