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05/12/2016

Angel Cuadra, poète

 


Vous les seigneurs de la haine,
vous les nouveaux rapaces,
oligarques flambant neufs,
ordonnateurs de la dérision,
testamentaires aujourd'hui d'ancestrales vengeances;
vous qui, aux oreilles des peuples
faites exploser les obus de votre "justice sociale";
c'est vous, microphoniques menteurs,
autopotentats des pauvres, autoproclamés capitaines prolétaires;
vous, messies dissimulés,
hypocritement furibonds;
vous, dispensateurs d'un miel annoncé;
vous, techniciens de l'imposture;
vous, techniciens de l'insulte;
vous, techniciens de la mort...
qui nous avez appris cette langue que je parle.

 

Déjà opposant à la dictature de Batista avant 1959, Angel Cuadra fut arrêté en 1967 pour activités politiques subversives contre la dictature castriste, et condamné à quinze ans de prison. Président du Pen Club des écrivains cubains en exil, en mars 1981 Amnesty international l'a sélectionné comme le "prisonnier de conscience" du mois.

Ce poème est extrait de l'Anthologie de la poésie cubaine censurée proposée par Zoé Valdés publiée par Reporters sans frontières, la FNAC et les éditions Gallimard

21/12/2014

Comment pourrait-on oublier?

 

 

Oublier un demi siècle de persécutions, d'emprisonnements, de procès truqués ?

Oublier la paupérisation d'un peuple et l'enrichissement honteux des séides d'un régime qui promettait la justice sociale ?

Oublier les mensonges, la désinformation, les vérités imposées ?

Oublier les discours d'idéologues qui prétendaient établir l'économie socialiste et qui ont fait de la misère une institution et de la débrouille une manière de survivre ? 

 Non, Cuba n'est pas seulement l'île des fusées de Khrouchtchev, de l'industrie sucrière, des gros cigares, de la rumba et des voyages à thème pour touristes communistes qui ont perdu l'URSS, c'est aussi un pays où le bonheur a été rangé dans un tiroir sous des tonnes de paperasses, un pays où personne n'a rien à faire ici. 

 Si l'Amérique redonne à ces gens de l'espoir, tant mieux. Mais il faudra qu'un jour les dictateurs soient renvoyés à leurs dossiers, si possible devant un tribunal. Il y en a un à La Haye, apparemment efficace. 

Heberto Padilla remporta le prix de poésie Julian del Casal qui lui valu ainsi qu’à son épouse la poétesse Belkis Cuza Malé d’être emprisonné. A l’issue d’un procès de type stalinien, quelques intellectuels français cessèrent de soutenir Fidel Castro. 

 

Le poète, renvoyez-le !

Il n’a rien à faire ici.

Il n’entre pas dans le jeu.

Il ne s’enthousiasme pas.

Il ne met pas au clair son message.

Il ne remarque même pas les miracles.

Il passe toute la sainte journée à se creuser la tête.

Il trouve toujours quelque chose à objecter.

 

Ce type-là renvoyez-le !

Mettez de côté ce trouble-fête,

ce rabat-joie

de l’été,

aux lunettes noires

sous le soleil qui naît… 

 

§ 

 

Recueil de textes de poètes interdit à Cuba intitulé « Anthologie de la poésie cubaine censurée » publié par Reporters sans frontières et les éditions Gallimard, 2002.

 

 

 

09/11/2010

Guillermo Farinas, pour la liberté de l'esprit

   

 C’était sa dernière grève de la faim, la vingt-troisième. Elle avait duré 135 jours. Guillermo Farinas se battait pour la libération des prisonniers politiques. Cette fois, ce ne fut pas une grève pour rien.

  « Le parlement européen a décerné jeudi son prix Sakharov « pour la liberté de l’esprit » au dissident cubain Guillermo Farinas. Ce journaliste indépendant âgé de 48 ans s’est signalé en entreprenant 23 grèves de la faim pour défendre les libertés publiques au sein d’un des derniers régimes communistes de la planète. » (Reuters, Desmond Boylan)

  Très affaibli, apprenant la nouvelle depuis sa maison de Santa Clara, Farinas, directeur de l’agence illégale Cubanacan Press a déclaré :  

« Le monde civilisé, le Parlement européen envoie un message aux dirigeants cubains qu’il est temps que Cuba connaisse la liberté de conscience et d’expression et la fin de la dictature.(…) Ce n’est pas un prix pour Guillermo Farinas, mais pour tout le peuple cubain, qui lutte depuis 50 ans pour sortir de cette dictature et dont nous, opposants pacifiques de l’intérieur, sommes la face la plus visible. »

  A Cuba, les réactions sont diverses, certaines confirment que le régime totalitaire n’est pas mort : des habitants du quartier accélèrent le pas pour se rendre à leur travail. « Je ne suis au courant de rien », lance l’un d’eux. (Reuters)

 D’autres saluent un homme digne qui a consacré sa vie pour la liberté des prisonniers et n’a jamais renoncé. Ainsi parle l’une des « Dames en blanc », femmes des prisonniers politiques cubains, récompensées par le prix Sakharov en 2005.

 Au parlement européen, le prix Sakharov(1) est décerné après débat et vote des députés. La seule opposition est venue d’une communiste française qui estime que ce fut là un choix politique : 

« Trois fois pour les Cubains depuis que le prix Sakharov existe, ça fait beaucoup ». 

Quoi d’étonnant dans cette réaction ? On sait que ni Cuba ni la Corée du nord ni la Chine n’ont le monopole du totalitarisme. On sait que ce dernier imprègne encore bien des cerveaux. D’ailleurs, s’il avait été chassé des esprits par chez nous, il y a fort à parier qu’il n’existerait plus là-bas. Car dans ces pays, les combattants courageux pour les libertés ne cessent de regarder dans notre direction, car ils savent que leur salut dépend de l’attitude des états démocratiques. 

  Ainsi, Guillermo Farinas s’est félicité de voir que « des gouvernements démocratiques et civilisés continuent de surveiller la situation des droits de l’homme à Cuba ». 

 Quand cette dame déclare que trois fois pour les Cubains ça fait beaucoup, chère madame, à qui la faute ? Au Parlement européen ? Aux députés de droite à l’origine de cette décision ? Et pourquoi pas aux dissidents cubains qui auraient le tort de trop faire parler d’eux ? Cette dame était probablement très jeune en août 1968 quand les troupes du Pacte de Varsovie entrèrent en Tchécoslovaquie pour mettre fin au Printemps de Prague. Ses pairs, qui avaient pourtant l’âge de raison, ici en France, n’avaient pas bougé le petit doigt. Quarante ans après, vingt ans après la chute du mur de Berlin, les communistes ont encore la ressource de justifier l’inacceptable, au nom de quoi ? Du dogme tout simplement. Enfermés dans la doctrine, ils ne peuvent pas se dédire, et comme à l’époque ils fermaient les yeux sur les crimes de Staline, et qualifiaient d’agents de la CIA ou d’hitléro-trotskistes ceux qui mettaient en doute la beauté du socialisme soviétique, aujourd’hui il leur reste encore des diables à désigner pour justifier leur aveuglement : l’Europe, l’Occident, le capitalisme, l’impérialisme américain. A force de crier au loup, les Français ne leur accordent plus leurs suffrages. Mais ne nous réjouissons pas trop vite, car à l’occasion d’une crise –peut-être à l’échelle du monde- surfant sur des colères populaires, ils pourraient bien reprendre du poil de la bête (immonde).  

 Car ces gens-là ont des alliés. J’attends que vous soyez bien assis. Vous y êtes ? 

 Au Parlement européen, en ce jour du 20 octobre 2010, sur la question de savoir si le journaliste cubain Guillermo Farinas méritait de se voir décerner le prix Sakharov,  

Les socialistes ne se sont pas exprimés.

Les socialistes n’ont pas applaudi l’annonce du nom du lauréat.

 

                                           Introït

 

Vous les seigneurs de la haine,

vous les nouveaux rapaces,

oligarques flambant neufs,

ordonnateurs de la dérision,

testamentaires aujourd’hui d’ancestrales vengeances ;

vous qui aux oreilles des peuples

faites exploser les obus de votre « justice sociale » ;

c’est vous, microphoniques menteurs,

autopotentats des pauvres,

autoproclamés capitaines prolétaires ;

vous, messies dissimulés,

hypocritement furibonds ;

vous, dispensateurs d’un miel annoncé ;

vous, techniciens de l’imposture ;

vous, techniciens de l’insulte ;

vous, techniciens de la mort…

qui nous avez appris cette langue que je parle. 

 

 Un poème d’Angel Cuadra, déjà opposant à la dictature de Batista avant 1959, il fut arrêté en 1967 pour activités politiques subversives contre la dictature castriste, et condamné à 15 ans de prison. Emigré aux Etats-Unis en 1985, il est professeur à l’université internationale de Floride à Miami.

(publié dans l’Anthologie de la poésie cubaine censurée, proposée par Zoé Valdés par les éditions Gallimard, avec la collaboration de la FNAC et de Reporters sans frontières) 

 

(1) Sakharov (Andreï Dimitrievitch) (Moscou, 1921 ­ id., 1989), physicien nucléaire soviétique, «père» de la bombe H. Défenseur des droits de l’homme en U.R.S.S., il créa en 1970 la section soviétique d’Amnesty International. Assigné à résidence à Gorki de 1980 à 1986, il fut élu député au Congrès du peuple en 1989, malgré l’opposition d’une partie de l’appareil communiste. P. Nobel de la paix 1975.

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001