Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/10/2022

Eve

 Musarder, « être dans les nuages », voilà bien une faveur accordée aux humains. Mais rêver n’est pas toujours bien vu dans une société où règnent sans partage l’utile et l’efficace, où tout est calculé, daté, minuté, même dans des domaines qui, au regard de la condition humaine, n’ont que peu d’importance. On peste contre l’étourdi qui oublie ses clés, ses papiers ou l’heure d’un rendez-vous. On se moque du rêveur. Ce n’est pas bien d’être « dans la lune ». On raconte que le philosophe Thalès observant les étoiles tomba dans un puits, ce qui fit bien rire une servante thrace qui pensait à juste titre qu’à trop regarder en l’air, on ne prenait garde où l’on mettait les pieds.

 Entre les envolées philosophiques et la dure réalité de la vie, établir un équilibre est difficile. Nous tombons dans l’excès : les philosophes parlent trop souvent pour eux-mêmes, les autres, nez collé à leurs agendas ne savent pas s’en libérer.

 Par bonheur, il y a les histoires. Parfois mises en vers et en musique, sur scène ou dans les livres et racontées par la grand-mère au coin du feu. Un peu vraies, un peu imaginées. Leur bon côté, c’est qu’elles exagèrent. Elles ne rapportent pas, elles transportent. Dans le temps et l’espace elles planent, font voir du pays, ou dépaysent. Elles déroutent, mènent « en bateau ». Parfois, en nous égarant, elles dévoilent une réalité qui échappe habituellement à notre regard autant qu’à notre jugement.

 

 

Voici un extrait du recueil de nouvelles "Là-bas, tout près":

 

 Le soir se fit, puis le matin. L’Eternelle planta un jardin en Eden, vers l’orient, et y plaça la femme qu’Elle avait façonnée. Elle fit surgir du sol toute espèce d’arbres, beaux à voir et propres à la nourriture; et l’arbre de la science du bien et du mal au milieu du jardin. Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin. L’Eternelle prit donc la femme pour le cultiver et le soigner. L’Eternelle donna un ordre à la femme en disant :

Tous les arbres du jardin, tu peux t’en nourrir ; mais l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras point : car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir ! 

L’Eternelle dit :

Il n’est pas bon que la femme soit seule; Je lui ferai un aide digne d’elle. 

(…) Elle organisa en un homme la côte qu’Elle avait prise à la femme, et Elle le présenta à la femme. Et la femme dit :

Celui-ci, pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair : celui-ci sera nommé ich, parce qu’il a été pris de icha.

Or, ils étaient tous deux nus, la femme et son homme, et ils n’en éprouvaient point de honte.

Mais le serpent était rusé. (...)

 

"Là-bas, tout près", publié aux éditions Vérone, 75 Bd Haussmann 75008 Paris. Il est en vente en ligne par FNAC, Decître, Chapitre.com… ou dans votre librairie.

14/10/2022

extrait de la nouvelle "Jutta", dans "Là-bas, tout près"

(...)

Sandra prend les mains de sa fille dans les siennes.

- Tu avais huit ans en 53. Tout allait bien pour nous. Mais il s’est passé quelque chose dans le pays. Un événement extraordinaire. On était le 17 juin. Des milliers d’ouvriers s’étaient rassemblés dans les rues. Ils réclamaient de meilleurs salaires, des conditions de vie décentes. Des pans entiers de la population les rejoignirent, qui exigeaient plus de liberté, la libération des prisonniers politiques, des élections libres. Georg était dans la rue, en tête de défilé. Le gouvernement était débordé, dépassé. Jamais un tel soulèvement n’avait eu lieu dans un pays communiste. Alors les chars sont arrivés, les chars soviétiques pour, comme disait Moscou, « venir en aide au pays frère ». La répression fut terrible, impitoyable. Beaucoup de camarades de Georg ont été exécutés, certains ont été jugés sommairement par des tribunaux soviétiques et déportés en Sibérie. Ton père a disparu, mais volontairement, car il n’avait qu’une idée en tête: qu’il n’arrive rien à sa fille, rien à sa femme. Pendant un an nous sommes toutes les deux restées sans nouvelles. Un de ses camarades est passé nous voir un jour pour nous laisser espérer qu’avec la mort de Staline, les choses allaient changer chez nous. Des associations de dissidents voyaient le jour. Tout le monde se savait surveillé, mais la vie reprenait son cours. Le retour de ton père fut le plus beau jour de notre vie.

- Mais maintenant, il ne craint plus rien, cela fait vingt-deux ans qu’il a participé à une manifestation…

- ...pas une manifestation Jutta, un soulèvement!

(...)

à lire dans « Là-bas, tout près » , recueil de nouvelles publié par les éditions Vérone, 75 Bd Haussmann 75008 Paris. 

08/10/2022

"Là-bas, tout près" éditions Vérone, recueil de nouvelles, extrait

 

 Tu es d’une étrange beauté. Je t’imagine en Athéna, casquée, armée, maîtresse de la ville et du monde. Mais tu n’es pas guerrière. Peut-être faudra-t-il que tu te venges ? Tu es Artémis, épuisée après la chasse Tes nymphes t’entourent, nues elles aussi dans cette caverne pour un repos bien mérité. L’une d’elles t’éponge le front, une autre revient de la source et verse sur ton corps un fil d’eau fraîche. Un bruit de pas. C’est l’autre, il passe sa tête et se régale. Il ne l’a pas cherché, il ne l’a pas voulu, mais il est là, Actéon. On entend ses chiens, au loin, qui gueulent de plaisir, ils dévorent le cerf. L’homme, chasseur ingénu est là sans le faire exprès. Un vieux réflexe, il se détourne.  

 Tu es encore plus belle quand tu admonestes tes enfants, le regard fier, les cheveux rejetés, tu es de la race des grandes. Elle fait un signe à ses nymphes encore horrifiées par l’intrusion de l’homme, elles reviennent auprès d’elle. Actéon s’immobilise. Ses vêtements se détachent et jonchent le sol. Il tombe en avant. Un fin duvet lui pousse sur tout le corps. Puis ce sont des poils. Sur la tête des cornes, deux en forme de dagues. Elles grandissent, son nez s’allonge en museau. Sur le crâne de grands andouillers s’épanouissent. Va maintenant, lui dit-elle. Va retrouver tes chiens. Il s’enfonce dans la forêt (...)