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23/09/2009

Pour mémoire: les années 1940-41

 

 

 Les causes en sont diverses (nous nous efforçons sur ce blog de les déterminer) mais toute personne de bonne foi et qui ne se contente pas de s’informer aux journaux de 20 heures observe depuis quelques années une progression de l’antisémitisme, phénomène qui n’est pas –loin de là-  limité à la France. Mais nous sommes en France.

 Feuilletant un manuel d’histoire destiné aux élèves de troisième des collèges, je constate que deux pages sont consacrées à la vie des Français sous l’occupation, au régime de Vichy, aux mesures prises contre les juifs sur le sol français, à la spoliation de leurs biens, à leur déportation. Certes, nous faisons confiance aux professeurs, nous savons qu’ils n’hésitent pas à rétablir l’équilibre et à informer notre jeunesse sur l’idéologie, les hommes politiques, les acteurs, les tortionnaires sans lesquels la France n’aurait pu apporter sa contribution à la « solution finale » voulue par les nazis.

 Plus qu’aux analyses, aux longues explications, il est utile de s’en remettre aux textes, lois, décrets, ordonnances promulguées par les responsables de l’Etat français entre 1940 et 1944. C’est tout l’objectif de ce dossier limité pour l’instant aux années 40 et 41.

 

Sources :

 

-  Journaux officiels,

- La persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l’ouest présentée par la France à Nuremberg, recueil de documents publié sous la direction de Henri Monneray, substitut au Tribunal militaire international, Paris, 1947,

- Marrus et Paxton.- Vichy et les juifs, Calmann-Lévy 1981,

- Philippe Ganier Raymond.- Une certaine France, l’antisémitisme 40-44.

 

 

Le 3 octobre 1940

 

Nous, Maréchal de France,  chef de l’Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

 

Décrétons :

 

Article 1°. Est regardé comme juif, pour l’application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif.

 

Article 2. L’accès et l’exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après sont interdits aux juifs :

 

  1. Chef de l’Etat, membre du Gouvernement, Conseil d’Etat, conseil de l’ordre national de la Légion d’honneur, cour de cassation, cour des comptes, corps des mines, corps des ponts et chaussées, inspection générale des finances, cours d’appel, tribunaux de première instance, justices de paix, toutes juridictions d’ordre professionnel et toutes assemblées issues de l’élection.
  2. Agents relevant du département des affaires étrangères, secrétaires généraux des départements ministériels, directeurs généraux, directeurs des administrations centrales des ministères, préfets, sous-préfets, secrétaires généraux des préfectures, inspecteurs généraux des services administratifs, au ministère de l’intérieur, fonctionnaires de tous grades attachés à tous services de police.
  3. Résidents généraux, gouverneurs généraux, gouverneurs et secrétaires généraux des colonies, inspecteurs des colonies.
  4. Membres des corps enseignants.
  5. Officiers des armées de terre, de mer et de l’air.
  6. Administrateurs, directeurs, secrétaires généraux dans les entreprises bénéficiaires de concessions ou de subventions accordées par une collectivité publique, postes à la nomination du gouvernement dans les entreprises d’intérêt général.

 

Article 3. L’accès et l’exercice de toutes les fonctions publiques autres que celles énumérées à l’article 2 ne sont ouverts aux juifs que s’ils peuvent exciper de l’une des conditions suivantes :

a/ être titulaire de la carte de combattant 1914-1918 ou avoir été cité au cours de la campagne 1914-1918 ;

b/ avoir été cité à l’ordre du jour au cours de la campagne 1939-1940 ;

c/ être décoré de la Légion d’honneur à titre militaire ou de la médaille militaire;

 

Article 4. L’accès et l’exercice des professions libérales, des professions libres, des fonctions dévolues aux officiers ministériels et à tous auxiliaires de la justice sont permis aux juifs, à moins que des règlements d’administration publique n’aient fixé pour eux une proportion déterminée ? Dans ce cas, les mêmes règlements détermineront les conditions dans lesquelles aura lieu l’élimination des juifs en surnombre.

 

Article 5. Les juifs ne pourront, sans condition ni réserve, exercer l’une quelconque des professions suivantes :

Directeurs, gérants, rédacteurs de journaux, revues agences ou périodiques, à l’exception de publications de caractère strictement scientifique.

Directeurs, administrateurs, gérants d’entreprises ayant pour objet la fabrication, l’impression, la distribution, la présentation de films cinématographiques ; metteurs en scène et directeurs de prises de vues, compositeurs de scénarios, directeurs, administrateurs, gérants de salles de théâtres ou de cinématographie, entrepreneurs de spectacles, directeurs, administrateurs, gérants de toutes entreprises se rapportant à la radiodiffusion.

 Des règlements d’administration publique fixeront, pour chaque catégorie, les conditions dans lesquelles les autorités publiques pourront s’assurer du respect, par les intéressés des interdictions prononcées au présent article, ainsi que les sanctions attachées à ces interdictions.

 

Article 6. En aucun cas les juifs ne peuvent faire partie des organismes chargés de représenter les progressions visées aux articles 4 et 5 de la présente loi ou d’en assurer la discipline.

 

Article 7. Les fonctionnaires juifs visés aux articles 2 et 3 cesseront d’exercer leurs fonctions dans les deux mois qui suivront la promulgation de la présente loi. Ils seront admis à faire valoir leurs droits à la retraite s’ils remplissent les conditions de durée de service ; à une retraite proportionnelle s’ils ont au moins quinze ans de service ; ceux ne pouvant exciper d’aucune de ces conditions recevront leur traitement pendant une durée qui sera fixée, pour chaque catégorie, par un règlement d’administration publique.

 

Article 8. Par décret individuel pris en conseil d’Etat et dûment motivé, les juifs qui, dans les domaines littéraire, scientifique, artistique, ont rendu des services exceptionnels à l’Etat français, pourront être relevés des interdictions prévues par la présente loi.

 Ces décrets et les motifs qui les justifient seront publiés au Journal officiel.

 

Article 9. La présente loi est applicable à l’Algérie, aux colonies, pays de protectorat et territoires sous mandat.

 

Article 10. Le présent acte sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’Etat.

 

Fait à Vichy, le 3 octobre 1940

 

Ph. Pétain

 

Par le Maréchal de France, chef de l’Etat français :

 

Le vice-président du conseil,

Pierre Laval.

 

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice,

Le ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur,

Le ministre secrétaire d’Etat aux affaires étrangères,

Le ministre secrétaire d’Etat à la guerre,

Le ministre secrétaire d’Etat aux finances,

Le ministre secrétaire d’Etat à la marine,

Le ministre secrétaire d’Etat à la production industrielle et au travail,

Le ministre secrétaire d’Etat à l’agriculture…

§

 

 Le 4 octobre 1940

 

Nous, Maréchal de France,  chef de l’Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

 

Décrétons :

 

Article 1°. Les ressortissants étrangers de race juive pourront, à dater de la promulgation de la présente loi, être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence.

 

Article 2. Il est constitué auprès du ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur une commission chargée de l’organisation et de l’administration de ces camps.

 Cette commission comprend :

 Un inspecteur général des services administratifs ;

 Le directeur de la police du territoire et des étrangers ou son représentant ;

 Un représentant du ministère des finances.

 

Article 3. Les ressortissants étrangers de race juive pourront en tout temps se voir assigner une résidence forcée par le préfet du département de leur résidence.

 

Article 4. Le présent décret sera piblié au Journal officiel pour être observé comme loi de l’Etat.

 

Fait à Vichy, le 4 octobre 1940.

 

Ph. Pétain.

 

Par le Maréchal de France, chef de l’Etat français :

Le ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur,

Le ministre secrétaire d’Etat aux finances,

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice…

 

§

 

Loi du 07 octobre 1940 :

 

(…)

2. Les droits politiques des Juifs indigènes d’Algérie sont réglés par les textes qui fixent les droits des musulmans algériens.

 

3. Les droits civils réels et personnels des Juifs indigènes restent réglés par la loi française.

 

4. Les Juifs indigènes d’Algérie ayant obtenu le Légion d’honneur à titre militaire, la Crois de guerre ou la Médaille militaire conservent le statut politique français.

 

 

Loi du 29 mars 1941 :

 

Il est créé pour l’ensemble du Territoire national un Commissariat général aux Questions juives :

 

Celui-ci :

1. Prépare et propose au Chef de l’Etat toutes mesures législatives relatives à l’état des Juifs.

2. Fixe la date de la liquidation des biens juifs.

3. Désigne les Administrateurs-sequestres.

4. Le Commissaire général est désigné par le ministre d’Etat chargé de la vice-présidence du Conseil.

 

Loi du 19 mai 1941 :

 

Le Commissariat général aux Questions juives peut provoquer à l’égard des Juifs toutes mesures de police commandées par l’intérêt national.

 

Loi du 02 juin 1941 prescrivant le recensement des Juifs:

 

Nous, Maréchal de France,  chef de l’Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

 

Décrétons :

 

Article 1°.  Toutes personnes qui sont juives au regard de la loi du 2 juin 1941 portant statut des Juifs doivent, dans le délai d’un mois à compter de la publication de la présente loi, remettre au préfet du département ou au sous-préfet de l’arrondissement dans lequel elles ont leur domicile ou leur résidence, une déclaration écrite indiquant qu’elles sont juives au regard de la loi, et mentionnant leur état civil, leur situation de famille, leur profession et l’état de leurs biens.

 La déclaration est faite par le mari pour la femme, et par le représentant légal pour le mineur ou l’interdit.

 

Article 2. Toute infraction aux dispositions de l’article premier est punie d’un emprisonnement de un mois à un an et d’une amende de 100 à 10000F, ou de l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice du droit pour le préfet de prononcer l’internement dans un camp spécial, même si l’intéressé est Français.

 

Article 3.  Des dispositions particulières fixeront les conditions dans lesquelles la présente loi sera appliquée en Algérie, dans les colonies, dans les pays de protectorat, en Syrie et au Liban.

 

Article 4.  Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’Etat.

 

Fait à Vichy le 2 juin 1941.

 

Ph. Pétain.

 

Par le Maréchal de France, chef de l’Etat français :

 

L’amiral de la flotte,

vice-président du conseil,

ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur,

Amiral Darlan.

 

(Journal officiel, 14 juin 1941, p.2476)

 

 

Loi du 23 juin 1941

 

Le nombre des étudiants juifs admis à s’inscrire dans les établissements d’enseignement supérieur ne peut excéder 3% des étudiants non Juifs.

 Sont inscrits en priorité :

-         les orphelins des militaires morts pour la France

-         les décorés

-         les titulaires de la carte de combattant

-         les fils ou filles de décorés

-         les postulants issus de familles nombreuses et particulièrement méritants.

 

Décret du 16 juillet 1941

 

 Réglementation en ce qui concerne les Juifs de la profession d’avocat.

 Les avocats ne peuvent dépasser 2% de l’effectif total des avocats non Juifs inscrits.

 

§

 

 

Loi du 22 juillet 1941

relative aux entreprises, biens et valeurs appartenant aux Juifs :

 

Nous, Maréchal de France,  chef de l’Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

 

Décrétons :

 

Article 1°. En vue d’éliminer toute influence juive dans l’économie nationale, le commissaire général aux questions juives peut nommer un administrateur provisoire à :

 

1/  Toute entreprise industrielle, commerciale, immobilière ou artisanale ;

 

2/  Tout immeuble, droit immobilier ou droit au bail quelconque ;

 

3/ Tout bien meuble, valeur mobilière ou droit mobilier quelconque, lorsque ceux à qui ils appartiennent, ou qui les dirigent, ou certains d’entre eux sont Juifs.

 

 Toutefois ces dispositions ne s’appliquent pas aux valeurs émises par l’Etat français et aux obligations émises par les sociétés ou collectivités publiques françaises,

 Et, sauf exception motivée,

 Aux immeubles ou locaux servant à l’habitation personnelle des intéressés, de leurs ascendants ou descendants, ni aux meubles meublants qui garnissent lesdits immeubles ou locaux.

 

[Suivent les dispositions concernant les rôles et pouvoirs des administrateurs provisoires, publiées au Journal officiel du 26 août 1941, p.3594]

 

 

Décret du 11 août 1941

 

 Réglementation en ce qui concerne les Juifs de la profession de médecin.

 

 Les médecins ne peuvent dépasser 2% de l’effectif total des médecins inscrits.

 

Loi du 1° septembre 1941

 

Portant modification de la loi du 29 mars 1941

Créant un Commissariat général aux Questions juives.

(Journal officiel du 2 septembre 1941)

 

Article 1°. Les articles 1 et 3 de la loi du 29 mars 1941 créant un Commissariat général aux Questions juives sont abrogés et remplacés par les dispositions suivantes :

 

 « Art. 1°. Il est créé pour l’ensemble du territoire national un Commissariat général aux Questions juives, rattaché au secrétariat d’Etat à l’intérieur. »

« Art. 3. Le commissaire général est nommé par arrêté du vice-président du Conseil et du secrétaire d’Etat à l’intérieur. »

 

Article 2. Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’Etat.

 

 

Loi du 29 novembre 1941

 

Instituant une Union Générale des Israélites de France.

 

  1. Il est institué auprès du Commissaire général aux Questions juives une Union Générale des Israélites de France.

Cette Union a pour objet d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics.

 

  1. Tous les Juifs sont obligatoirement affiliés à l’U.G.I.F.

Toutes les associations juives existantes sont dissoutes à l’exception des associations culturelles.

 

  1. Les ressources de l’U.G.I.F.

a)      les sommes récupérées par le Commissariat aux Questions juives

b)      les biens des associations juives dissoutes

c)      les cotisations versées par les Juifs selon leur fortune.

 

  1. l’U.G.I.F est administrée par 18 Juifs de nationalité française et désignées par le Commissariat général aux Questions juives.

 

  1. Les délibérations du conseil peuvent être annulées par arrêté du Commissaire général aux Questions juives.

 

Le présent décret est exécuté comme moi de l’Etat.

 

 

Ordonnance du 17 décembre 1941

 

Concernant une amende imposée aux Juifs.

 

L’amende d’1 milliard de francs imposée aux Juifs de zone occupée par avis du « Militarbefehlshaber in Frankreich » du 14 décembre 1941, doit être répartie sur les biens juifs par l’intermédiaire de l’Union Générale des Israélites de France.

 

 

Loi du 19 décembre 1941

 

Conditions d’admission des étudiants juifs dans les établissements d’enseignement supérieur.

 

 Par dérogation, le postulant est admis à s’inscrire ou à suivre les cours si sa famille est établie en France depuis au moins 5 générations et a rendu à l’Etat français des services exceptionnels.

 

 

§

 

 

 

cliché Annick PournyDSC00865.JPG

30/04/2009

Ilan pour mémoire

 

 Dans « Actualités Orange », un article sur l’ouverture du procès de Youssouf Fofana et des vingt-six autres accusés pour séquestration, torture et meurtre de Ilan Halimi :

 

 « Dans la salle des pas perdus, une petite trentaine de très jeunes juifs insultent des personnes qu'ils supposent être des proches des accusés. Quand la mère de Fofana sort de la salle, ils la poursuivent et la huent, débordant les forces de l'ordre. A l'extérieur du palais, un petit groupe hurle "Justice pour Ilan" ou "Fofana salaud". »

 

Pourquoi dire « de très jeunes juifs insultent... » ? Dire « des gens », « des jeunes » ou « de très jeunes gens » aurait été suffisant pour faire comprendre au lecteur que ces insultes étaient de trop. Résultat dans les commentaires, un lecteur qui semble de bonne foi admet que le principal accusé :

 

« …est un malade, mais (que) les juifs qui ont insulté les parents ne valent pas mieux… »

 

Passons sur la comparaison audacieuse entre des insultes d’une part et la mort d’un homme suite à une longue séquestration et des tortures, d’autre part. Là n’est pas mon propos aujourd’hui.

 

Pour le reste, cet internaute a bien raison quand il ajoute :

 

« …quand aux médias, continuez comme ça et vous ne ferez que mettre de l’huile sur le feu de l’antisémitisme »

 

§

 

A la radio, maintenant, sur le même sujet, la commentatrice présente Fofana, un homme obsédé par l’argent : « …de là… »  DIT-ELLE, son idée de s’en prendre à un juif !  Attention, c’est une journaliste professionnelle qui parle, ce n’est pas Fofana ! Elle nous dit : argent… de là…juif !

 

 La boucle est bouclée, tout le monde le sait, pas seulement Fofana et sa bande : les juifs sont riches. C’est logique que ces barbares s’en soient pris à un juif, puisque ces gens-là sont riches…

 

 Un poncif vieux comme le monde, auquel des Barbares historiques avaient ajouté le nez crochu, les griffes, le gros ventre, l’air sournois, et pourquoi pas le germe de  la peste noire. Et cela est dit sur un ton bon enfant à une heure de grande écoute (le matin à 8 heures).

 

 Il y a un débat chaque jour vers midi. A ma connaissance, aucun auditeur n’a relevé ce dérapage. Mais est-ce vraiment un dérapage ? Je commence à en douter dans ce pays où les criminels ont plus que les victimes droit à la parole, où l’antisémitisme est de plus en plus considéré comme une idée absurde et malvenue, alors que c’est un délit.

 

§

 

 

 

26/04/2009

Prétextes

 

 

« Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien..." 

 

Je sais qui a tenu ces propos, là n’est pas la question, ils sont à la portée de tous sur les écrans, ils peuvent faire la joie des imbéciles, ils doivent indigner les autres. En tous cas, ils font réfléchir. Car la question a été mise à l’ordre du jour il y a mille ans et plus, bien avant le déclenchement du conflit au Proche-Orient.

 

 En gros et pour faire court : tous les prétextes (1) sont bons pour faire du juif le responsable de tous les malheurs du monde. Accusé de tout et de son contraire : propagateur de la peste noire (2), usurier, détenteur du capital, apôtre du communisme, responsable du chômage, dissimulateur, errant, il est nulle part et partout, cosmopolite, comploteur (3), il porte un nom bizarre en tous cas pas de chez nous. C’est en Allemagne dans les années trente qu’il fut le plus représenté. Je veux dire en images, avec un nez crochu, des griffes au bout des doigts qui enserraient le monde. C’étaient des caricatures bien sûr, qui curieusement, à l’époque n’ont pas indigné grand monde. Le personnage a rendu bien des services à plein de gens : aux dirigeants et actionnaires des groupes industriels, surtout ceux qui produisaient le matériel de guerre,  producteurs aussi de fil de fer barbelé et de produits chimiques, aux politiciens d’alors qui s’appelaient « nationaux-socialistes » et qui avaient à cœur de rendre leur patrie aux âmes bien nées, aux gens du terroir, aux gens du cru (4). Bref, si le juif n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. C’est d’ailleurs ce qui a été fait : des millions de gens, d’enfants surtout, ont appris qu’ils étaient juifs. Des gens qui n’avaient jamais posé le pied dans une synagogue apprenaient qu’ils étaient juifs. Des gens qui ne savaient pas ce que c’était apprenaient qu’ils l’étaient. Les autorités d’alors se montrèrent sur ce sujet extrêmement minutieuses, jusqu’à effectuer des recherches généalogiques compliquées. Quand je dis « les autorités », j’entends des deux côtés du Rhin. Voyez, on critique toujours la nonchalance des Français en montrant l’exemple allemand, sa rigueur, son goût pour l’ordre et les choses bien faites, eh bien le « Made in France » existe aussi, du moins il existait dans les années quarante.

 

 Mais revenons à l’Allemagne : j’éprouve le plus grand respect pour les survivants du génocide et les parents des victimes du nazisme qui n’éprouvent aucun ressentiment vis-à-vis de l’Allemagne et de ses ressortissants. Ces gens ont su, malgré leur souffrance, ne pas confondre des criminels –même s’ils étaient des millions- avec un peuple tout entier, ils ont su ne pas joindre leur voix à ces exhortations xénophobes du style « à chacun son boche » proférées bien souvent par des résistants de la dernière heure. Ces hommes qui ont froidement planifié la mort de six millions de personnes, qui ont brûlé des villages, répandu la mort sur un continent, ces hommes n’étaient pas LES Allemands. Et s’il n’y avait eu dans ce pays qu’un innocent, on ne pourrait encore pas dire LES Allemands. En fait, il y en eut plus d’un, et des résistants, de grands résistants. Buchenwald a vu torturer et mourir un militant, dirigeant du parti communiste allemand, spécialiste en électronique, et qui a collaboré à la construction des engins V2, mettant au point un système qui les rendait inefficace et les détournait de leur objectif : Londres. C’est lui aussi qui fit parvenir aux Alliés le plan de situation de l’usine d’armement sise à proximité du camp de Buchenwald, et qui permit son bombardement. Il s’appelait Albert Kuntz. Ce même camp, comme celui de Dachau, avait été construit depuis le début des années trente par des esclaves allemands, des opposants au régime nazi, des sociaux-démocrates, des communistes, des démocrates, des syndicalistes.

 Juger les Allemands ? Les peuples ne sont responsables de rien. La responsabilité est toujours individuelle, parce que les hommes sont faits ainsi : ils sont libres. Libres de dire oui, de dire non, et cela n’a rien à voir avec leurs gênes, leur origine, ni les ancêtres de leurs ancêtres.

 

J’ai donc lu cette phrase :

 

« Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien... » 

 

Imaginons le pire. Un Israël super-puissant, sur-armé, à la conquête d’un espace vital sans limites. Une guerre éclair préparée de longue date, des centaines de milliers de chars de Tsahal sur-équipée roulent sur l’Orient. Liban, Syrie, Jordanie, Irak, Iran sont laminés. L’Egypte se rend. En véritables renards du désert, les stratèges israéliens traversent la Libye, et ne rencontrent que peu de résistance sur la longue route du Maghreb dont les gouvernements sont en exil. Cap sur l’Europe : bombardements intensifs des sites stratégiques, l’aviation israélienne est maîtresse du ciel. Les troupes suivent. Petite résistance en Italie au Mont Cassino vite neutralisée. Pour éviter les Alpes (les Français plus malins que les autres ont bouché les tunnels de Fréjus et du Mont Blanc), Tsahal prépare un débarquement gigantesque sur les plages du Midi. Le Haut-commandement français n’est pas pris au dépourvu : des obstacles de toutes sortes sont disposés sur le sable : tétraèdres anti-chars, pieux sur lesquels sont disposées des mines –dits pieux Alliot-Marie- et sur la corniche, des batteries et canons à longue portée. C’est sans compter sur la puissance de feu des destroyers israéliens. En quelques heures, la mer Méditerranée est noire de navires, sans compter les sous-marins. Les défenses françaises sont dépassées. Par milliers, les barges d’attaque déchargent des milliers de soldats, des half-tracks, des chars d’assaut, des canons et tout un matériel nécessaire à l’occupation d’un pays, que dis-je d’un continent ! En quelques jours, la France est sous la botte. Un exode massif vers le nord s’avère bien vite inutile. Tsahal est plus rapide, et ses avions n’hésitent pas à mitrailler ces colonnes de pauvres gens qui ont tout laissé et s’épuisent sur les routes. Et ce qui devait arriver arrive. Un beau matin, les parisiens ébahis sont réveillés par des bruits de chenilles métalliques puis le choc de bottes sur le pavé : les loups sont entrés dans Paris et l’étoile de David flotte sur la Tour Eiffel.

 

 Si ce cauchemar devenait réalité, si l’armée israélienne se rendait maîtresse de la France, de l’Europe et du monde -vous avouerez que c’est quand même autre chose qu’une offensive sur la bande de Gaza- aurait-on le droit de souhaiter –comme on a pu l’entendre dans les rues de Paris il y a quelques mois- la destruction de l’état d’Israël ? 

 

 La folie meurtrière d’un gouvernement nous autoriserait-elle à maudire un peuple ?

 

 Vouloir que chaque israélien vive dans la peur ? Y aurait-il un cas pour lequel la haine d’un innocent deviendrait légitime ?

 

 Je doute que celui qui haït à ce point un peuple puisse en aimer un autre, fut-il Palestinien.

 

 Quand à vouloir que chaque juif vive dans la peur, celui qui a dit cela ne le pensait pas, si c’est un homme.

 

§

 

 

 

(1) fausses raisons mises en avant ;

 

(2) Léon Poliakov cite Boccace : « Privés des secours du médecin, sans l’aide d’aucun domestique, les pauvres et malheureux cultivateurs périssaient avec leurs familles le jour, la nuit, dans leurs fermes, dans leurs chaumières isolées, dans les chemins et jusque dans leurs champs… » 

 De 1347 à 1350 la peste noire faucha plus d’un tiers de la population de l’Europe.

 Les esprits s’interrogeaient, pourquoi ce fléau ?

« Il s’agissait soit d’un châtiment divin, soit des maléfices de Satan, soit de l’un et des autres à la fois, Dieu ayant donné licence entière à son antagoniste pour châtier la Chrétienté. Satan, dans ces conditions, opérait suivant son habitude à l’aide d’agents qui polluaient les eaux et empoisonnaient les airs, et où pouvait-il les recruter sinon au sein de la lie de l’humanité, parmi les miséreux de toute espèce, les lépreux –et surtout parmi les juifs, peuple de Dieu et peuple du Diable à la fois ? Les voici promus, à grand échelle, à leur rôle de boucs émissaires… » (Poliakov)

 S’ensuivirent expulsions, pillages, massacres, à tel point écrit l’auteur, que dans certaines villes où les juifs étaient rares ou absents, « des chrétiens qu’on supposait d’origine juive furent, semble-t-il, massacrés à leur place. »

 

(Léon Poliakov .-Histoire de l’antisémitisme, tome 1, L’âge de la foi, éd. Calmann-Lévy, 1981, pp. 290-294 de la coll. Pluriel)

 

(3) le thème du « complot juif mondial » n’en est pas resté aux traditionnels Protocoles des Sages de Sion :

« La désastreuse puissance du sionisme juif ne vise pas seulement l’occupation de la Palestine, mais occupe en fait tous les pays de l’Occident, l’économie mondiale, les médias et les organisations internationales et régionales. Il est possible que les sionistes entreprennent de judaïser le christianisme. Cette judaïsation a commencé avec Saint-Paul et s’est poursuivie avec certains papes judaïsés. Aujourd’hui nous sommes arrivés à une situation où le chef de l’Eglise de France est un juif appelé Lustiger. »

 

(Ahmed Rami, in Al-Shaab du 6 février 1998, cité par Goetz Nordbruch .-La négation de la Shoah dans les pays arabes, in Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman : la dérive)

 

(4) Brassens : La ballade des gens qui sont nés quelque part ;