17/11/2012
Souffle un peu camarade, le vieux monde est toujours là !
Que sont-ils devenus ces révolutionnaires qui voulaient rétablir la communauté humaine dans ses droits, remettre le pouvoir à ceux qui travaillent, à ceux qui souffrent, libérer la femme, condamner l’usage de l’opium, en combattant les sectes et les religions remparts de l’injustice, instruire tous les enfants du monde, partager les richesses, supprimer les frontières, mettre fin à toutes les guerres, émanciper l’humanité ? Que sont-ils devenus ? Je les cherche partout. Dans les rues, sur les ondes, à la une, à la deux, à la trois, ils ne sont nulle part.
Ils se sont métamorphosés. D’où la difficulté de les découvrir. On sait que la cagoule est à la mode, mais voleurs à la tire et terroristes ne sont pas seuls à pratiquer l’art de la dissimulation. Nos cachottiers de l’extrême gauche ne voilent pas leurs visages, c’est leur passé qu’ils escamotent. Ils ont tout oublié. Les enjeux du monde ne seraient pas ce qu’ils sont, on dirait qu’il fallait bien que jeunesse se passe. Cours camarade le vieux monde est derrière toi, c’était avant. Le vieux monde est devant, derrière, partout, et le vieux révolutionnaire embarrassé, las, bedonnant, se demande discrètement si toutes ces gesticulations ne furent pas du bruit pour rien.
Certains sont devenus architectes, d’autres journalistes. Certains ont rencontré l’islam, d’autres encore produisent du fromage de chèvre. Beaucoup se sont confectionné un nid douillet en politique, ils ont pris la carte d’un parti, de gauche. On a sa conscience de classe, par Saint Marx nom de Dieu ! Sauf dans la vie courante, où l’on s’arrange pour éviter les désagréments liés à la fréquentation du peuple. Pour le choix d’un quartier, d’une école. La mixité sociale, c’est l’avenir, mais pas pour leurs enfants, pas dans l’immédiat. Cela fait partie de ce que leurs maîtres à penser appelaient le programme maximum. Celui-là, pour eux, pour leur famille et leurs biens, ils l’ont assimilé. C’est d’ailleurs le seul programme qu’ils appliquent, de dire qu’on maintient le cap de la lutte finale pour le socialisme, ça ne mange pas de pain. Pour le reste, le pain justement, l’amélioration de la vie quotidienne des travailleurs des villes et des campagnes, ils s’en foutent, mais alors à un point qu’il n’y a pas un superlatif pour en donner la mesure.
Les autres, ultra minoritaires, sont restés en gros fidèles à leurs principes. En gros. Car il leur est impossible de parler aujourd’hui de révolution, de dictature du prolétariat, du pouvoir aux soviets, de construction du communisme, quand l’écrasante majorité de la population n’a qu’une idée en tête : s’enrichir. Acheter une maison, un écran plat, un camping car, tondre la pelouse, changer de voiture, s’équiper d’un GPS, se rendre aux sports d’hiver ou en thalassothérapie, cultiver son jardin. Les autres, ceux qui ont tout perdu, emploi, santé, maison, jardin, famille, n’ont plus le cœur à entendre des discours, encore moins à se battre. Comment voulez-vous faire la révolution avec ça ? Putain de peuple ! Il n’est plus comme avant. Désemparés trotskistes, maoïstes, anarchistes ont rasé leurs barbichettes, fait un brin de toilette, et sont devenus de bons républicains tout à fait respectables. Nos révolutionnaires professionnels aujourd’hui, assis sagement dans des salles trop grandes pour eux, abominent le capitalisme, l’impérialisme américain, la finance mondiale, écoutent des discours fleuves et défendent les acquis. L’archipel du Goulag étant passé par là, les gros mots : prolétariat, comités d’usine, soviets, communisme, ne sortent plus de leur bouche. Compatissants, les gens les écoutent et les gratifient de zéro virgule cinq pour cent des voix.
On chante encore l’Internationale, mais c’est un chant d’adieu. Comme quand j’étais petit, en nous séparant à la fin de la colonie de vacances. Ce n’est qu’un au revoir mes frères, ce n’est qu’un au revoir. On avait la larme à l’œil.
C’est une petite flamme qui s’éteint.
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19:50 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : extrême gauche, trotskistes, révolutionnaires
Commentaires
Michel, je suis en train de lire un roman de Alaa al-Aswani, une fine ironie de l'Egypte moderne où la corruption politique, les fortunes illicites, l'hypocrisie religieuse se conjuguent avec l'arrogance et l'agressivité des "forts" du moment, où l'idéalisme juvénile peut se muer rapidement en extrémisme.L'un des personnages s'est essayé tour à tour dans tous les partis qui se sont succédés au pouvoir, en étant leur plus ardente voix. Ainsi, au temps de Nasr, il tenait des conférences et écrivait sur l'inévitabilité de la transformation socialiste et sa nécessité historique, ensuite, lorsque l'Etat s'est dirigé vers le capitalisme, il est devenu l'un des plus véhéments supporters de la privatisation et de l'économie de marché.
C'est, je crois, ce qui est arrivé à la majorité des révolutionnaires.
Ils ont fait peau neuve. Par lâcheté, par intérêt, par ambition ?
Le candidat roumain aux présidentielles de 2014 est un ancien collègue de fac, je l'ai connu bohème, rebelle, le genre d'étudiant qui rentrait pas dans des moules.
A présent, président du Parti Libéral, il a mis un costard, il a appris le politiquement correct et a fait une alliance contre-nature avec le parti de gauche.
Et le peuple roumain dans tout cela ?
"Il lui est indifférent d'avoir à nouveau devant lui l'auteur de ces spectacles en plein air qui commençaient par de tendres ballades et se terminaient par des Ceausescu, Romania, scandés sur scène et repris, par incitation et pseudo hystérie collective, dans les tribunes. Le peuple roumain s'est adapté à son histoire. Dans un autre décor, il contiue de manger les plats que l'histoire lui avait déjà servis. Froids, réchauffés, avariés. Il lui importe peu qu'une révolution ait lieu, symboliquement du moins, que l'histoire ait fait une indigestion et que bon nombre de ceux qui se pavanent maintenant sur scène ne sont rien d'autre que les éructations et vomissements d'une époque révolue". (G. Liiceanu)
Le peuple français serait-il moins enclin à la résignation ?
Écrit par : Dana | 20/11/2012
Oui c'est dur de lire cela (Liiceanu). On avait tant espéré quand le mur est tombé (j'en ai un morceau chez moi...) que la désillusion est grande de voir, certes l'indifférence des gens par rapport aux menaces qui pèsent sur notre société, mais aussi et surtout de constater que ce sont toujours les mêmes qui en pâtissent, les gens honnêtes qui ne magouillent pas, qui bossent ou qui ne le peuvent plus. Cela me rappelle une réflexion de ma grand-mère, qui était ouvrière, responsable syndicale et très engagée, à un immigré russe blanc qui lui confiait qu'l avait tout laissé là-bas aux rouges, elle répondait qu'il avait eu de la chance d'avoir possédé quelque chose un jour, parce que les autres, sous le tsar, ils n'avaient rien, et sous les rouges, ils n'avaient rien non plus.
Pour revenir à ce que tu écris, oui ça fait mal de voir les jeunes complètement indifférents à la politique (la vraie, celle qui ne rapporte rien ni l'argent ni la gloire), ignorants même. Là-haut ils en profitent et nous font avaler les couleuvres. L'histoire contemporaine a vu s'écrouler plus que des empires: des idéaux. Ils laissent un grand vide, c'est inquiétant.
J'ai écouté plusieurs fois les Pink Floyd sur ton blog. C'est mon groupe préféré (te rappelles-tu de Shame on you , un jour le le mettrai en ouverture ici-même). Heureusement qu'il y avait cette musique, parce que Debouze... les associations anti-racistes qu'est-ce qu'elles attendent? Je croyais que le racisme était un délit. Je voulais écrire un patit mot, mais les commentaires sont fermés. Je comprends bien ton silence et les explications que tu en donnes. A bientôt, et Bas les pattes devant la Roumanie, bande d'arriérés mentaux! Quant à dire qu'une telle est sympa MAIS roumaine, imagine le barouf que ça ferait de dire que Debouze n'est pas drôle ET arabe. Il y a donc pour le racisme, comme pour la médecine: deux vitesses.
Écrit par : pourny | 21/11/2012
Les commentaires sont fermés.