26/08/2014
On ne la nomme plus, elle est partout
Un mot qui n'est plus à la mode, qu'on employait beaucoup autrefois, bien souvent immodérément il faut bien reconnaître, un mot qui sortait de la bouche de personnes qui avaient ceci en commun qu'elles faisaient de la politique, qu'elles prenaient parti, qu'elles s'engageaient -ne nous emballons pas, on sait maintenant que l'engagement n'est pas toujours un exemple à suivre- mais surtout ce qu'il faut retenir, c'est que ces personnes étaient du bon côté, celui du progrès, de la morale, oserai-je lâcher ce terme qui depuis le grand Platon a provoqué chez tant de philosophes en herbe ce frémissement qui vous prend au bas du dos et remonte, vertèbre par vertèbre jusqu'au sommet du crâne pour un dernier frisson transcendantal, allez je lâche: le souverain Bien. Oui ces personnes étaient du bon côté, elles le savaient et nous aussi on le savait, car on nous le répétait sans cesse. Il ne se passait pas quelque chose dans le monde sans qu'on nous rappelle ce qu'il fallait penser... si on voulait creuser son trou du bon côté. Et ceux qui ne creusaient pas, ou mal, où là où il ne fallait pas étaient perdus pour la cause, et définitivement classés "réactionnaires".
Le mot est passé de mode. Réaction. Pourquoi donc? Je regarde autour, je la vois partout. Car voyez-vous, la chose n'est pas cantonnée en politique, malheureusement. Vieille comme le monde, riche d'une expérience infinie, elle est rusée la coquine, elle va fourrer son nez là où ne l'attend pas. Attention au piège! Le béotien moyen, ce fut mon cas pendant un quart de siècle je sais de quoi je parle, le béotien moyen qui entend le mot regarde instinctivement à droite. Il a raison question réaction, à droite ça déborde. Au point d'inonder les alentours. Pas seulement dans la plaine. Même les montagnards sont atteints, les penseurs de l'extrême, ou leurs adeptes.
Il faut noter ce fait étrange que des gens qui prônent la révolution sont dans bien des domaines réactionnaires. Il n'y a qu'à voir quelle résistance fut la leur avant d'admettre qu'un homme pouvait aimer un homme, qu'une femme pouvait aimer une femme. Comme souvent, ce sont les gens qui ont le plus tardé à admettre l'inévitable qui sont les premiers un beau jour à clamer haut et fort ce qu'il faut penser... après que le verrou du tabou a sauté. Alors c'est amusant de les voir descendre par milliers dans la rue pour faire entendre leur symphonie du progrès. Et là, si vous émettez quelques réserves, ou si vous parlez comme eux-mêmes le faisaient avant-hier, attention à vous! Non je plaisante, vous ne risquez rien, au pire peut-être le silence à votre passage devant la machine à café ou dans ces réunions de famille où l'on évite adroitement les sujets qui dérangent. Allez dire que c'est un acte contraire aux droits humains que de voiler sa femme, vous ne risquerez rien non plus, à l'heure où je parle vous pourrez encore circuler librement, mais vous aurez droit à une leçon du genre: il faut respecter les différences culturelles et le vivre ensemble, et ce sera déjà un moindre mal pour vous si on ne vous assène pas un cours d'anti-racisme. Il y a quarante ans les révolutionnaires regardaient les religions comme un opium pour les peuples, c'est tout juste si aujourd'hui ils voient en elles un moyen de libération. Quarante ou cinquante années ont suffi pour qu'une génération d'hommes et de femmes, par une mutation extraordinaire, oubliant l'idéal révolutionnaire, déposant leurs idées et les armes, rejoignent le cortège des policiers de la pensée.
La réaction fait aussi bon ménage avec la science. Avant d'aborder la question, une constatation : les mathématiques, les sciences et les techniques développent le raisonnement. L'intelligence et l'ouverture d'esprit c'est moins sûr. Faut-il rappeler les résistances d'une grande partie du corps médical quand à la légalisation, et surtout à la pratique de l'avortement? Tentez simplement, sur le mode questionnant, timidement, à mi-mots, de suggérer à un scientifique pur et dur -les scientifiques le sont souvent- que des témoins dignes de foi auraient éventuellement vu dans le ciel un objet volant non identifié, c'est toute la science du monde qui va vous rire au nez. Quelle rupture avec le passé quand la science s'interrogeait, écoutait, découvrait, avec quel courage! Car la réaction de l'époque pratiquait la Question à l'aide de moyens persuasifs.
Il y a un domaine où la réaction est à l'aise, c'est la technologie. Non mais regardez-les! Ils se croient libérés parce qu'ils communiquent sans fil où ils veulent quand ils veulent, métro, bus, à pied, en vélo, en moto, au cinéma, au musée et jusqu'à votre table quand leur musique préfabriquée interrompt toutes les conversations. Et ceux-là qui commettent viols, crimes et génocides, ne sont-ils pas reliés par satellite? Ah! S'il suffisait de coller un téléphone portable à son oreille, de surfer sur tout ce qui bouge, de manipuler tablettes, smart phone, gépéesses et écrans les plus sophistiqués en trois, quatre ou cinq dimensions pour enfin ouvrir son esprit... Si l'informatique change beaucoup les choses dans notre vie, pesons les mots. La qualifier de révolution est exagéré. S'il y a révolution un jour, ce sera dans le comportement des hommes, sinon ce n'est pas intéressant. Si tous ces instruments rendaient les gens plus intelligents, respectueux des autres et de la langue, de la grammaire et de l'orthographe. Mais non, grave erreur, grammaire et orthographe colportent une mauvaise image, celle de l'ordre prescrit. Horreur! Pour celui qui ne respecte plus rien, et surtout pas les règles, tout est facile, s'obtient sans effort. C'est un danger qui nous guette, de croire qu'en méprisant les conventions, nous serions libres. Entre celui qui respecte la loi et celui qui s'en affranchit, le plus réactionnaire n'est pas celui qu'on croit. Ce type, qui écrit à cent à l'heure dans un langage incompréhensible une sorte de message qu'un autre au volant aussi recevra en temps réel, quelle est sa vision du monde, sa conception de la vie, qu'enseigne-t-il à ses enfants, saura-t-on jamais s'il était entré, avant qu'il ne se tue sur la route, dans la modernité ?
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26/02/2014
Coup d'état ? Non Sire, révolution !
Ukraine. Il y a des mots à souvenirs. Des mots qui sonnent, qui alertent. Mon père me disait que les Ukrainiens avaient accueilli l’armée allemande à bras ouverts. Qu’ils pratiquaient un antisémitisme actif. Il est vrai qu’à l’occasion d’une guerre on raconte beaucoup de choses. Après j’ai lu les récits des survivants des camps qui rappelaient la cruauté des kapos souvent ukrainiens. Bref, voilà matière à bien des préjugés, alimentés par le penchant qui est le nôtre et je ne suis pas le dernier à toujours faire des généralisations risquées.
La sortie du XX° siècle est difficile. Les idéologies totalitaires ont tendance à survivre aux régimes qu’elles ont façonnés, au moins dans l’esprit. Combien de fois n’entendons-nous pas : les allemands ceci, les italiens cela, les français aussi sont pris comme s’il n’y en avait qu’un multiplié par des millions. Il faut rompre avec cette idée dangereuse qu’un peuple est un être responsable, un corps unique capable de tout, du meilleur comme du pire. J’ai entendu qu’il n’est pas étonnant que les allemands aient suivi Hitler comme un seul homme. Quelle absurdité ! Parler ainsi, c’est ignorer ce que des millions de personnes ont enduré sous un régime qu’elles avaient, pour nombre d’entre elles, combattu avec courage. Pourrait-on aussi accuser les Russes d’avoir instaurer le système concentrationnaire en Sibérie, alors que nombre d’entre eux y sont morts ? Accuser les Français de collaborationnisme, alors qu’il y eut la résistance, les fusillés et les justes ?
L’Ukraine mot à souvenirs certes, mais la joie de ces gens qui chassent le chef d’un régime corrompu n’appelle aucune réserve sur la sincérité de leur combat. C’est une révolution. Son issue est incertaine. Mais quel bonheur de voir des gens jusque là méprisés prendre possession de leur pays. Avec dignité ils visitent la résidence du président déchu, en faisant attention, touchant avec les yeux comme disait ma grand-mère. Derniers vestiges du communisme, ces richesses qui reviendront au domaine public, sont celles qu’une caste ou quelques familles se sont attribuées, les prélevant sur les autres, c’est-à-dire sur quarante millions d’habitants. On avait vu la même chose en Roumanie et en Russie bien sûr. Mais aussi et j’en suis témoin dans l’ancienne Yougoslavie, dont on disait beaucoup de bien dans les milieux éclairés, que le communisme y était sympathique, à visage humain. Des amis m’avaient conduit aux abords de la résidence de Tito que je n’avais pas pu admirer tellement elle était loin de l’entrée du domaine, mais ce que j’avais remarqué c’était la qualité de la route, un macadam impeccable, alors qu’ailleurs, là où circulaient les gens… Lénine avait prédit l’instauration du communisme quand une cuisinière dirigerait le pays, c’était bien sûr une image. Ce sont les peuples qui ont été cuisinés.
Une chose m’étonne, pourquoi ce silence de cette partie de l’échiquier politique pourtant toujours à l’affût de tout ce qui de près ou de loin ressemble à une révolution ? Cela aussi rappelle des événements terribles, et des silences qui le furent encore plus, quand les troupes du pacte de Varsovie écrasèrent les révolutions dans les pays d’Europe de l’est, Allemagne orientale (1953) et Hongrie (1956). On nous disait, et pas seulement les communistes, que ce n’étaient que soulèvements contre-révolutionnaires fomentés par les ennemis du peuple. Le revoilà le « peuple », entité absolue œuvrant comme un seul homme à l’édification de la société future avec l’aide des chars des peuples frères. Et les honnêtes gens d’ici, pas forcément d’ailleurs dans les milieux intellectuels devaient se taire pour éviter d’être considérés comme des complices du diable américain. Si l’Ukraine s’extirpe difficilement du carcan communiste, ce pays ne l’est plus, communiste, et le sera moins encore si cette révolution réussit. Mais ce qui gêne nos révolutionnaires de salon, c’est que cette révolution là n’appelle pas mais alors pas du tout un régime des soviets. Les gens qui ont chassé le régime corrompu demandent peu de chose, et c’est déjà beaucoup : la démocratie. Et mieux encore : se rapprocher de l’Europe. HORREUR ! Oh les vilains, c’est aussi monstrueux que s’ils avaient proclamé leur envie d’Amérique. A l’extrême gauche qui eut autrefois ses heures de gloire, c’est aujourd’hui la traversée du désert, elle connaît une grave crise de recrutement, il lui faut chercher des boucs émissaires, montrer du doigt l’ennemi afin de séduire les victimes de la crise. Et voilà un ennemi désigné : l’Europe. Alors imaginez leur désarroi de voir les insurgés ukrainiens tourner leurs regards vers Satan ! Nos extrêmes politiciens auront toutefois du grain à moudre, l’Ukraine révolutionnaire aura un réveil difficile, le pays est surendetté et économiquement tributaire de la Russie.
Il faut ajouter, ce n’est réjouissant pour personne, la présence de l’extrême droite parmi les acteurs du soulèvement. Croix gammées, ambiance nazie, un air connu et pas seulement en Ukraine suivez mon regard. Mais à qui fera-t-on croire que les millions d’ukrainiens qui ont participé ou soutenu ce mouvement de fond sont manipulés par des fascistes ? Les analystes professionnels qui insistent sur la présence des croix gammées n’ont rien compris –ou feignent d’ignorer- ce qui se passe en Ukraine.
Et comme ceux qui prédisent le pire ont raison un jour ou l’autre, ils pourront toujours dire qu’ils avaient raison de ne pas s’émerveiller et se donneront des airs de gens raisonnables. On aura du mal à les croire, car nous avons changé de siècle et nous écoutons plus distraitement les sirènes qui nous promettent le bonheur en échange d’une adhésion.
En attendant, le soleil s’est relevé à l’est, et ça fait du bien.
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06/12/2012
Transformer le monde
Transformer le monde ? Boudieu de boudieu comme dirait Chris… Bon. On s’y met ? Oui mais c’est lourd. C’est du lourd.
Les grands penseurs ont procédé par étapes. Tenter l’installation d’une société idéale à Genève. Associer le capital et le travail dans une même entreprise. J’admire l’œuvre de Jean-Baptiste André Godin et son familistère : plus d’un siècle d’existence, des ouvriers et ouvrières heureux. Un véritable palais social. Avec la contrainte toutefois de vivre entre quatre murs, coupés du monde extérieur. Allez-y quand même, c’est à découvrir à Guise. Un détail à méditer : Godin vivait dans son familistère dans les mêmes conditions que ses ouvriers.
On a instauré la démocratie il y a deux mille cinq cent ans à l’échelle d’une cité : Athènes. Mais seuls les citoyens jouissaient de l’égalité et de la liberté. Ces avantages leur étaient accordés grâce à l’exploitation de milliers de métèques et d’esclaves qui produisaient les richesses dans des conditions inhumaines. La démocratie pour quelques uns n’est pas la démocratie. Mais l’idée était là. Elle pouvait suivre son bonhomme de chemin. Sans s’affoler, c’est le moins qu’on puisse dire.
1789 ans après, plus 400 ans (la démocratie athénienne n’ayant vécu que quelques années), à l’extrême bout de l’Europe, au bord de l’océan, un pays connu pour le jugement éclairé de ses philosophes tenta de franchir le pas : en finir avec les privilèges accordés à une minorité d’individus au détriment d’un peuple plongé dans la misère. La colère refoulée au cours des siècles des siècles déferla sur le pavé. Et la joie, le délire. Et la terreur. Bon, on n’a rien sans rien, et la terreur il ne faut pas en parler, c’est blasphémer. La RRRRRévolution FFFFFrançaise, c’est du sacré. D’ailleurs mises à part l’Amérique, la Russie, la Chine, et d’autres encore mais insignifiantes, la Révolution est avant tout principalement d’abord française.
Ailleurs ils ont tenté le coup. Sans succès. En Amérique, l’inégalité sociale est un fléau national. En Russie, les barbelés rouillent dans l’archipel sibérien mais les policiers des soviets sont encore au sommet de l’état. En Chine, on déporte des millions de paysans pour le bien de tous, à la stalinienne.
Chez nous les nuits sont calmes. On fait un gros dodo. Les capitalistes ont gardé le pouvoir. Mais ce sont les gentils, de gauche. Les masses populaires des villes et des campagnes, on ne les prend plus à rebrousse-poil. On les caresse doucement, on les endort. Le chômage est égal à lui-même, il a même augmenté depuis que les méchants ont abandonné les affaires. Tout va mal, mais c’est pour la bonne cause : transformer le monde. Ici aussi on procède par étapes. D’abord, le redressement productif du pays. Pour cela, on licencie encore un peu, mais pas violemment comme dans l’ancien régime. On agrémente les plans sociaux de discours empreints de compassion et on réunit des commissions d’experts qui savent eux de quoi ils parlent, ils sont payés pour plaindre les familles privées de ressources. Bref la gauche au pouvoir, c’est le chômage plus les enluminures. On a encore une armée, mais c’est pour envoyer aux quatre coins du monde des messages de paix. D’ailleurs on retire nos soldats des pays en guerre. Entre nos murs, on accepte toute la misère du monde sauf celle venue d’ailleurs : on expulse les gens du voyage dont le mode de vie est incompatible avec l’idée de redressement productif.
Oui, il faudra nous y faire, le socialisme est en marche. Je souhaite toutefois qu’il n’avance pas trop vite. Engager la France sur la voie de la justice sociale, c’est bien, mais allons-y mollo. On a vu des cas où les masses populaires des villes et des campagnes, incultes et dépourvues du sens de la mesure, trop longtemps privées de tout et de pain, s’en prirent violemment aux biens et aux personnes.
Allez à Guise, c’est dans l’Aisne (02) au nord-est de St-Quentin, visitez le familistère de Godin. Je sais que ça ne va pas plaire aux révolutionnaires professionnels de passage, qui vont hurler à l’utopie. On leur répondra que la société future qu’ils nous proposent depuis un siècle et demi à grands renforts de dictatures, de polices politiques et de camps de rééducation, n’est malheureusement pas une utopie.
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09:10 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : révolution, démocratie, égalité, godin, familistère, guise