03/04/2020
Virus terrible
- Un philosophe avait dit que les hommes n’avaient jamais été aussi libres que sous la dictature.
- Il aimait les paradoxes !
- Il voulait dire que la vraie liberté est intérieure. Elle n’a rien à voir avec la libre circulation dans les rues, la liberté de réunion, d’association, de la presse, toutes libertés qui sont nécessaires certes, mais ne suffisent pas à faire de nous des êtres libres. Avait-il remarqué, ce philosophe, que des personnes qui jouissaient de la liberté d’aller et venir étaient en fait assujetties au pouvoir ? Que d’autres étaient montrées du doigt, ridiculisées, ou pire, persécutées, internées pour avoir agi selon leur libre-arbitre ?
- Quand tu dis « assujettis au pouvoir », penses-tu au pouvoir politique ?
- Il peut s’agir aussi de religion, de la pensée dominante, du dogme établi, de tout système qui fait de chaque personne un élément d’un tout, comme une pièce de puzzle. Quand une pièce ne s’intègre pas…malheur à elle ! Je fais ce détour qui permet de mieux comprendre ce qui est arrivé à des amis. Je disais que la liberté était intérieure. L’enfermement aussi. Un vrai quartier d’isolement qui n’a nul besoin de barreaux, de murs, de rats ni de sévices. Un cachot tout noir, minuit dans le siècle, l’obscurantisme. Si certains de nos contemporains furent un jour prisonniers, ce fut d’eux-mêmes.
- Comment cela fut-il possible ?
- Ils avaient été contaminés par Krokoukas.
- Qui est-ce ?
- Le Moloch des temps modernes. Krokoukas dévore de l’intérieur. C’est le plus terrible des virus. Il est à l’origine de troubles du comportement pouvant aller jusqu’à l’hystérie… et comme il est contagieux, il s’attaque au corps social, provoquant l’hystérie collective.
- La science ne s’est pas penchée sur le sujet ?
- C’est hors de son domaine de recherche. Le virus est indétectable. Pas de vaccin, pas de traitement. Tu peux courir les laboratoires. Quand le mal est intérieur, le remède doit l’être aussi. Inutile d’aller chercher ailleurs ce qui est en nous-mêmes. Il y a un antidote.
- Les globules blancs ? Les anticorps ? Le repos ? L’abstinence ? L’ascèse ? La ….. ?
- Oh que non ! Rien de tout cela ! Le bon sens mon cher, le bon sens. Appelle-le raison, discernement, entendement, conscience, peu importe… Krokoukas ne craint qu’une chose : qu’on se mette à penser. Le simple bon sens permet de sauter le mur, même si c’est au prix d’une remise en question de soi, de son éducation, de sa culture, de ses fréquentations, même si, et cela c’est très dur, cet effort implique de poser quelques instants son téléphone portable et de goûter le plaisir du silence, de la solitude pour voir renaître une vie intérieure, foisonnante, riche, pénétrante.
- Utopie ?
- Réalité ! Politique ou religieux, Krokoukas a fait beaucoup de morts, de malheureux, il a séparé des gens, déporté des peuples, mais aussi, car il est malin, il a donné de l’espoir à ceux qui n’en avaient plus. Des millions ont cru en lui, lui ont tout donné quand ils n’avaient rien, ils ont même trahi les leurs, avoué des crimes qu’ils n’avaient pas commis, et pire : ont gardé le silence quand ils auraient dû parler. D’autres ont réagi. Ils ont changé d’idées, au prix parfois de l’incertitude, mais sont restés fidèles à leurs principes.
- L’incertitude, le doute : n’y a-t-il pas là un danger ?
- Vaincre le virus est étourdissant, mais ne nous fait pas nécessairement sombrer dans le scepticisme. Le message que nous laissent les convalescents ressemble à une mise en garde. Leur époque fut celle des grands bouleversements. Des idées qui étaient dominantes se sont révélées stériles ou négatives, laissant la place aux interrogations.
- Certains sont ainsi faits qu’ils campent fermement sur des positions que la sagesse et l’expérience humaines jugent intenables. Ils disent que le responsable de tous les maux qui accablent l’humanité aujourd’hui est le système capitaliste. Mais comme ils savent qu’il n’y a pas d’autre alternative à cette organisation de la société –si l’on veut garder nos libertés- alors ils se taisent sur le type de société qu’ils appellent de leurs vœux, car s’ils nous la présentaient, elle ressemblerait étrangement à celle qui a provoqué famines, persécutions, déportations, et qui a imposé à des peuples entiers de vivre dans la peur.
- D’autres croient être immunisés contre Krakoukas. Mais ce diable de virus a muté, il les a rendu insouciants, orphelins de dieux et de tout idéal, il les manipule par le jeu, les petits plaisirs et la profusion de biens matériels.
- D’autres encore prennent de la distance non par prudence ou frilosité, mais pour voir clair, entendre, sentir. Quand on arrête de fumer, il faut des mois avant de retrouver le plaisir du goût et des odeurs. Pendant des années la maladie nous a aveuglés, on est resté sourd aux appels, insensible aux souffrances. Pour en sortir il faut du temps avant de se reprendre et se frayer à nouveau un chemin. Et puis l’incertitude n’est-elle pas un attribut de l’humanité ? N’est-ce pas parce que nous sommes libres que nous ne savons pas de quoi demain sera fait ?
- Mais le doute, même s’il est provisoire, n’est-il pas une solution de facilité ? Il y a l’urgence de certaines situations, des décisions à prendre…
- Etonnante réflexion d’un étudiant en sciences. Voyons, les plus grandes découvertes n’ont-elles pas été faites à la suite d’un questionnement ? La facilité, pour reprendre le mot, n’est-elle pas de s’installer paisiblement dans le fauteuil du prêt à penser officiel ? Des fauteuils, dogmes et doctrines en ont des millions en magasin, et confortables. Mais attention à Krokoukas, ils sont piégés. Plus que des gens qui doutent, méfions-nous de ceux qui ont réponse à tout !
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08:42 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : krokoukas, virus, liberté, dictature
06/02/2020
S’ils parvenaient au pouvoir
Comme c'est confortable de ne pas être en responsabilité ! Pour ces partis qui ne vivent que de la critique et de l'opposition systématique au pouvoir, il n'y a aucun risque à ce que chacun ajoute son grain de sel, cherchant à s’imposer, un livre sacré à la main, celui des précurseurs qui ont tout mis par écrit, manuel du savoir boucler le bec à tout dissident, véritable table de la loi, soufflée un jour à l’oreille d’un homme tout à fait ordinaire (mais qui avait l’ouïe fine) par Clio en personne qui ne supportait plus de voir les hommes tourner en rond autour des dieux. La lutte des classes ou le mythe de la race devaient mettre fin à ces manèges de foire, en fixant à l’humanité un but, une stratégie et des armes.
Le dogme est rigide, indiscutable, cohérent. Au point que ses adeptes peuvent un jour dire une chose et le lendemain son contraire, avec la même assurance, sans que pour autant le principe sacré soit égratigné. Car pour ces gens là, le monde réel n'est pas celui dans lequel nous vivons, mais celui présenté dans le Livre, qu'ils ont respectueusement, mot à mot, copié en eux-mêmes. Ah on peut se moquer de Moïse et de ses tables de la loi ! Eux n'ont pas besoin de marbre, mémoire et entêtement leur suffisent. Ils examinent le monde qui les entoure, retiennent ce qui les arrange, et récitent perpétuellement le même texte, dans un flot de paroles, une logorrhée en forme de jugement dernier: ceux et celles qui gouvernent sont en réalité les représentants de ce qu'il y a de pire: monde de la finance et capitalisme.
Mais si par malheur un jour ils arrivent au pouvoir, il y en a toujours un qui s’impose aux autres. Et le dogme, qu’il soit de gauche ou de droite, s’accommode fort bien d’un chef. On le nomme guide, conducator ou grand timonier, selon la culture et la langue, il est le garant de la table de la loi, et gare aux renégats. En général, le système policier est suffisamment efficace pour qu’il meure de sa belle mort (1), parfois en même temps que la dictature qu’il avait imposée.
Alors si les vicissitudes dans les rangs des extrêmes nous amusent quelquefois, ne rions pas trop fort, car l’un de ces bonimenteurs, faisant miroiter à ses amis un possible accès au pouvoir, mettant les divergences aux oubliettes, pourrait bien un jour rassembler, et convaincre Pierre ou Paul que le désordre démocratique est tellement insupportable qu’une dictature ferait du bien à tout le monde, dictature du prolétariat si possible car tout ce qui vient de la gauche est nécessairement humain.
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(1) beaucoup sont morts sans avoir été jugés comme Staline, Franco, Mao, Pinochet, Salazar, Hoxja, Suharto, Kim Jong Il, Bokassa, Pol pot et bien d'autres. Hitler a mis lui-même fin à ses jours.
11:12 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : extrême gauche, extrême droite, dictature
19/11/2019
Dictatures sympas et démocratie liberticide
Ils hurlent quand une voiture de police renverse un scooter monté par deux jeunes innocents des banlieues « défavorisées ».
Ils hurlent quand une voiture de police n’a pas touché un scooter monté par deux jeunes innocents des banlieues « défavorisées » qui, pour éviter le contrôle routier, s’écrase quelque part provoquant la mort d’un jeune homme.
De toute façon, ils hurlent.
Ils parlent avec mépris du « tout sécuritaire », de « régime policier », de « politique liberticide ».
Et ce sont les mêmes qui sont nostalgiques de ces édens (dictatures sympas, de gauche) où, il y a à peine trente ans, on ne sanctionnait jamais un délit de fuite, car de là-bas, mes chers camarades, on ne s’enfuyait pas.
Contre toute attente, depuis l’effondrement du communisme, ces gens n’ont pas fait un millimètre de progrès. Après les terribles révélations sur le système concentrationnaire soviétique, sur la Stasi et autres horreurs, on était en droit d’attendre un retour en force de la raison, une réflexion sur les rapports entre le progrès social et le respect des libertés, sur l’irrationalité d’un système où un seul parti décide de tout… eh bien non. Sur la situation à Cuba et en Corée du nord où le népotisme monarchique maintient les peuples sous la botte, en Chine où les dignitaires du parti et les nouveaux riches se partagent un gâteau résultat du travail de ceux qu’ils appelaient encore hier « les masses laborieuses des villes et des campagnes », pas un mot, pas un geste.
Je dis « on était en droit d’attendre » un retour de la raison, une réflexion… En réalité : non. D’une doctrine, on ne peut attendre que l’éternelle répétition de ses préceptes (1). Certes la doctrine a ses réformateurs, ses gens « éclairés », ses dissidents même parfois. Il faut bien tenir compte de la réalité des choses, de l’évolution des mœurs, des changements politiques et économiques, ouvrir les portes, les fenêtres et les yeux. Mais c’est très difficile, surtout les yeux. Car, si la foi soulève les montagnes, elle aveugle aussi. Et faute de pouvoir adapter son credo à la vie, à la vraie vie, ce qui est impossible, elle cherche à faire entrer celle-ci dans les tiroirs grinçants du dogme. La vie est d’une richesse infinie, de toutes les couleurs de l’arc en ciel. Le dogme en politique ne connaît que le noir et le blanc. Très proche en cela de son vis-à-vis religieux (2). Noir, blanc, Bien, Mal. Systèmes binaires à l’origine de toutes les dictatures et inquisitions confondues.
Georges Marchais en son époque, qui ne cessait de dénoncer sur les radios et les télés françaises la main mise du pouvoir sur les médias… passait ses vacances au paradis roumain de Ceausescu (3). Le secrétaire du parti n’y passait que les vacances… Le peuple roumain restait sur place.
Vous allez me dire : pourquoi s’attarder sur des gens et des idées qui ne récoltent plus qu’entre deux et six pour cent des voix ?
Mais parce que nous sommes en démocratie. Et qu’en démocratie, tout est permis. Même aux pires ennemis de celle-ci. Et quand la crise survient, économique et sociale, les idées les plus sordides peuvent trouver (retrouver) un écho si elles flattent le peuple. Il se trouve bien dans les classes pauvres des pays de l’est des gens honnêtes mais déçus pour regretter le régime communiste. Plus près de nous, le chômage, la misère et le désespoir sont les meilleurs alliés de démagogues qui nous font avaler des vérités aussi dangereuses qu’elles sont toutes faites.
L’idée qui a conduit au goulag est encore vivante.
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(1) l’étymologie du mot « doctrine »: à l’origine dérivé du latin docere, instruire, on passe à docile (qui se laisse instruire), et par la dérivation docte, docteur, à doctoral, endoctriner, doctrinal, doctrinaire ;
(2) « dogme » se rattache au verbe grec dokein : avis, croyance. Ses dérivés sont tous péjoratifs, dogmatique, dogmatisme, orthodoxe, sauf son contraire : paradoxe, à côté de la croyance commune ;
(3) Ceausescu (Nicolae) (près de Pitesti, 1918 ?, 1989), homme politique roumain. Il adhéra dès 1933 au parti communiste, dont il devint secrétaire général en 1965. Président du Conseil d’État (chef de l’État) en 1967, il fut réélu en 1974, avec le titre de président de la République. Malgré sa relative indépendance vis-à-vis de Moscou, il mena une politique intérieure marquée par le culte de la personnalité et des aberrations dans les domaines économique et social. Déchu lors de la révolte de déc. 1989, il fut exécuté avec son épouse, Elena, au terme d’un procès sommaire.
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18:59 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : démocratie, dictature, ostalgie