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06/01/2010

XVIII- Elle ne me regarde plus, ne me touche plus

     18° jour : Le village prend forme. Entre les cases le sol est égalisé. Nous aménageons des allées à l'aide de branchages et de cailloux pour éviter de remuer la poussière et peut-être plus tard de marcher dans la boue. Je dis peut-être car jusqu'à présent il n'est pas tombé une goutte d'eau. Le plus difficile, c'est le transport du bois, des pierres, de la terre. Nous transportons tout à la main dans des sacs ou à dos d'homme. Ici, pas de brouette, pas de carriole, et bien sûr pas d'animal de trait !

 

 J'ai beaucoup à faire dans la journée en l'absence de Jennifer. Elle part à l'aube et revient tard dans la soirée. Mes propos l'ont profondément vexée. Elle ne m'adresse plus la parole, ne me regarde plus, ne me touche plus. En rentrant le soir, elle jette un œil vers la couche des enfants, puis s'en approche et leur marmonne quelques mots que je ne comprends pas.

 Qu'ai-je fait après tout, sinon exprimé le fond de ma pensée ? J'estime qu'après vingt ans de vie commune, mis à part un nécessaire petit très petit jardin secret, les personnes qui s'aiment doivent tout se dire. Ce n'est pas tant le fait d'espionner ces gens qui m'indigna, mais que ce soit ma femme, cette personne franche, intègre, débordante d'humanité, qui m'annonçait avec fierté qu'elle avait déniché un poste d'observation au-dessus de la clairière où vivent les indigènes. Je m'étais même retenu de lui asséner que ces gens n'étaient pas des rats de laboratoire, que les plus grands ethnologues ne s'étaient jamais cachés pour étudier les peuples sauvages, qu'ils avaient même sacrifié leurs biens, abandonné leur pays, leur continent, rompu avec leur famille, avaient renoncé au confort que procurent la technologie, les lois, l'ordre social, la vie civilisée, pour vivre au milieu des naturels, partager leurs soucis, leurs fêtes, leurs peines, leurs rires, et bien d'autres choses encore. Mais je n'ai rien dit de tout cela. Elle n'a donc rien entendu. Mais c'est pire : elle sait.

 

 Entre deux conciliabules avec mes compagnons (nous nous entendons à merveille dans ce petit groupe) je fignole notre demeure en compagnie des enfants. Nous avons maintenant une porte et une ouverture...

 

... à plus tard, un groupe s'approche, des inconnus.

 

 Il est tard maintenant. Fatigué. En l'absence de leur mère, les enfants m'obéissent de moins en moins. Proxima est couché depuis deux longues heures, ils courent encore dans la lande. Quand à Jenny, peut-être va-t-elle disparaître définitivement dans la forêt...Jenny femme sauvage ?

 

 Long entretien avec cette délégation du (je copie mot pour mot ce que j'ai compris) « Comité Suprême des Terriens d'Astrée ». Des personnes ma foi bien aimables, admiratives de nos cases et de l'aménagement de notre village. Ils nous apportent deux nouvelles coup sur coup. Une bonne et une mauvaise. La bonne : nous ne sommes pas isolés, partout sur Astrée les Terriens s'organisent. En cas de besoin, ils pourront s'entraider, échanger des informations sur les lieux, le climat, et peut-être, c'est mon vœu le plus cher : adopter une attitude commune, une attitude digne, loyale vis-à-vis des indigènes, qui sont, ne l'oublions pas, les propriétaires des lieux. La mauvaise nouvelle n'en est pas une. C'est mon esprit qui est mal tourné. S'organiser c'est très bien. Mais quand les hommes s'organisent, l'expérience nous apprend que ce n'est pas au bénéfice de tous. La liberté nous a manqué sur Terre, et cela bien avant l'extension de l'Empire sur l'Asie. Je ne voudrais pas qu'au prétexte de rendre plus facile l'installation sur Astrée des immigrés que nous sommes, celle-ci fût arrangée, ordonnancée au prix, pour notre plus grand bien, de notre liberté. Et puis, ce Comité suprême, d'où vient-il, par qui a-t-il été élu ?

 

 19° jour : Je reprends mon journal où je l'avais laissé hier, interrompu que j'étais par l'arrivée de cette délégation du ...« Comité... »

 

 Je disais que nous avions maintenant une porte d'entrée qui ferme et une ouverture pouvant être occultée dans le chaume de la toiture. Nous ne savons rien des saisons dans cette région, s'il y en a seulement, des saisons. En cas d'hiver rigoureux, nous pourrons faire du feu sans être enfumés.

 

 La case d'à côté est occupée par un homme que je ne connais pas. Comme nous ne sommes bavards ni l'un ni l'autre, nous nous adressons un signe de tête le matin et le soir. Cheveux blancs en bataille, prognathisme prononcé, l'air plutôt rébarbatif, nous l'appelions (quand Jennifer me parlait encore) « Renfrogné d'à côté ».

 

  • - Dis, je suis passé à quelques centimètres de lui pour déposer le bois entre les cases, Renfrogné n'a même pas levé la tête pour me saluer. J'ai entendu un vague grognement. Peut-être vivait-il loin des hommes au fond d'une caverne au flanc d'une colline à cent lieues de Weimar?

 

  Trêve de plaisanterie, mon voisin est très habile de ses mains, il manie parfaitement la hache de pierre. Depuis quelques jours je me demandais ce qu'il fabriquait, les copeaux s'entassant devant sa case. Vu la découpe arrondie de la planche qu'il travaille sur ses genoux, je pensais qu'il façonnait un élément décoratif, une pièce de mobilier. Debout, à quelques mètres devant lui, je n'avais encore pas osé dire un mot. Devinant ma perplexité, il lève la tête. Un regard froid, des yeux bleu clair, transparents, perçants. Il esquisse un sourire.

 

  • - Une roue.

                                                               §

 

 

01/01/2010

L'ennemi n'est plus à nos portes. Il est entré.

 Ils sont légion les pourfendeurs du débat sur l'identité nationale. De gauche, de droite, du centre. Il n'y aura bientôt plus que l'extrême droite pour donner son avis sur la question. Quelle maladresse d'avoir présenté les choses ainsi ! Maladresse voulue ? On finit par s'interroger. Ou négligence, précipitation ? Bref, la question ne se pose pas ainsi. S'il s'agit de se demander : « Qu'est-ce qu'être français ? », et s'il faut « être fier d'être français », le débat risque de tourner court. En se limitant aux seules leçons d'histoire apprises à l'école : des fiers Gaulois, des chevaliers sans peur et sans reproche, de l'héroïne Jeanne bravant les lâches anglais, à la légende napoléonienne (la légende, pas la réalité), à Jean Moulin et de Gaulle, certes il y a de quoi garder la tête haute. Pour le reste, ce qu'on a appris par soi-même, les zones d'ombre, la tête on est parfois tenté de la rentrer dans les épaules. Ne nous y attardons pas, ce n'est pas le sujet.

 

 Mon grand-père était un immigré italien. Il a été bien accueilli en France. Il a fondé une famille. Il avait un travail. Il respectait les lois du pays d'accueil. Qu'il ait été italien n'a nullement nuit aux rapports avec ses concitoyens, je dirais bien au contraire, la présence d'étrangers à la langue, à la culture, aux traditions différentes peut contribuer à ouvrir les esprits des gens du cru. Peut contribuer. C'est une possibilité. Des Polonais, des Arméniens, des Portugais, des Espagnols, des Algériens sont venus dans notre pays sans que jamais l'identité nationale fût en danger. Si, elle le fut, quand les lois antisémites de l'Etat français ont livré aux nazis des gens qui contribuaient au moins autant que les autres à la prospérité de la nation, et pour qui la nationalité française n'avait jamais fait aucun doute (à ajouter dans la colonne « zone d'ombres »).

 

 Alors aujourd'hui, problème d'identité nationale ?

 

 Je crois surtout qu'il y a un problème avec la république.

 

 Voilà maintenant en gros trois cent ans que, au moins à l'échelle de l'Europe, les peuples se sont battus pour conquérir démocratie et liberté. Pas toujours victorieusement, avec des résultats parfois tardifs (le vote des femmes en France...), ces luttes ont payé, au prix d'immenses sacrifices, au prix de la Terreur, de révolutions et de guerres sanglantes, de grèves dures, de guerres civiles, des droits fondamentaux ont été acquis. Les monarchies de droit divin ont été abolies, les religieux ont été écartés du pouvoir, les écoles se sont ouvertes à tous les enfants, les femmes ont pu s'émanciper, le travail des enfants a été interdit... Et surtout, surtout, je parlais des écoles : ouvertes à tous, elles ont permis d'instruire, d'ouvrir les esprits, de développer l'intelligence, la conscience, la responsabilité.

 

 Oui, problème avec la république. Car ses représentants aujourd'hui, au pouvoir et dans l'opposition, ont oublié ce qu'ils ont appris. Ou alors feignent-ils l'amnésie ? Sont-ils doués d'une exceptionnelle faculté d'oubli ?

 

 Plus exactement, leur mémoire est sélective.

 

 Que la France fut la fille aînée de l'Eglise, cela n'échappe à la mémoire d'aucun de nos politiques. Les courbettes d'un président au Vatican, aux genoux d'un pape qui béatifie Pie XII et qui écoute complaisamment les élucubrations d'un évêque négationniste, cela ne révolte qu'une minorité de laïques.

 

 Qu'un maire de la capitale baptise Jean-Paul II une place de Paris, cela ne révolte que cette minorité de gens qui se souviennent... de la peu glorieuse béatification de prêtres franquistes espagnols, qui se souviennent de ces déclarations fracassantes condamnant l'usage du préservatif, alors que la maladie prolifère en Afrique et sur tous les continents.

 

 Que la maire d'une grande ville accepte sous la pression des représentants d'une religion primitive, de définir des heures séparées pour les deux sexes dans les piscines, cela n'offusque que la droite, et encore, parce que la magistrate est de gauche !

 

 Qu'il faille parlementer pendant des mois, créer une commission, engager des débats sur les radios et télés, laisser la parole à des illuminés, visiteurs venus de siècles où la femme n'existait pas encore, tout cela pour savoir si des êtres déguisés en Belphégor peuvent encore ou non circuler dans les rues, cela n'étonne pas grand monde, sauf peut-être ces femmes qui dans ces lointains pays théocratiques voudraient bien en finir une fois pour toutes avec l'obscurantisme et les ayatollahs.

 

 Que le maire d'un arrondissement de Paris tolère la présence dans l'espace public de centaines d'hommes en prière rituelle cinq fois par jour, cela doit révolter beaucoup de monde dans le quartier, mais chut, il faut se taire au risque d'être qualifié de raciste, alors qu'il s'agit d'une violation de la loi républicaine.

 

 Qu'on ne serve plus de jambon dans certaines cantines scolaires, que certaines boucheries ne servent plus que de la viande de bêtes abattues selon le rite musulman, que des livres mettant en cause la théorie de l'évolution soient distribués dans les CDI des collèges, que des religieux ou qui se proclament comme tels viennent mettre leur nez dans les programmes scolaires, qu'on construise des édifices religieux à tire-larigot, alors qu'on manque de logements...

 

 La réponse à ces agressions contre les lois de la république serait d'organiser un débat ? Ridicule. Je sens confusément qu'on va se mettre à genoux et que ça va tourner court. Réveillons-nous plutôt ! L'ennemi n'est plus à nos portes. Il est chez nous. Quand je dis « chez nous » (pour les gauchistes attardés) je n'entends ni chez les hommes blancs, ni chez les français de souche, j'entends plutôt que l'ennemi s'installe tranquillement et sans rencontrer de résistance dans les démocraties occidentales, qu'il fait son nid. Et j'entends surtout que l'ennemi n'a rien à voir avec une race ou une ethnie, si ce n'est celle des barbares de la pire espèce, les religieux fanatiques, qui sont de tous les pays et de toutes les époques.

 

 La république, ce sont des lois écrites. Appliquons-les.

 

§