05/10/2019
Regrets
On nous dit, sondage à l’appui que 80% des français sont profondément touchés par la disparition de Jacques Chirac.
Tant de gens seraient donc profondément attachés à la personne de l’ancien président ? A la façon dont il dirigeait la France ? N'y aurait-il pas dans cette sympathie affichée pour l’ancien premier magistrat la volonté de montrer une aversion pour le nouveau ? Une béance comparable à celle qui séparait l’Empereur, le Grand, le Conquérant…de Napoléon le petit. Mais d’autres nous disent que celui que l’on pleure n’avait rien fait d’exceptionnel, alors que l’autre, réformateur et apôtre du renouveau est montré par les rues sur des portraits qu’on tient à l’envers, vilipendé par des foules grimées en jaune et accusé de s’en prendre à tout ce que l’histoire passée avait fait de bien.
J’en tire un premier enseignement : même si cela ne sert pas l’avenir de la nation, ne rien tenter en se contentant de maintenir les choses en l’état peut conduire au prix de quelques poignées de mains et de verres de bon vin, à la popularité. Faut-il qu’ils ne soient plus au pouvoir pour qu’enfin les présidents soient aimés ? Condition nécessaire mais non suffisante, d’autres que Jacques Chirac ne figureront pas dans les manuels d’histoire. Mais aujourd’hui que des décisions –lourdes car trop tardives- soulèvent la désapprobation de millions de gens, l’exercice du pouvoir n’est pas le meilleur moyen de séduire le peuple.
Mais si la disparition d’un homme qui a présidé à la destinée du pays il y a douze ans –douze ans aujourd’hui c’est une éternité- si son absence nous fait tant de peine, au-delà de la personne n’est-ce pas une époque que l’on regrette, quand on était plus jeune et que ce sont surtout les bons souvenirs qui nous reviennent ?
On nous avait dit et répété : ce n’était pas mieux avant ! Les philosophes s’y étaient mis aussi, nous énumérant toutes les catastrophes qui s’abattirent sur nos parents et grands parents, les guerres et les fascismes toutes catégories confondues, et puis tout d’un coup voilà qu’un homme qui a présidé à la destinée du pays pendant douze ans disparaît. Et les médias, confortés par le sondage, nous disent qu’en réalité, au-delà de l’homme, c’est une époque que 80% des français regrettent. L’idée selon laquelle c’est mieux aujourd’hui en prend un coup.
Que cela ne nous empêche pas de rendre un hommage particulier aux hommes qui le méritent, et d’abord à Jacques Chirac pour son courage quand pour la première fois depuis la guerre et l’occupation on entendit ces mots :
"Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. Cet incessant combat est le mien autant qu’il est le vôtre."
Discours prononcé lors des commémorations de la Rafle du Vel’d’Hiv’ — 16 juillet 1995
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19:46 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques chirac, nostalgie
19/09/2019
Raisonnable
Plaisir et réjouissances font partie de son emploi du temps. Mais dans une vie réglée, il y a un temps pour les choses sérieuses, elles le sont souvent chez lui, et un temps pour le loisir. S’il s’amuse au spectacle, c’est que le spectacle est fait pour ça. Quand le rideau se ferme, la vie reprend son cours comme s’il ne s’était rien passé.
Après avoir fait le tour de tous les possibles, avoir envisagé les circonstances les plus hypothétiques, il entre en action. Avec circonspection il contrôle ses paroles et ses actes. Chez lui, l’imprévu n’est pas possible. Comme tout ce qui lui arrive est attendu, tout se passe toujours bien, dans la sérénité.
Jamais seul, il est parfaitement intégré dans la société. Il considère discrètement ce qui se passe autour de lui, le comportement et les habitudes des personnes de son entourage, de ses collègues de travail. N’allez pas croire qu’il est conservateur. Il suit assidûment l’actualité dans les domaines de la mode et de la technologie, il voit « ce qui se fait ». Aucune nouveauté ne lui échappe. Il est à la coule.
Pour éviter le trouble que la société pourrait introduire dans ses affaires, il s’efforce de ne jamais s’opposer aux opinions et aux usages en cours dans son milieu. Il se règle sur eux et les reproduit à son tour. Des événements d’une extrême gravité secoueraient le pays, au plus fort de son irritation il serait encore silencieux. Il est le pilier de l’ordre social. Monarchiste constitutionnel au XVIII° siècle, républicain modéré depuis, imperturbable quand d’autres s’agitent ou s’engagent, il s’accommode de tout car c’est la condition d’une vie paisible et bien ordonnée.
La plus grande réussite de sa vie, c’est son passage à l’âge adulte. Il a tiré définitivement un trait sur les enfantillages ou les comportements qu’il considère comme tels : le jeu, la plaisanterie, mais aussi le batifolage. Il vit plongé dans le réel, même la nuit.
Il ne rêve pas.
Si un jour par un mot ou une question un ingénu le met face à lui-même et lui reproche de ne jamais faire entendre une note discordante, il répondra qu’il a au moins cette qualité de mettre ses paroles en accord avec ses actes.
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12:16 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raison, raisonnable, comportement, modération
07/09/2019
Sans abri
Je me promène dans le sixième arrondissement. C’est mon quartier. Le latin. Il fait un peu frais ce matin, j’ai mis l’écharpe rouge, du plus bel effet sur mon manteau noir, et mon chapeau, à la Louis Aragon. De la poulaille partout dans les rues. La droite a mobilisé sa police contre les sans abri. La situation de ces pauvres est insupportable. D’ici j’entends les premiers échos de la manif’.
Un-lo-ge-ment-pour-tous !
Entièrement d’accord. Non mais de quel droit interdit-on à des êtres humains de se loger ? Moi j’ai le cœur à gauche. En 68, j’étais sur les barricades et chaque élection est l’occasion pour moi de faire barrage à la droite.
Un beau rassemblement. Des gens de tous horizons et de toutes les couleurs, comme je les aime. La voilà la belle diversité à la française. Allez-y les gars, un logement pour tous ! Mais oui, il y en a de la place dans nos campagnes pour des milliers de logements sociaux. D’autant qu’avec les jachères, de grandes surfaces sont disponibles. Et cela donnera du travail aux sans emploi.
Car le voilà le problème, la cause de tous les maux : le chômage. Inactivité, désespérance. Du grain à moudre pour l’extrême droite. J’ai une sainte horreur de ces gens-là. Ils sont la honte de la nation. Ils s’en prennent à ceux qui ne leur ressemblent pas : gens de couleur, gens d’ailleurs… Ils disent qu’on n’a plus l’impression d’être en France, qu’il y a des prières dans les rues, que des femmes sans visage font peur aux enfants, que des cantines ne servent plus de jambon, mais où vont-ils chercher tout ça ? Je regarde autour de moi, j’observe que la France est restée égale à elle-même, calme, sereine, tricolore. Ils disent que la proportion des gens issus de l’immigration est telle dans les écoles que le niveau scolaire baisse, que la délinquance et les trafics en tout genre se développent, que les enseignants sont dépassés, découragés.
Propagande, je vous dis, propagande ! Mes enfants n’ont aucun problème à l’école, il y a bien un ou deux garnements pour irriter le professeur de grec ancien, le fils de l’ambassadeur des émirats n’a pas rendu sa punition dans les délais et la fille du sénateur n’a pas éteint son téléphone portable. Vais-je pour autant hurler à une menace contre les lois de la république ?
Un lo-ge-ment-pour-tous !
A-bas-les-dis-cri-mi-na-tions !
La-Franc’-c’est-black-blanc-beur !
Oui, parfaitement d’accord, le voilà bien le pays des droits de l’homme, la France qui ouvre ses portes, lieu de tous les échanges, de tous les mélanges, de toutes les cultures !
Tiens mais c’est Marie-Ange là-bas sous la banderole… Hello, ma fille !
- Papa, je te présente Ali, il est sans papiers, il vient direct du Mali. Les fillettes qu’il tient par la main sont ses petites sœurs. Ses frères sont derrière en compagnie de la dame en noir qui porte un bébé sur son dos. Les cousins sont un peu éparpillés dans la manif’. Pourront-ils s’installer chez nous provisoirement, en attendant de régulariser ?
Tapage, bousculade, slogans hurlés par hauts parleurs ne nous permettent pas de connaître la suite de l’histoire. Cet homme qui prêche accueil et tolérance n’a pas la chance de vivre dans le neuf trois. Ah ! Si toutes les personnes qui ont le cœur à gauche pouvaient partager l’art de vivre au pied des tours dans les cités !
Ce que je viens d’écrire est absurde. Car si ces gens vivaient dans les tours des cités, ils n’auraient pas le recul nécessaire pour juger objectivement de la situation. C’est pourquoi il est logique que les militants du « Vivre ensemble » considèrent la vie réelle en l’observant de loin.
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19:54 Publié dans étrange | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : quartiers, banlieue, gauche, charité, bonne conscience