12/03/2019
Etre bourgeois...
...c’était posséder des biens, ne rien faire de ses mains et tirer profit du travail de l’ouvrier. En gros, le bourgeois était celui qui accumulait un capital en exploitant le travail, d’où le terme plus précis de « capitaliste ».
Ce dernier existe encore et s’est même enrichi. Il ne fait toujours rien de ses mains, mais survole en classe affaire les cinq continents, manageant de son fauteuil d’immenses entreprises qui produisent tout ce que le cerveau humain est capable de concevoir, pour le meilleur et pour le pire. Le capitaliste d’aujourd’hui accumule un capital sans jamais devoir un jour manipuler une machine ni même mettre le pied dans une usine. Il est hors de portée, parfois même anonyme. Et gare à celui qui –plus téméraire que les autres- oserait passer en revue ses outils de production, revêtant le temps d’une visite le bleu des ouvriers et leur parlant en camarade. Ça ne prend plus. Et quand survient le jour des mauvaises nouvelles à annoncer, il pourrait bien prolonger sa visite barricadé dans un bureau, gardé par trois molosses de la tendance dure jusqu’à satisfaction des revendications.
A l’instar de l’ouvrière, la classe bourgeoise s’est métamorphosée. On peut être bourgeois sans atelier, sans usine et même sans bureau, sans outil de production ni salarié. Je me demande même s’il n’y a pas ici ou là quelque bourgeois sans le sou. La bourgeoisie n’est pas nécessairement associée à la possession d’un capital, elle est un état d’esprit, une manière d’être. Son origine il faut la chercher dans ce qu’on appelait autrefois l’aristocratie ouvrière, les cols blancs. Si nombre de travailleurs ont été maintenus dans une condition prolétarienne ou pire, rejetés hors du système de production, la majorité d’entre eux s’est enrichie. Suite aux révolutions technologiques, aux lois sociales, aux conquêtes syndicales, la classe ouvrière a changé, nombreux sont les travailleurs qui épargnent, accumulent même parfois un capital, investissent dans une maison, des automobiles, et mènent un train de vie qui aurait été inimaginable il y a un siècle. « Embourgeoisement » est un mot inélégant, péjoratif, presque une insulte, mais qui permet de mieux cerner la personnalité du bourgeois, son état d’esprit, en mettant le doigt là où ça fait mal : sur son origine. Le bourgeois, c’est celui qui ne l’était pas avant, qui est parvenu à un certain statut social, plus confortable, qui possède quelques biens, qui ne travaille plus de ses mains, croyant en des valeurs morales compatibles avec une vie rangée, méfiant vis-à-vis de tout ce qui pourrait bouleverser l’ordre établi. Cette méfiance s’associe chez lui à une certaine lucidité : il ne voit pas le monde à travers les lunettes toujours trompeuses d’une idéologie. Sa lutte finale à lui, c’est l’assurance que son patrimoine sera sauvegardé, si possible augmenté. En politique, s’il réprouve les extrêmes, l’intolérance et le terrorisme, c’est toujours à demi-mot, en catimini et dans des cercles restreints. Chez lui pas de manifeste, pas de revendications, pas de slogan à inscrire sur calicot. On ne verra jamais le bourgeois défiler en hurlant :
« Pour la suppression des impôts sur la fortune ! »
« Préservons les inégalités sociales ! »
« Vive la société capitaliste ! »
Ce sont des choses qui ne se disent pas, qui se crient encore moins. Le conservatisme n’est pas un programme, encore moins une fin. Et c’est là toute la force des idées qui, à l’autre bout de l’éventail politique, appellent au changement. En refusant le statut quo elles séduisent, s’expriment, se crient, se développent et mobilisent. La tentation est grande de se ranger du côté de ceux qui promettent le renouveau. Et si le bourgeois est conservateur dans l’âme, il se permet parfois quelque dérapage. Il brave la tradition en prenant -soit par amusement, soit pour se donner bonne conscience- des airs rebelles. Il y a aujourd’hui figurez-vous, des bourgeois de gauche. Ils s’indignent de tout ce qui ressemble à des idées, des postures ou des instances réactionnaires : le racisme, le machisme, l’homophobie, le tout sécuritaire, l’armée, la police, les multinationales, l’impérialisme américain, Eurodisney, l’OTAN, le sionisme, les chaînes d’information privées pour « grand public », ils s’en sont même pris à « Harry Potter »…avant de reconnaître que les enfants des écoles, passionnés par le thème de la magie se mettaient à lire.
Il y a une chose dont ils ne s’indignent pas : c’est l’incompatibilité entre leur soif affichée de justice et… leur statut social. Qu’un ouvrier se laisse entraîner vers l’idéal communiste, on peut le regretter, mais il n’y a rien à reprocher à une personne dont la situation justifie qu’elle souhaite un partage des richesses. Mais qu’une autre qui dispose de tout, qui habite un quartier tranquille et dispose d’une retraite confortable vienne reprocher à quelqu’un qui n’a rien de tout cela de n’être pas insensible aux sirènes des extrêmes, ou tienne à qui veut l’entendre un discours social, là il y a quelque chose d’insupportable. Bref, parce que je me méfie de tout ce qui est contre nature, le bourgeois je le préfère de droite.
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14:56 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bourgeois, capitalisme, gauche, droite
23/02/2019
Le poids du passé
Nul besoin d’être parent, encore moins enseignant pour mesurer les difficultés de l’apprentissage. Expliquer, développer, répéter, surprendre, intéresser, tous les moyens sont bons pour amener l’enfant à la connaissance, pour faire de lui une personne accomplie. Il n’y a pas une méthode, mais des milliers de façons de faire. Il n’y a qu’à voir la succession des réformes de l’éducation, toutes plus prometteuses les unes que les autres, et puis condamnées, quand elles ne sont pas prohibées suite à un changement de ministre.
Une chose certaine : à part quelques parents irresponsables ici ou là, tout le monde s’intéresse aux enfants. Avec parfois des idées inavouables derrière la tête d’obscurantistes de passage, les croyances et les dogmes sont toujours vivaces et ceux qui les colportent savent que c’est depuis le plus jeune âge que le bourrage de crâne est le plus efficace. Mais ce dernier n’est pas nécessairement le fait d’institutions malveillantes.
Je remarque chez certaines personnes qui ont suivi des études, qu’on pourrait dire éclairées une tendance –parfois inconsciente- à revenir en arrière, là où leurs parents les avaient laissées. Comme s’il restait un lien, un cordon insécable avec les idées, les « façons de voir les choses » du foyer familial dans lequel elles ont appris à vivre et à penser. Certes, pour certains le retour en arrière est salutaire, quand l’éducation, les bons principes, avaient été transmis. Il y a heureusement parfois un moment pour reconnaître ses erreurs et se souvenir des bons conseils d’un père ou d’une mère.
Mais il arrive qu’en dépit de la volonté d’assurer la bonne éducation à leurs enfants, des parents sans le savoir, sans le vouloir, dirigent ceux-ci dans une mauvaise direction. Ce n’est pas une question d’opinion : il y a des gens aux idées très arrêtées, et qui s’abstiennent d’infliger celles-ci aux petits dont ils ont la charge. D’autres n’ont pas ces scrupules et appliquent aux enfants ce qu’on leur a inculqué à eux-mêmes, comme si l’éducation pouvait se transmettre de génération en génération tels le bâton de relais passé entre les mains des coureurs. L’accumulation de pratiques, d’habitudes et de connaissances ne tient pas lieu d’éducation. Si un enfant n’est pas placé dans une situation où il peut questionner les adultes, et peu à peu s’interroger lui-même, comment pourra-t-il un jour : penser ?
Je suis infiniment reconnaissant à mes parents d’avoir en toute occasion émis des réserves sur les idées toutes faites, les opinions tranchées, aussi il faut le dire sur les dogmes politiques et religieux. Chez eux on ignorait les systèmes en …isme qui finissent en prières, en mensonges, en défilés pour finir en violence. Il y eut des éclats, quand c’est moi-même qui, adolescent, voulait tout renverser. Maintenant je sais qu’ils avaient raison. Ils m’ont laissé libre. Et si je regarde en arrière, je dois à ma mère et à mon père de m’avoir éduqué pour le mieux, en préservant dans tous les cas pour moi la possibilité du libre-arbitre.
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11:59 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : enfance, éducation, influence
17/02/2019
Paris, 16 février 2019
Je me rappelle une phrase entendue il y a quelques années :
« Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien...".
L’agression dont a été victime Alain Finkielkraut (1), insultes hurlées et gestes menaçants confirment non seulement la persistance, mais aussi la profondeur du mal. L’allusion à la Palestine, à Israël nous rappelle que le conflit du Proche-orient n’est qu’un prétexte et que le fond de l’idée est que la place des juifs est à Tel-Aviv, qu’ils doivent donc quitter le pays. C’était dit, hier.
L’allusion à la Palestine montre d’où viennent ces hurleurs de rue : des rangs extrêmes. De droite, on se rappelle le fameux discours du dirigeant historique du Front national « L’éléphant et le moustique » (L’éléphant : Israël, le moustique : la Palestine). De l’extrême gauche aussi qui, contrairement à toutes les formations politiques, n’a pas eu un mot pour condamner le caractère antisémite de l’agression. A leur décharge, je dirais qu’il faut les comprendre ces révolutionnaires : la classe ouvrière les ignore, il ne leur reste que les banlieues pour faire élire quelques députés, banlieues où pourtant les voitures qui brûlent sont celles du peuple, où les professeurs sont parfois contraints d’adapter leur cours de sciences ou d’histoire à un public déjà formaté, sous l’influence de religieux et de réseaux sociaux qui ont réponse à tout, quartiers que les personnes de confession juive sont amenés à fuir. Mais tout cela il faut le taire, violence et misère sont la conséquence du méchant capitalisme, point à la ligne, et caresser une jeunesse en perdition –même si on ne lui propose rien d’autre que des porte-parole sur les plateaux de télévision- ça rapporte des voix.
Mais il y a autre chose. Ce n’est plus vraiment de la politique. Beaucoup plus grave. Des actes antisémites, il y en eut, il y en a, ici en France, mais cette fois et c’est la deuxième (2) : l’agression d’Alain Finkielkraut eut lieu PENDANT la manifestation des « gilets jaunes ». PENDANT. Il y avait donc du monde. Avez-vous vu les images ? Les personnes, les seules qui ont réagi en protégeant le philosophe, ce sont les policiers. Sinon rien. RIEN. Les « gilets jaunes » ? RIEN. D’autres, passants ? RIEN.
C’était comme si la France regardait. Jusqu’à quand la France regardera-t-elle ? Pour que le pire survienne, il suffit que les gens de bien se taisent.
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(1) Philosophe, auteur entre autres de « La défaite de la pensée » et de « L’identité malheureuse », œuvres récentes qui permettent de mieux comprendre ce qui dérange les esprits étroits.
(2) La première fois, quand Alain Finkielkraut fut expulsé d’un rassemblement intitulé « Nuit debout » place de la République.
13:44 Publié dans Colère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antisémitisme, alain finkielkraut