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03/01/2019

Carte postale

Je vous écris - Copie.jpg

cliché M.Pourny

  Je vous écris de mon sapin de Noël. Un ouvrier chinois a glissé dans un jouet un appel au secours pour tous ceux qui comme lui vivent et travaillent dans des conditions inhumaines,

 D’Orient et d’Afrique je voudrais bien écrire pour dire ce que vivent les victimes de l’intolérance religieuse,

 de ces pays où filles et femmes sont ignorées, voilées, séquestrées, méprisées, maltraitées.

 De retour dans mon pays, sachez combien j’apprécie l’attitude de ces gens venus d’ailleurs qui pratiquent leur religion sans l’imposer aux autres, et qui respectent les lois et les usages du pays qui les accueille.

 De la belle campagne française je vous écris où cultivateurs et éleveurs travaillent dur et sans rien demander d’autre que le fruit de leur travail.

 Et ces gens des campagnes à qui faudrait-il bien écrire pour qu’ils gardent près de chez eux un hôpital, une maternité, un bureau de poste, une gare, un commerce, une école ?

 De S…….. je vous écris, au milieu des gens du voyage, montrés du doigt par tout le monde et qui n’ont pas plusieurs millions de co-religionnaires pour les défendre.

 Ai-je vraiment envie d’écrire quand j’apprends qu’à Paris on agresse une vieille dame parce qu’elle est juive ?

 Ai-je vraiment envie d’écrire quand des personnes doivent baisser les yeux quand elles rentrent chez elles, victimes quotidiennes d’un fascisme qui ne dit pas son nom ?

 Ai-je vraiment envie d’écrire quand je sais que pour être entendu il faut accepter de ne pas voir la réalité et bredouiller une langue papelarde ?

 J’écris quand même, j’écris de partout,

 de ceux qui souffrent en silence car ils n’ont pas les moyens de se défendre.

 Madame, Monsieur,

 recevez cet amical souvenir d’un camping où des gens, faute d’un toit, s’abritent sous une tente ou dans une caravane toute l’année, ceux-là ne font pas de bruit, oh non, ce sont des travailleurs saisonniers, des personnes âgées sans ressources, et même je les ai rencontrés, des gens heureux comme cet homme alors que j’étais planté devant son mobil home joliment arrangé et fleuri de partout, cet homme m’a dit « c’est mon petit coin de paradis ».

 à vous qui lisez ces lignes, je vous remercie de m’avoir accordé votre attention, je vous souhaite tout le bonheur possible.


§

 

20/02/2017

Nostalgie

 

 

 

 Il m’arrive de ne pas savoir contenir ma colère. Est-ce l’âge ? Sont-ce les mœurs qui ont évolué, le comportement des gens que je ne supporte pas ? Il y a aussi la désillusion. Quand on a tant espéré, quand on a cru aux lendemains qui chantent, et qu’on voit ce qu’on voit, qu’on entend ce qu’on entend, il y a de quoi s’emparer de la bêche et aller cultiver son jardin. Le danger c’est la misanthropie. Ce n’est pas mon cas, il y a encore quelques personnes que j’aime, des gens qui n’ont pas changé, c’est bien de ne pas changer quand tout est perpétuellement en mouvement, provisoire, périssable, jetable, à l’exception des préjugés et des dogmes qui malheureusement ne sont ni en mouvement ni périssables.

 Croire, espérer, c’était se battre, non pour détruire ni faire souffrir, mais pour construire un monde pour l’homme. Un monde pour la femme. C’était combattre l’inégalité, l’exploitation, la colonisation, la guerre. Y a-t-il eu un jour un plus beau combat ? On allait changer la vie, transformer le monde. On peut toujours nous reprocher d’avoir rêvé, pire : d’avoir trop lu, d’avoir trop cru, et surtout d’avoir encensé des modèles qui, avec recul, n’était pas si respectables. On peut reprocher beaucoup de choses aux personnes qui agissent, car souvent elles sont emportées et espèrent soulever des montagnes. J’en vois qui regardent les rêveurs en souriant, qui n’ont pas bougé, pas levé un doigt quand il fallait agir, au risque de se tromper. Quand l’esprit n’est mobilisé que pour faire carrière, pour préserver sa tranquillité et assurer ses arrières, il a peu de chance de se tromper. Les sages ne se trompent pas et regardent ceux qui s’indignent et se battent comme des Don Quichotte ridicules. Si dans l’histoire ces personnes très raisonnables avaient décidé du sort de l’humanité, aujourd’hui les enfants à quatre pattes dans les galeries de mines pourraient tout juste manger à leur faim, juste assez pour continuer d’engraisser des charbonniers raisonnables.

 Je n’ai pas honte de dire que j’ai cru au socialisme. Le 12 avril 1961 je n’ai pas boudé mon plaisir quand j’ai appris que le premier homme propulsé dans l’espace était un soviétique. J’ai suivi le déroulement du XXII° congrès du PCUS en espérant que le stalinisme serait condamné. Il ne le fut pas. J’ai encore fermé les yeux quand dans la guerre sino-indienne, les soviétiques livrèrent des armes à l’Inde. Je me suis alors tourné vers le trotskisme, en occultant l’écrasement du soulèvement de Kronstadt, il fallait bien de temps à autre sacrifier quelques humains quand l’objectif était si haut, si extraordinaire. En août 68 les trotskistes étaient du bon côté quand ils soutinrent le printemps de Prague et condamnèrent l’intervention soviétique. Ensuite, j’ai vu comment fonctionnaient les organisations anti-staliniennes, et peu à peu elles m’apparurent peu différentes de celles qu’elles combattaient. Esprit de secte, d’appareil, de caste, intolérance. Condescendance aussi du marxiste qui sait tout, qui voit et comprend tout vis-à-vis du peuple aliéné, ignorant. Si vous n’êtes pas marxiste, c’est que vous ne l’êtes pas encore… ou alors, c’est l’option de tous les dangers, c’est que vous êtes passé du côté de l’ordre bourgeois. Moi, cela fait longtemps que je suis passé de ce côté-là. L’ordre bourgeois est ce qu’il est, mais qu’on me montre où et quand dans le monde une alternative plus heureuse s’est présentée.

 Je ne renie pas mon passé, mais je ne regrette pas d’avoir ouvert mon bec quand se taire aurait été indigne d’un étudiant ayant appris tant de choses. Le siècle dernier fut terrible. Il aurait pu être différent, si l’attentat de Sarajevo n’avait pas eu lieu, si les pacifistes allemands et français avaient pris le dessus sur les va t’en guerre, si la chute du tsar avait laissé place à une démocratie en Russie, si si si … J’entends nos gens raisonnables me dire qu’on ne refait pas… blablabla. C’est peut-être aussi qu’il y eut dans ce passé trop de gens raisonnables.

 Quand je vois à la porte des usines tant de savoir faire perdu, tant de drames, d’injustice, quand j’entends des âneries du genre il faut produire français, que c’est la faute des étrangers, quand je vois des femmes qui se cachent par respect pour un dieu qui n’est jamais là quand on a besoin de lui, comme vous certainement, je serre les poings. Je ne cours plus camarade, le vieux monde est toujours là, et bien là.

 On s’occupe un peu de soi, c’est le temps de la retraite, place aux jeunes. Mon plaisir c’est la photographie. Je suis amoureux des belles mécaniques, du film et du papier argentique. J’avais réservé un blog –celui-ci- à des billets d’humeur, et un autre pour la présentation de ma collection d’appareils photographiques. Comme si les deux domaines étaient séparés. Erreur. Quand on en a assez de désespérer de tout, il reste ces belles choses, merveilles de la technique qui sont passées dans les mains des plus grands artistes, pour la beauté d’un paysage d’Ansel Adams, le modelé d’une nature morte de Weston, merveilles sans lesquelles on ne pourrait montrer à nos petits enfants le visage d’Anne Frank.


§

 

18/12/2011

Au village sans prétention...

 

 

  A la sortie de l’école, tous les jours il était là. Il n’avait pas l’air normal. Il était louche, a dit une mère de famille. 

 L’autre fois, appuyé contre un poteau, il mangeait un yaourt  avec une cuillère. Il avait une attitude suspecte. Il n’était pas net. On n’avait pas confiance. Il regardait les enfants. Moi je cachais ma fille derrière moi. J’avais peur pour mes enfants. On avait appelé la police. Elle n’est jamais venue. Le directeur est sorti une fois ou deux pour lui parler, lui demander de s’en aller. Toujours il revenait, a dit une autre, mais personne ne s’en approchait.

 Une fois, il a été vu tenant par la main une fillette qui avait dû s’égarer. Il l’a ramenée à l’école, et l’a rendue à un membre du personnel. Les parents de la fillette ont porté plainte au commissariat.

 Cela ne pouvait plus durer. Il en va des enfants. On n’en pouvait plus d’avoir peur. L’homme a été poursuivi par des passants et rattrapé à l’entrée de son immeuble. Après, la police est arrivée. Ils l’ont menotté, ils l’ont embarqué, et dans la voiture il a fait un malaise.

 Une mère de famille a dit : Il est mort, je n’ai pas de réaction. Je pense que c’est un mal pour un bien. Maintenant je suis tranquille.  

 La voisine de l’homme dans la petite tour grise de six étages a dit qu’il n’était pas méchant du tout, qu’il était différent, que les gens étaient durs avec lui parce qu’ils avaient peur. Il ne savait pas se défendre. Il parlait mal, on ne comprenait pas ce qu’il disait. Les gens l’agressaient dans la rue, surtout les jeunes. Ils l’insultaient. Il ne méritait pas ça. Il a été effrayé par la police. 

 Il y a des milliers d’hommes qui meurent chaque jour. Et pour nombre d’entre eux sans que cela soit mérité. Je pense aux personnes qui n’ont pas de logis, qui passent l’hiver dans la rue. Certains ne voient pas le printemps, ils ne résistent pas au froid. Mais l’image de cet homme-là, dont on ne sait rien, même pas le nom, l’image de cet homme restera gravée dans ma mémoire. C’est l’Injustice. Il faudrait un Le Nain pour la peindre, un Victor Hugo pour l’écrire, un Vittorio De Sica pour la présenter au public, à cette femme qui n’a pas de réaction, qui pense que la mort d’un innocent est un mal pour un bien, et qui maintenant dort sur ses deux oreilles. 

 La voisine dans la petite tour grise a dit des choses bien. Le genre humain existe encore.

  

§