27/07/2020
Interdire
Cette maxime a plus de quarante ans : « Il est interdit d’interdire », formule ramassée, facile à dire, à écrire, à reproduire. En réalité ce slogan, de libérateur n’en a que l’allure, car en imprégnant les esprits, il a causé des dégâts dans les familles, les écoles, les banlieues, bref partout où la société a besoin de règles, de repères. A une certaine époque il était de bon ton de souhaiter que des criminels en fuite ne soient pas rattrapés par la police. Aujourd’hui encore, on accuse la police d’être elle-même par son attitude –son existence ?- responsable des violences, au moins d’en être à l’origine. Ce qui sous-entend que si la police n’était pas là…
En réalité, à travers la police, c’est la société qui est visée. La société fondée sur la recherche du profit, l’argent, la spéculation, l’exploitation de l’homme par l’homme, les inégalités. Le discours est simple, clair, précis : si on pique ton portefeuille ou si une étudiante se fait agresser dans le train, ne cherche pas, c’est la faute de la société. Celui qui s’est emparé de ton bien était dans le besoin, l’agresseur de la jeune fille avait lui-même été violenté par son père. Supprimez la misère et vous verrez : c’en sera fini de la délinquance, du crime et même du terrorisme.
On imagine le désastre que cette idée peut engendrer dans la société humaine. Si c’est la faute des autres, ce n’est la faute de personne. Je pense avec nostalgie à nos maîtres d’autrefois qui s’efforçaient de cultiver en nous le sens des responsabilités. Y en a-t-il encore ? On me dit que oui. Je veux bien le croire, mais ils ne sont pas majoritaires. On nous apprenait que chacun était responsable de ses actes. En classe terminale, les préceptes du philosophe Kant qui affirmait que la maxime de mon action devait pouvoir être érigée en règle universelle, ne provoquaient pas les ricanements. Dans le métro, des gens se font agresser par une bande de voyous, et le commentateur de la radio a cette expression : « des jeunes un peu turbulents ». Alors vous pensez, Kant, on en est loin.
S’il est interdit d’interdire, c’est le plus fort qui gagne. Ou le plus roué, le plus rusé. Il n’y a derrière mes propos rien de « sécuritaire » au sens péjoratif appuyé de l’angélisme ambiant. Je veux dire que l’absence d’interdictions, règles et sanctions, annonce la fin de la démocratie. Les trois mots qui sont inscrits sur les frontons de nos mairies indiquent d’abord que nous sommes libres. Etre libres de nos actes signifie que nous devons en répondre. C’est le plus beau cadeau que nos ancêtres révolutionnaires nous ont transmis : nous ne sommes plus des sujets, nous sommes libres et responsables. De là l’égalité. Oh certes, devant la loi seulement, c’est déjà beaucoup. Du haut en bas de l’échelle la loi républicaine nous place tous sur un pied d’égalité : chacun doit répondre de ses actes, le milliardaire frauduleux, l’agresseur du métro. La démocratie donne à ces personnes le droit de se défendre.
§
12:15 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : droit, police, justice
Les commentaires sont fermés.