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02/09/2024

Les faits sont simples, elle les a dits

 

 

 Il faut accepter cette pensée selon laquelle un jour tous les problèmes seront résolus. L’idée d’un Grand Soir est tellement séduisante qu’on ne peut s’en débarrasser. Parce que nous vivons perpétuellement dans le projet, il nous est difficile de ne pas croire qu’il fera beau dimanche. Et qu’un jour, après avoir vécu le pire, les choses vont s’arranger. Même les plus mécréants des humains, croient encore en quelque chose, une bonne étoile, un renversement de situation, ou simplement une amélioration de la météo.

 Pour écrire cela, il ne faudrait pas avoir entendu les propos de cette dame qui a perdu son mari dans des conditions tragiques. Gendarme tué par un délinquant récidiviste. Les faits sont simples, elle les a dits, dans un langage d’une clarté limpide. Un langage que nous n’avions pas entendu depuis des années. Pour elle, pour ses enfants, la bonne étoile et l’espoir sont des mots qui n’ont aucun sens.

 Pourtant, après un tel drame, il y a encore aujourd’hui des idéologues pour excuser la délinquance.  Pour cela, qu’y a-t-il de plus pratique que l’explication sociologique ? Ils sont pauvres, donc…Déjà enfant, il a été violenté par son père, donc…Il vient d’un quartier où la règle est celle du plus fort, donc… C’est la vieille idée selon laquelle « Nous n’y sommes pour rien », une idée très ancienne. « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » disait Jésus (Luc 23 : 34). Pas très différent de ce que disait Marx « Ce n’est pas la conscience qui détermine notre être, mais l’être social qui détermine la conscience ». Il ajoutait que les hommes faisaient leur propre histoire, mais dans des conditions non déterminées par eux-mêmes, ce qui revient à nier toute idée de liberté. Les hommes n’étant que les membres d’un « troupeau », d’une « classe sociale », ou selon certains aujourd’hui, d’une « ethnie », d’une catégorie… d’un « peuple colonisé »…leurs actions seraient déterminées exclusivement par cette appartenance. L’individu disparaît derrière le groupe. Ce n’est pas lui qui pense, pas lui qui délibère. On est individu par intérim, réduit à un espace où circulent non plus des idées, mais les revendications et les colères d’une troupe, porte-parole parfois de millions de gens présentés comme des victimes. Un enfant non encore né sera considéré plus tard comme le descendant d’un peuple colonisé ou, par malchance, d’un peuple colonisateur ! Quelle horreur !

 Plutôt que le Grand Soir -on se demande même s’il faut le souhaiter, vu le comportement inquiétant de ceux qui le prônent- que vienne le jour où l’on ne jugera plus les hommes pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font.

 Quand celui qui a utilisé sa voiture comme une arme sera jugé, on pourra encore entendre les banalités d’usage, que la mort d’un homme est une tragédie, que c’est un acte inacceptable, que la justice sera implacable et que le juge n’aura pas la main qui tremble. Mais le juge aura toujours au fond de lui cette petite voix qui lui demandera : toi qui juges, es-tu bien sûr que cet homme à la barre est pleinement responsable de ses actes ?  Est-il besoin de rappeler que Sarah Halimi a perdu la vie, victime d’un homme en proie à « une bouffée délirante aigüe, diagnostic absolument irrécusable » selon le psychiatre ?

 

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27/07/2020

Interdire

 


 Cette maxime a plus de quarante ans : « Il est interdit d’interdire », formule ramassée, facile à dire, à écrire, à reproduire. En réalité ce slogan, de libérateur n’en a que l’allure, car en imprégnant les esprits, il a causé des dégâts dans les familles, les écoles, les banlieues, bref partout où la société a besoin de règles, de repères. A une certaine époque il était de bon ton de souhaiter que des criminels en fuite ne soient pas rattrapés par la police. Aujourd’hui encore, on accuse la police d’être elle-même par son attitude –son existence ?- responsable des violences, au moins d’en être à l’origine. Ce qui sous-entend que si la police n’était pas là…

 En réalité, à travers la police, c’est la société qui est visée. La société fondée sur la recherche du profit, l’argent, la spéculation, l’exploitation de l’homme par l’homme, les inégalités. Le discours est simple, clair, précis : si on pique ton portefeuille ou si une étudiante se fait agresser dans le train, ne cherche pas, c’est la faute de la société. Celui qui s’est emparé de ton bien était dans le besoin, l’agresseur de la jeune fille avait lui-même été violenté par son père. Supprimez la misère et vous verrez : c’en sera fini de la délinquance, du crime et même du terrorisme.

 On imagine le désastre que cette idée peut engendrer dans la société humaine. Si c’est la faute des autres, ce n’est la faute de personne. Je pense avec nostalgie à nos maîtres d’autrefois qui s’efforçaient de cultiver en nous le sens des responsabilités. Y en a-t-il encore ? On me dit que oui. Je veux bien le croire, mais ils ne sont pas majoritaires. On nous apprenait que chacun était responsable de ses actes. En classe terminale, les préceptes du philosophe Kant qui affirmait que la maxime de mon action devait pouvoir être érigée en règle universelle, ne provoquaient pas les ricanements. Dans le métro, des gens se font agresser par une bande de voyous, et le commentateur de la radio a cette expression : « des jeunes un peu turbulents ». Alors vous pensez, Kant, on en est loin.

 S’il est interdit d’interdire, c’est le plus fort qui gagne. Ou le plus roué, le plus rusé. Il n’y a derrière mes propos rien de « sécuritaire » au sens péjoratif appuyé de l’angélisme ambiant. Je veux dire que l’absence d’interdictions, règles et sanctions, annonce la fin de la démocratie. Les trois mots qui sont inscrits sur les frontons de nos mairies indiquent d’abord que nous sommes libres. Etre libres de nos actes signifie que nous devons en répondre. C’est le plus beau cadeau que nos ancêtres révolutionnaires nous ont transmis : nous ne sommes plus des sujets, nous sommes libres et responsables. De là l’égalité. Oh certes, devant la loi seulement, c’est déjà beaucoup. Du haut en bas de l’échelle la loi républicaine nous place tous sur un pied d’égalité : chacun doit répondre de ses actes, le milliardaire frauduleux, l’agresseur du métro. La démocratie donne à ces personnes le droit de se défendre.


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17/03/2014

Mur des "cons" et indépendance de la justice

 

 La présidente du syndicat de la magistrature a été mise en examen le 17 février dernier, non pas suite à l’action de la garde des sceaux qui n’a pas bougé, mais suite aux plaintes de personnes qui avaient été épinglées sur le mur. Elle avait minimisé l’événement en insistant sur le fait que l’affichage avait été fait dans un lieu privé, et qu’il s’agissait d’un « défouloir », d’une action de « potache », en renvoyant à ce qu’elle nommait « l’ère Sarkozy » « où les magistrats étaient attaqués de toutes parts ». Une belle image de la magistrature, de sa conception de la justice et de son indépendance !  

 Ce que je vais dire maintenant va surprendre, on va dire que j’exagère, que j’évoque des faits qui ne sont pas comparables. Tant pis. 

 Elles sont amusantes ces moustaches griffonnées sous le nez de nos hommes (et de nos femmes !) politiques qui ornent les murs de nos villages. Vous prenez un marqueur, une bombe de peinture et de madame ou monsieur untel, maire, député ou sénateur vous faîtes un terrible dictateur, personne n’y croit, mais c’est divertissant surtout quand on connaît le personnage aux discours si ennuyeux que son pire ennemi ne pourrait le soupçonner de faire un jour de la France une tyrannie. Blague de potache bien sûr, mais comment y échapper, surtout quand on est en groupe et qu’on a envie de rigoler ? 

 A l’autre bout de l’éventail des divertissements dont les hommes sont coupables, il y eut ces femmes et ces hommes transportés dans des charrettes par les nazis, socialistes, démocrates, juifs aussi et surtout, qu’on véhiculait pour les montrer au peuple, pour les désigner comme la lie du genre humain, une façon pour les fascistes de justifier le massacre. Plus tard quand ils sont arrivés ici, on exposait en France à Paris les caricatures de ceux qu’on présentait comme la cause de tous les malheurs, on ouvrait même un musée, une façon de préparer l’extermination de 70000 français.  

 Comparaison exagérée certes, mais… 

 Au syndicat de la magistrature, si des têtes ont été affichées, aucune n’a été mise à prix. On peut même accorder qu’il n’y eut pas la volonté de rendre le « mur » public. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a intolérance, et volonté d’en découdre. Sinon à quoi bon désigner l’ennemi ? Le geste lui-même, celui d’épingler un portrait, n’est-il pas déjà une atteinte aux droits de l’homme ? Et quand ce n’est pas un, mais plusieurs portraits qui sont épinglés, n’est-ce pas une idée qui s’affiche, une conception politique, une idéologie ? N’est-ce pas alors une atteinte à la liberté de penser de ceux qui partagent peu ou prou, ou même pas du tout les idées de ceux dont les portraits sont mis au mur ? Je dis « même pas du tout » car pour parler clair, on peut être de gauche, on peut honnir la droite et sa conception du monde et rester convaincu que la liberté de penser et de dire vaut beaucoup plus cher que toutes les idées politiques si admirables soient-elles. 

 Mais ceux à qui les afficheurs du « mur des cons » ont fait le plus de mal, ce ne sont pas les personnes qui ont été épinglées. Ce sont ces gens qui, comme vous et moi, croyaient encore en l’indépendance de la justice. Comment peut-on encore espérer l’équilibre des deux plateaux de la balance quand les juges –ou une partie d’entre eux- ont choisi leur camp ? Je retiens ces propos de Robert Ménard, clairs et nets, qui valent de long discours : 

« Comme citoyen, je ne peux que m’alarmer à l’idée de pouvoir me retrouver un jour face à un magistrat appartenant à un syndicat qui m’aura donc qualifié de con et l’aura, en l’affichant dans ses locaux, fait savoir à ses adhérents. »

 

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