Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/04/2010

Pourquoi taire les crimes du communisme (suite)

 Dans un article précédent nous en étions arrivé à 1922, fin de la période léninienne (Lénine est mort en 1924). Atteintes à la démocratie, à toutes les formes de liberté, dictature d'un parti sur un peuple, déportations et crimes : non seulement la mort de Lénine ne mit pas un terme à tous ces maux, mais depuis l'arrivée de Staline au pouvoir, entouré de ronds-de-cuir (1) à sa botte, les peuples qui composaient l'Union soviétique subirent pendant plus de soixante ans (les successeurs de Staline continuant son « œuvre ») un régime despotique (2). Dans le cas de la Russie soviétique, le despote ne fut pas un individu, mais plutôt une personne « morale » : le parti ; là réside l'aspect totalitaire du régime en même temps que sa force. Le parti agissant pour le bien de tous, chacun participe, brique scellée dans l'édifice de la dictature, jusqu'au dissident qui, convaincu de la nécessité et de l'inéluctabilité du but final, se résigne à considérer ceux qui le persécutent, non comme des gardiens du dogme, mais comme des révisionnistes, au pire des falsificateurs de la doctrine.

 

 Ce qui nous intéresse ici, ce n'est pas d'attirer l'attention sur une dictature qui par sa durée est loin d'être un cas unique dans l'histoire, car des dictatures et des tyrannies, au fil des siècles, les hommes en ont vu d'autres, mais plutôt de relever un fait étrange : il n'est pas interdit (il est même conseillé) dans notre société de clouer au pilori (3) toutes les formes de dictature à condition de ne pas toucher au communisme ! Je crois m'être expliqué là-dessus dans ce même article (4). J'ajouterais, mais ce n'est pas le sujet ici, qu'il faut s'interdire aujourd'hui de mettre en cause l'islamisme : on accepte bien des choses quand elles viennent du tiers-monde. Argument de l'extrême gauche : les régimes dictatoriaux des pays du tiers-monde seraient des produits de l'impérialisme occidental. Allons camarades, depuis des millénaires, en matière de dictature et d'injustice, les peuples de là-bas ont disposé du nécessaire sur place. A commencer par l'esclavage qui n'a pas été initié par la colonisation. Les autochtones avaient depuis longtemps fait preuve de leur savoir-faire en la matière. Mais revenons à nos moutons.

 

 La liste des agressions, pillages, entorses au droit international, crimes cités ci-dessous est dressée dans « Le livre noir du communisme » un ouvrage tant décrié, pour des raisons bien compréhensibles. On reproche à Stéphane Courtois « d'enlever son caractère historique au phénomène.» Ce qui revient à justifier la violence : face au monde impérialiste, les bolcheviks y auraient été contraints... A la boutade « on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs », Vladimir Boukovski répliquait qu'il avait vu les œufs cassés, mais n'avait jamais goûté l'omelette. (cité par Courtois)

 D'autres reprochent aux auteurs de ne pas faire la différence entre la théorie communiste et son application détournée en Russie, en Chine, au Cambodge... On pourrait leur rétorquer que des millions de Soviétiques, de Chinois, de Cambodgiens sont morts avant d'avoir eu le loisir de lire les textes fondateurs. Ils n'en ont connu que les implications.

 

 Mais attention : après avoir lu et relu les critiques, parfois très vives, adressées aux auteurs de ce livre, si les contradicteurs remettent en cause des chiffres, jamais, je dis bien jamais ils ne mettent en cause les faits rapportés :

 

 

  • - Assassinat de dizaines de milliers de personnes dans les camps de concentration entre 1918 et 1930;

 

  • - Déportation de deux millions de koulaks en 1930-32;

 

  • - La grande famine ukrainienne de 1932-33 liée à la résistance des populations rurales à la collectivisation forcée, provoqua la mort de 6 millions de personnes;

 

  • - Liquidation de près de 690.000 personnes lors de la Grande Purge de 1937-38;

 

  • - Négociations secrètes de Staline avec Hitler aboutissant à deux traités du 23 août et du 28 septembre 1939, partage de la Pologne, annexion à l'URSS des états baltes, de la Bucovine du nord et de la Bessarabie;

 

  • - Agression de la Finlande le 30 novembre 1939;

 

  • - Exécution de 4500 officiers polonais à Katyn en 1939; un massacre qui, pour Vidal-Naquet aurait pu entrer dans le cadre du procès de Nuremberg(5);

 

  • - Plusieurs centaines de milliers de militaires allemands sont morts après avoir été déportés au goulag entre 1943 et 1945;

 

-   Le mutisme imposé par le parti concernant les exactions commises par les soldats de l'armée rouge, en particulier les viols de femmes allemandes dans l'Allemagne occupée. Voir à ce sujet le reportage « Les Russes à Berlin » Scherz Verlag München-Bern-Wien, 1965 Robert Laffont, 1967 dans lequel Erich Kuby, citant Horst Schützler relève :

 

« Le spectacle de milliers de kilomètres de sol national dévasté, de villes et villages rasés, de potences et fosses communes où avaient fini tant de citoyens soviétiques allumait, dans le cœur des soldats russes, une haine démesurée contre les agresseurs allemands et effaçait parfois la distinction établie par leurs chefs militaires et politiques entre les fascistes hitlériens et les populations allemandes égarées, et leur inspirait des sentiments de vengeance (souligné par moi) (...) Tous les citoyens soviétiques n'avaient pas encore assimilé l'idéologie socialiste au point d'être préparés à cette terrible épreuve ! »

 

Certes. Mais les massacres commis par les SS en Union Soviétique justifient-ils les exactions commises par les soldats soviétiques sur des femmes allemandes ? Non. Pas plus que les massacres de civils français par la Gestapo et l'armée d'occupation ne justifiaient le mot d'ordre de résistants, probablement de la dernière heure : « A chacun son boche ! »

 

-   Pillage systématique de tout l'appareil industriel des pays occupés par l'Armée rouge. Plus que l'appareil industriel, des produits finis (en Allemagne avant-guerre) furent revendus sous un autre nom (russe) après avoir subi quelques menues modifications. C'est le cas en photographie et en optique, la plupart des usines de fabrication étaient en Allemagne orientale (Iéna, Dresde...). Je possède un appareil 6x9 pliant à soufflet de marque Mockba qui est la copie exacte du Zeiss Ikon Ikonta 6x9 d'avant-guerre. Pire qu'une contrefaçon : un livre de référence (6) indique qu'il est possible que certains composants de cet appareil aient été fabriqués en Allemagne avant la guerre ! (voir aussi la copie soviétique du Leica page suivante)

 

  • - Déportation de centaines de milliers de Polonais, d'Ukrainiens, de Baltes, de Moldaves et de Bessarabiens (7) en 1939-41, puis en 1944-45;

 

  • - Déportation des Allemands de la Volga en 1940-41;

 

  • - Déportation-abandon des Tatars (8) de Crimée en 1943;

 

  • - Déportation-abandon des Tchétchènes (9) en 1944;

 

  • - Déportation-abandon des Ingouches (10) en 1944;

 

  • - En 1943-44 Staline a fait retirer du front des milliers de wagons et des centaines de milliers d'hommes des troupes spéciales du NKVD pour assurer dans le délai très bref de quelques jours la déportation des peuples du Caucase. 

                                                           §

 

 

 Dans un troisième temps, on procédera à un double examen :

 

1/ les crimes de l'après-guerre avant et après la mort de Staline en URSS et dans les pays occupés dénommés « démocraties populaires » ;

 

2/ pourquoi les intellectuels et les dirigeants politiques occidentaux ont respecté la loi du silence sur ces crimes. Pourquoi les dirigeants staliniens et leurs complices n'ont-ils pas été jugés devant un Tribunal international ?

 

 

§

 

 (1) rond-de-cuir n. m. Fam., péjor. Employé de bureau. (Par allus. au coussin de cuir qui garnissait les sièges de bureau.) Des ronds-de-cuir.  © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;

 

(2) despote n. et adj.  1. n. m. Souverain qui exerce un pouvoir arbitraire et absolu.  

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;

 

(3) Clouer qqn au pilori, le désigner à l'indignation publique. © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;

 

(4) Pourquoi taire les crimes du communisme ?

 

(5) Katyn, village de Russie, à l'O. de Smolensk. Dans la forêt de Katyn les Allemands découvrirent en avril 1943 les cadavres de quelque 4500 officiers polonais et attribuèrent ce massacre à l'Union soviétique, laquelle se défendit en accusant l'Allemagne. Les enquêtes menées après la guerre établirent la responsabilité de la police politique soviétique (reconnue par l'U.R.S.S. en 1990).

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;

 

(6) Princelle Jean Loup.- The authentic guide to Russian and Soviet cameras, deuxième édition, Août 2004 ;

(7) Bessarabie, rég. de Moldavie et d'Ukraine, au N.-O. de la mer Noire, entre le Prout et le Dniestr. ­ Russe en 1878, roumaine de 1920 à 1940 et de 1941 à 1944, la Bessarabie a été  reconnue partie intégrante de l'U.R.S.S. au traité de Paris de 1947. Ce traité a été dénoncé par la Roumanie en 1991. 

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;

 

(8) Tatars, peuple de nomades turco-mongols dont la présence est attestée au VIIIe s. dans l'O. de l'actuelle Mongolie. Ils furent écrasés par Gengis khan en 1202, mais les Européens nommèrent longtemps «Tartares» tous les envahisseurs mongols, puis diverses populations turques de Russie. De nos jours, les Tatars, musulmans, sont évalués à env. 7  millions de personnes; on distingue essentiellement les Tatars de la Volga et les Tatars de Crimée. Ces derniers, déportés par Staline à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne furent réhabilités qu'en 1987 et luttent toujours pour regagner leur territoire national.

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;

 

(9) Tchétchènes, peuple caucasien islamisé, les Tchétchènes (environ 650000 personnes en 1995) ont valeureusement résisté à l'expansionnisme russe des XVIIIe et XIXe siècles, jusqu'à la chute de leur chef Chamil (1859): Grozny («la Terrible» en russe) devint alors ville de garnison russe. Après la prise de pouvoir bolchevique, leur territoire est successivement partie de la «République autonome des montagnes», «Région autonome», puis portion de la Fédération de Russie, à nouveau «République autonome» mais en association avec les Ingouches (1936). En 1944, Tchétchènes et Ingouches sont déclarés «peuples punis» et déportés en Sibérie. Leur république disparaît et est colonisée par des Russes et des Géorgiens jusqu'en 1957, date à laquelle la déportation est suspendue et la république recréée. Ce long passé d'adversités est évidemment une source de ressentiments très vifs des populations locales envers les Russes, et il n'est pas surprenant que cette hostilité se soit transformée en conflit ouvert après la chute du système soviétique (1991).

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;

 

(10) Ingouches, peuple musulman du Nord du Caucase. Déportés massivement en 1943-1944 par Staline, ils purent s'établir dans la République de Tchetchénie-Ingouchie en 1957.

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;

 

 

 

 

18/03/2010

Pourquoi taire les crimes du communisme ?

  Poursuivant mon voyage parmi les livres, en voici un que je n'avais pas ouvert depuis quarante ans. Page 14, c'est Lénine qui parle, il fulmine contre Kautsky :

 

« La démocratie prolétarienne est un million de fois plus démocratique que n'importe quelle démocratie bourgeoise ; le pouvoir des soviets est des millions de fois plus démocratique que la plus démocratique des républiques bourgeoises.

Pour ne pas remarquer cela, il faut être consciemment un valet de la bourgeoisie, ou un homme politiquement mort, incapable derrière les poussiéreux livres bourgeois, de voir la réalité vivante, imprégné de préjugés démocratiques bourgeois et, de ce fait, devenu objectivement un laquais de la bourgeoisie. » (1)

 

 Je lisais ces lignes dans les années soixante, et je les approuvais, avide que j'étais -comme des millions d'étudiants de par le monde- de changer la vie. C'était l'époque aussi où l'on pouvait penser que quelque chose de positif s'était passé à l'est, qu'en dépit de la période noire du stalinisme, des points avaient été marqués contre l'injustice sociale, l'égoïsme mercantile, le capitalisme fauteur de guerre... C'était l'époque aussi où dans les cercles universitaires, mais aussi dans le monde ouvrier, la révolution d'octobre était présentée comme l'exemple de ce qu'il fallait réaliser à l'échelle mondiale. C'était l'époque aussi où l'on ne savait pas tout, et quand on en savait un peu on se voilait la face afin de mieux condamner l'impérialisme américain coupable des massacres au Vietnam et de tous les maux à l'échelle planétaire.

 

 Aujourd'hui, imprégné que je suis de préjugés démocratiques bourgeois, et des lectures des écrivains « contre-révolutionnaires » Soljénitsyne, Martchenko, Grossman, Sakharov, London, Daix, regardant vers le passé, je mesure à quel point je me suis trompé, et chose plus grave, comment j'ai pu tromper les autres. Je titre cet article « Pourquoi taire les crimes... », et je réalise qu'en même temps, c'est ma propre bêtise, mon propre aveuglement que je n'ai pas le droit de taire, ne serait-ce que par respect pour celles et ceux qui me connaissent, et qui sont en droit de se demander comment j'ai pu en arriver à condamner aujourd'hui ce que j'adulais hier. N'exagérons rien, je n'adulais personne, et j'avais raison de vouloir changer le monde. J'avais tout faux sur les moyens. Moins que d'autres cependant, quand les chars russes ont écrasé le Printemps de Prague en Août 1968, je n'ai pas gardé le silence comme l'a fait une bonne partie de la gauche. Je m'arrête là. Pour répondre à ceux qui n'ont jamais de mots assez durs pour cataloguer ceux qui ont quitté le terrain de la lutte des classes, je dirai que si j'ai changé d'idées, je suis resté fidèle à mes principes : justice, liberté, démocratie, laïcité, et tout cela sans avoir de comptes à rendre à personne, sans être encarté dans un parti.

 

 Donc pour Lénine, « la démocratie prolétarienne est un million de fois plus démocratique que n'importe quelle démocratie bourgeoise. »

 

§

 

 Les crimes ou appels aux crimes cités ci-dessous sont extraits du Livre noir du communisme .- Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Andrzej Paczkowski, Karel Bartosek et Jean-Louis Margolin édité chez Robert Laffont, 1997, ouvrage dont j'ai déjà parlé dans un précédent article ; voir les références précises dans les notes.

 

 

  • - Le 9 août 1918 Lénine télégraphia au Comité exécutif de la province de Penza d'enfermer «les koulaks, les prêtres, les Gardes blancs et autres éléments douteux dans un camp de concentration» (2)

 

  • - Parmi les «éléments douteux» à arrêter préventivement figuraient les responsables politiques des partis d'opposition dont la presse avait été réduite au silence et les représentants chassés des soviets;

 

  • - Dans la Pravda du 31 août 1918: «Travailleurs, le temps est venu pour nous d'anéantir la bourgeoisie, sinon vous serez anéantis par elle. Les villes doivent être implacablement nettoyées de toute la putréfaction bourgeoise. Tous ces messieurs seront fichés et ceux qui représentent un danger pour la cause révolutionnaire exterminés...(...) L'hymne de la classe ouvrière sera un chant de haine et de vengeance.» (3)

 

  • - Le même jour, Dzerjinski a déclaré, dans un «Appel à la classe ouvrière»: «Que la classe ouvrière écrase, par une terreur massive, l'hydre de la contre-révolution! Que les ennemis de la classe ouvrière sachent que tout individu arrêté en possession illicite d'une arme sera exécuté sur-le-champ, que tout individu qui ose faire la moindre propagande contre le régime soviétique sera aussitôt arrêté et enfermé dans un camp de concentration!» (4)

 

  • - Le 5 septembre 1918 le gouvernement soviétique légalisa la terreur par le décret «Sur la Terreur rouge»: «Dans la situation actuelle, il est absolument vital de renforcer la Tcheka (...) de protéger la république soviétique contre ses ennemis de classe en isolant ceux-ci dans des camps de concentration, de fusiller sur-le-champ tout individu impliqué dans des organisations de Gardes blancs, des complots, des insurrections ou des émeutes, de publier les noms des individus fusillés en donnant les raisons pour lesquelles ils ont été passés par les armes.» (5)

 

  • - Le 16 mars 1919 les détachements de la Tcheka prirent d'assaut l'usine Poutilov défendue les armes à la main. 900 ouvriers environ furent arrêtés. Au cours des jours suivants près de 200 grévistes furent exécutés sans jugement...

 

 

Si ces déclarations ne suffisaient pas pour convaincre les incrédules de la politique génocidaire du communisme soviétique AVANT STALINE, cette déclaration de Zinoviev en Septembre 1918 est-elle authentique:

 

  • - «Pour défaire nos ennemis, nous devons avoir notre propre terreur socialiste. Nous devons entraîner à nos côtés disons quatre-vingt dix des cent millions d'habitants de la Russie soviétique. Quant aux autres, nous n'avons rien à leur dire. Ils doivent être anéantis.»? (6)

 

  • - La répression de l'insurrection de Kronstadt: plusieurs centaines d'insurgés passés par les armes, en avril-juin 1921, 2103 condamnations à mort et 6459 condamnations à des peines de prison ou de camp;

 

  • - Fusillade de dizaines de milliers d'otages ou de personnes emprisonnées sans jugement et massacre de centaines de milliers d'ouvriers et de paysans révoltés entre 1918 et 1922;

 

  • - Assassinat de dizaines de milliers de personnes dans les camps de concentration à partir de 1918;

 

§

 

 

 Les crimes du fascisme et du nazisme commis avant guerre en Allemagne: persécution des juifs, des communistes, des sociaux-démocrates et démocrates, construction des camps allemands (Dachau, Buchenwald) ont été connus pratiquement en temps réel. Les crimes commis, et le pire de tous, le génocide nazi de 6 millions de juifs, des tziganes et éléments désignés comme asociaux ont été connus avant la fin de la guerre, quant à l'ampleur des monstruosités elle fut révélée au monde quand les troupes alliées ouvrirent les portes des camps. A Nuremberg, qui fut le haut lieu du nazisme, un tribunal international a jugé et condamné les auteurs des crimes, pas tous certes, car nombre d'entre eux avaient eu le temps et les complices nécessaires pour échapper à la justice, mais enfin, ce procès a eu lieu, son rôle éducatif fut incontestable. Dès lors le fascisme, surtout sous sa forme nazie, est devenu le symbole de l'inhumanité. Des milliers de livres ont montré, expliqué, condamné la terreur et l'enfer vécus par les peuples des pays occupés par l'armée allemande. Les programmes et manuels scolaires ont montré aux jeunes générations ce qu'était la bête immonde, des millions d'élèves des pays d'Europe se sont rendus avec leurs professeurs sur les lieux du crime, d'autres ont entendu des témoins, des rescapés de la déportation. En France, chaque année des élèves visitent le camp de Drancy, se rendent au Mémorial de la Shoah, au Struthof. Récemment, un président a demandé aux enseignants de lire la dernière lettre d'un jeune héros de la résistance aux occupants nazis. Des poèmes, des chansons ont été composés par les plus grands artistes, des films ont été tournés, il n'est pas un seul grand cinéaste qui n'ait abordé cette tragédie, certains avec un talent extraordinaire, je pense à .... (Holocauste), à Claude Lanzmann (Shoah), Alain Resnais (Nuit et brouillard), Spielberg (La liste de Schindler), Benigni (La vie est belle) et bien d'autres... Chaque année, des commémorations rassemblent, autour de gens qui ne peuvent pas oublier, d'autres qui ne le veulent pas. Et si par malheur, animés par le racisme ou l'antisémitisme, des nostalgiques du nazisme, révisionnistes de l'histoire et négationnistes du génocide s'expriment dans les médias ou par la publication d'articles ou de livres, la loi aujourd'hui permet de les traduire en justice.

 

 Savoir si la somme de toutes ces énergies mobilisées contre la barbarie saura empêcher le retour de celle-ci, si les jeunes générations sauront maintenir haut le flambeau de la liberté et de la démocratie, par respect pour nos enfants et petits enfants, nous n'avons pas le droit d'en douter.

 

 Maintenant que ces choses-là sont dites, on peut s'étonner qu'il fallût attendre les années soixante et soixante-dix pour que les crimes commis à l'est, en Russie soviétique fussent révélés au public. Deux poids, deux mesures. Pourquoi ? J'ai écrit dans un article précédent que la comparaison du nombre des victimes du nazisme et du communisme, sorte de tableau de chasse des totalitarismes du vingtième siècle, n'avait aucun intérêt. Je disais que cette comparaison contribuait à relativiser le meurtre organisé et planifié de six millions de juifs par les nazis, crime qualifié par certains antisémites « de guerre » ou de « détail de l'histoire ». La folie meurtrière des tyrans du vingtième siècle ne se juge pas seulement au nombre des victimes, mais aussi aux souffrances, aux vexations, aux déportations forcées, aux tortures, aux persécutions, aux dénonciations, aux menaces, à l'enfermement, aux privations de toutes sortes, surtout des libertés, à la surveillance continuelle, à la peur de la police secrète, jusqu'à la méfiance vis-à-vis du voisin, de l'ami.

 

 Les deux systèmes ont été à l'origine d'une tragédie sans précédent dans l'histoire, leurs Führer ou Petit Père des peuples ont fait régner la terreur sur un continent et au-delà. Quand il était midi pour un détenu au Struthof en Alsace, il était minuit pour le détenu de la Kolyma en Sibérie orientale. Sur deux continents, il était bien minuit dans le siècle. L'univers concentrationnaire fut un empire où pendant des années le soleil ne se coucha pas. De la côte atlantique à l'extrême est sibérien, femmes, hommes et enfants furent persécutés parce qu'ils étaient nés, parce qu'ils étaient Juifs, Tziganes, Ukrainiens, Baltes, Moldaves, Bessarabiens, Allemands de la Volga, Tatars, Tchétchènes, Ingouches. D'un bout à l'autre du continent, des démocrates, des socialistes, des communistes, des anarchistes, des gens sans parti avides seulement de liberté, des dissidents, des résistants ont accompagné ces innocents dans les camps de travail forcé, de concentration ou d'extermination. L'ampleur du crime est si bien partagée des deux côtés qu'on peut se demander si la différence, l'opposition déclarée des programmes politiques entre les deux systèmes garde une valeur pour les sciences politiques. Après tout, un mort est un mort, qu'il ait été assassiné d'un coup de crosse par un SS, ou d'une balle dans la nuque par un agent du Guépéou. Des villages ont été rasés et leurs villageois brûlés par des divisions SS près de chez nous, et plus loin et bien avant, en 1918 en Russie soviétique, au temps de la Terreur Rouge des villages furent le lieu d'atrocités.

 

 Et pourtant, deux poids, deux mesures. Les crimes commis par les nazis furent condamnés, mille fois condamnés. Les crimes commis au nom du communisme : tus, cachés, pire : excusés, atténués, relativisés. A peine révélés, déjà oubliés. Pourquoi ?

 

 En 1968, quand un trotskyste se déclarait solidaire du Printemps à Prague, des militants de l'Union des Etudiants Communistes l'accusaient d'être un agent de la CIA. Bien avant, en 1956, quand les ouvriers hongrois s'insurgeaient contre le régime stalinien, les partis communistes les accusaient d'être des contre-révolutionnaires, et les intellectuels prétendument éclairés en Occident se taisaient, comme ils se sont tus pour la plupart quand de courageux dissidents soviétiques tentaient d'alerter l'opinion internationale sur les persécutions des opposants. Les révélations des Soljénitsyne, Chalamov, Poretsky, Plioutch ont été tièdement accueillies, et pas seulement par les tenants de l'idéologie officielle, mais aussi par une bonne partie de l'opinion, intellectuels en tête, union de la gauche et programme commun obligent.

 

 Mais l'union de la gauche n'explique pas tout. Il y a des causes plus profondes, qui ont des racines plus anciennes. Le communisme est un courant du mouvement ouvrier qui a été porteur d'une espérance pour des millions d'hommes à l'échelle planétaire. De la Commune de Paris à la révolution d'octobre 1917, les révolutionnaires inspirés du marxisme, du socialisme ou d'idées libertaires ont lutté pour une société débarrassée de l'exploitation et de la misère. En Allemagne, en France, dans la plupart des pays d'Europe, en Amérique du nord, le mouvement ouvrier s'est construit, nourri de la théorie de la lutte des classes élaborée par Marx et Engels. L'origine du communisme est là, non pas enfermée dans un livre, mais ancrée dans l'histoire des luttes ouvrières, le développement du syndicalisme, de l'internationalisme prolétarien. Rien de comparable avec le fascisme ou le nazisme qui n'ont d'autres racines que la culture de la haine et comme têtes pensantes les théoriciens de la supériorité d'une race sur le reste du monde. Nous sommes placés devant ce paradoxe : le communisme est dans l'histoire des idées, celle qui a été pour des millions d'individus à l'échelle planétaire la plus porteuse d'espoir, et pour cette raison précisément, celle qui pouvait excuser la pire des escroqueries. On condamne la préméditation, le malfaiteur, le criminel par intérêt. On dit qu'il a le mal dans la peau. Mais on pardonne à celui qui fait du mal sans l'avoir voulu, au maladroit animé de bons sentiments. Pour nombre d'observateurs -pas toujours objectifs il faut le dire- le communisme n'est pour rien dans les crimes qui ont été perpétrés en Russie, dans les pays de l'est européen, en Chine, en Corée, au Vietnam, au Cambodge, à Cuba, ce qui est en cause c'est son application. Il est facile de répondre par une question : pouvez-vous citer un pays où le système communiste aurait été expérimenté sans commettre de crimes ?

 

 Mettre en cause l'URSS, c'était s'en prendre au communisme, donc au mouvement ouvrier tout entier. En religion, cela s'appelle sacrilège, blasphème. En politique, reniement, trahison.

Reniement, renégat, voilà un terme qui traduit parfaitement le jugement sans appel qui est porté sur ceux qui un jour ou l'autre susurrent une critique, ou élèvent carrément la voix, voir la violence avec laquelle Lénine rejetait les critiques qui étaient adressées par d'anciens compagnons de route au pouvoir bolchevik (7). Les idées totalitaires ont toutes leurs renégats, puisque par définition, elles se suffisent à elles-mêmes et ne souffrent aucune discussion. Regardez comment les fondamentalistes de l'Islam regardent les plus modérés, sans parler des pires de tous, ceux qui quittent le navire, les apostats.

 Les communistes qui élevaient la voix en URSS et dans les démocraties populaires étaient soient passés par les armes, soient déportés, en tous les cas contraints à des aveux de crimes qu'ils n'avaient pas commis. Ils étaient (le mot est apparu du vivant de Lénine) des ennemis du peuple. Ce qui justifiait la pire des punitions.

 

 En 1989 le mur de Berlin a cédé devant l'assaut des peuples, emportant avec lui le rideau de fer qui partageait le continent, maintenant sous le joug totalitaire des millions d'Européens. Le communisme aurait-il fait long feu ? Ce n'est pas certain. En tout cas, pas dans les esprits. Il y a la crise du capitalisme et ses conséquences dramatiques pour les peuples sur cinq continents, au nord et au sud, la misère, le chômage, le désespoir. Voilà revenus les ferments qui alimentent les idéologies les plus extrêmes, idéologies qui n'ont nul besoin de développer des discours alambiqués pour convaincre des gens qui, n'écoutant plus personne, risquent d'accorder foi au slogan du premier bonimenteur venu. Il a suffi de quelques milliers de révolutionnaires professionnels pour venir à bout de deux cent millions d'hommes en Russie, à quelques centaines d'illuminés antisémites et revanchards allemands pour mettre le feu à l'Europe. Plus que jamais en temps de crise, la démocratie est à défendre, et pour cela, il faut oser regarder le passé, en tirer tous les enseignements, ne rien cacher, même si parfois pour certains, et j'en suis, c'est un effort douloureux.

 

§

 

 

(1) Lénine.- La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky ;

(2) Lénine.- Polnoie sobranie socinenii, Œuvres complètes, vol. L, p.143 ;

(3) Pravda, 31 août 1918 ;

(4) Izvestia, 3 septembre 1918 ;

(5) Izvestia, 10 septembre 1918 ;

(6) Severnaia Kommuna n°109, 19 septembre 1918 ;

(7) La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky ;