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06/02/2014

Rire

 

 

 Je me rappelle une discussion après la sortie du film « La vie est belle ». Il faut une certaine liberté d’esprit pour apprécier les effets comiques qui cadencent cette reconstitution du crime perpétré par la barbarie nazie. En particulier la scène où les détenus dans leurs châlits écoutent sans comprendre le Kapo qui profère en hurlant des menaces de mort. Il fallait traduire, c’est Roberto Benigni –réalisateur et acteur principal- qui s’y colle et ça l’arrange, car son fils est là aussi, il lui avait promis un beau cadeau. Le voilà donc qui raconte une histoire de concours avec des prix à gagner, un discours à l’opposé bien sûr de celui de la grosse brute en uniforme qui annonce tous les malheurs possibles. Certes l’opposition entre les deux discours, et la façon dont ils sont prononcés sont risibles, elles révèlent aussi que l’irrationnel n’est pas du côté qu’on croit. Les paroles du père en complet décalage avec celles du kapo sont celles de la raison, ce qu’elles traduisent, c’est l’amour d’un homme pour son fils. On rit, on pleure en même temps. Quelle belle manière de montrer l'absurdité du fascisme ! Un chef d’œuvre. 

 Cela n’a pas plu à tout le monde. Certains de mes amis n’ont pas ri, j’ai même entendu qu’il ne fallait pas. Je mets de côté le char américain libérateur dont la présence à l’issue du film n’est pas appréciée par les pacifistes de gauche qui auraient sans doute préféré un char soviétique, passons, ce n’est pas mon propos. Pourquoi ne faut-il pas rire devant une situation, si elle est comique ? Faut-il se retenir ? Y a-t-il des choses dont on peut rire, et d’autres dont on ne peut pas ? Je ne sais pas répondre à cette question. Pierre Desproges s’en sortait en disant qu’on pouvait rire de tout mais pas avec n’importe qui. Peut-être faut-il distinguer aussi rire et moquerie.  

 Beaucoup d’humoristes aujourd’hui s’en prennent avec délice aux célébrités. Ils se font imitateurs et certains possèdent un don indubitable pour l’art de la caricature. D’autres n’ont pas ce don et ridiculisent leurs cibles pour leur aspect physique, corpulence, petitesse, habillement, pour leur difficulté d’élocution. A l’heure où juger les hommes selon leur faciès est interdit, le succès rencontré par ces artistes est étrange.  

 A la petite école, je me rappelle avoir été surnommé « pourri », « fourmi », « fourni », cela ne me plaisait pas, sans me rendre malade pour autant. J’imagine quelle doit être la détresse d’un enfant montré du doigt à cause de sa couleur de peau, de son aspect physique ou de son infirmité. Pas la peine de se rendre en Allemagne dans les années trente pour s’en faire une idée. L’effet de groupe est le carburant de la moquerie. C’est ce qui la distingue de l’humour qui est le produit d’une observation autant que d’une réflexion, pour celui qui le fait et pour celui qui écoute. Il peut être acerbe, cruel et même noir, il ne vise personne et n’a qu’un but : provoquer le rire. Avec un petit quelque chose en plus, il rassemble les gens, fait oublier leurs différences, il arrive même à déboulonner les idoles. Les systèmes totalitaires ne l’aiment pas, le condamnent, l’exilent, l’enferment. La moquerie par contre, toujours dirigée contre les autres, n’est pas incompatible avec le totalitarisme. Elle divise, désigne, dénonce et provoque la haine.  

 Etonnante cette exigence soudaine du respect de la liberté d’expression…de propos antisémites. Cette liberté, quelques pauvres esprits ont pu l’exprimer devant des synagogues et même devant le camp d’extermination d’Auschwitz. En démocratie, beaucoup de choses sont permises car on ne met pas un policier derrière chaque citoyen. Mais si par malheur un jour le pouvoir était confié à ces gens, ils seraient les premiers à tout interdire, sauf à se moquer des gens qui ont un long nez, de grandes oreilles, une jambe plus courte que l’autre, des taches de rousseur ou des cheveux crépus. Certains n’hésiteraient pas à humilier un cabotin sous prétexte qu’il porterait une barbe et n’aurait pas la couleur de peau des gens d’ici. Mais cela, les démocrates s’interdisent de le faire, car sous nos latitudes le racisme est un délit.

 

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