29/10/2025
Croire, est-ce encore possible aujourd’hui ?
Bien que le christianisme soit souvent évoqué, le « Voyage de Jana » n’est pas un livre « chrétien ». Il n’y a que les humains qui peuvent l’être, chrétiens. Par contre, au cours du voyage de cette femme, la foi est omniprésente. Pas seulement parce qu’en Slovaquie beaucoup de gens sont croyants, mais surtout parce que sans la foi, j’entends : sans croire en quelque chose, la vie humaine est impensable, impossible.
Je me rappelle cette question posée par une personne qui revenait de Grèce. Parlant des météores, ces falaises rocheuses occupées par des anachorètes, j’entendis cette boutade surprenante : « Mais qu’est-ce qu’ils vont faire là-haut ? ». Quoi répondre, sinon en prononçant ce petit mot de trois lettres qui exprime la fidélité à une idée, un principe, une vérité profondément ressentie ? On pourrait aussi s’étonner, en admirant les œuvres gigantesques que sont les cathédrales, comment les hommes ont pu à ce point défier les lois de la pesanteur et de l’équilibre, au prix de leur propre vie ? La foi, encore.
S’étonner aussi que malgré les catastrophes qui nous ont frappés au cours des siècles, on ait pu encore et toujours croire en un Sauveur suprême…
Mais si la foi peut faire grimper des hommes au sommet de montagnes, elle peut rendre aveugle et conduire à l’intolérance, à l’inquisition et au crime. D’ailleurs elle n’est pas que religieuse. Elle peut être politique. Comment des millions d’honnêtes gens ont pu croire pendant des années que la fin justifiait les moyens, que le Goulag était un passage obligé sur la voie d’une société nouvelle, juste et harmonieuse, s’ils n’avaient eu eux-mêmes foi en cette dernière ?
Le mot « tolérance » est trop faible pour traduire les pensées de Jana. Elle ne tolère rien du tout. Elle écoute, questionne parfois, c’est tout. De quel droit pourrions-nous mépriser, punir ou tolérer, même seulement rire des pensées ou des croyances d’un autre ? Sommes-nous détenteurs de vérité ? En position de juger ? Idées et croyances ne sont jamais « tolérables », elles peuvent être contestables, parfois même à combattre, ou troublantes… comme la réponse de Mme Tomko à Jana qui lui demande :
- Croire, est-ce encore possible aujourd’hui ?
- Il nous a fallu des millions d'années pour former l'idée d’un dieu unique. Et en à peine 300 ans, nous avons cru nous en débarrasser. Tout cela est allé trop vite pour les humains que nous sommes. Et puis… nos frêles épaules pourront-elles indéfiniment supporter l’idée d’être seuls, maîtres de notre destin ?
18:14 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : foi, croyance, christianisme, météores, anachorètes
19/02/2015
Laisser à chacun la liberté de son jugement
« Ayant ainsi fait connaître les fondements de la foi, je conclus enfin que la connaissance révélée n’a d’autre objet que l’obéissance et est ainsi entièrement distincte de la connaissance naturelle, tant par son objet que par ses principes et ses moyens, que ces deux connaissances n’ont rien de commun, mais peuvent l’une et l’autre occuper leur domaine propre sans se combattre le moins du monde et sans qu’aucune des deux doive être la servante de l’autre. En outre puisque les hommes ont des complexions différentes et que l’un se satisfait mieux de telles opinions, l’autre de telles autres, que ce qui est objet de religieux respect pour celui-ci excite le rire de celui-là, je conclus encore qu’il faut laisser à chacun la liberté de son jugement et le pouvoir d’interpréter selon sa complexion les fondements de la foi, et juger de la foi de chacun selon ses œuvres seulement, se demandant si elles sont conformes ou non à la piété, car de la sorte tous pourront obéir à Dieu d’un entier et libre consentement et seuls la justice et la charité auront pour tous du prix. »
Spinoza.- Traité théologico-politique
09:21 Publié dans Belles pages | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : foi, liberté, jugement, tolérance
03/02/2015
Ne nous laissons pas bercer par les mots
Des millions de français ont rendu hommage aux victimes des attentats. Ils ont manifesté leur attachement aux libertés, celle de la presse en particulier, à la démocratie. Il fallait bien ces événements pour réaliser -encore une fois- que la démocratie n'est pas un phénomène naturel. Menacée à ce point, on comprend qu'il faut la défendre. Quand nous sommes malades la santé n'a pas de prix. En trois jours, chômage, pouvoir d'achat et querelles idéologiques ont été balayés de la surface médiatique. Nous sommes devenus les champions de la lutte contre ceux qui s'en prennent au genre humain. Le réflexe Je suis Charlie est bon, beau, clair, enthousiasmant.
Il ne faut pas se laisser bercer par des mots. Et ceux que je lis et que j'entends depuis quelques jours m'inquiètent. Que l'islam n'est pas en cause, que les terroristes n'avaient rien compris, qu'ils avaient mal lu ou mal interprété le Coran, bref que la religion n'a rien à voir dans tout cela. Hier, la représentante d'un parti politique d'opposition déclarait que le problème était social, et rien que social. D'autres qui professaient cette théorie depuis des lustres, même s'ils le disent moins fort, le disent encore. Et puis il y a les dessins, humoristiques. Que viennent faire l'évêque et le rabbin dans ces représentations? Y eut-il parmi ces criminels des adeptes de l'intégrisme chrétien et juif ? Au-delà des crimes commis au mois de janvier, la démocratie française est-elle menacée par la propagation incontrôlée des fondamentalismes chrétien et juif ? Y a-t-il aujourd'hui une guerre sainte chrétienne en France, en Europe, en Afrique et en Asie ? Y a-t-il en France des lieux de cultes profanés par des juifs ? Des enfants musulmans obligés d'être accompagnés sur le chemin de l'école, car menacés par des fanatiques chrétiens et juifs ? Des sujets inabordables dans les écoles sous la pression insupportable de chrétiens, de juifs, d'agnostiques, de libres penseurs et de mécréants de toutes sortes ?
Non, il n'y a rien de tout cela. Par contre, il y a dix-sept personnes qui ont perdu la vie, victimes de fanatiques se réclamant d'Allah. Il y a aussi des filles et des femmes qui souffrent en silence, qui sont regardées alors qu'elles n'y sont pour rien. Il y a cette vieille dame qui fait ses courses, voilée et qui a peur car elle ne comprend pas. Cette femme qui est française depuis des décennies, dont le mari aujourd'hui décédé fut longtemps le roi du marteau piqueur, homme honnête et travailleur qui ne volait le pain de personne, mais qui passait pour les millions de lecteurs du petit parisien à l'époque pour un "raton", un "bougnoul", cette femme aujourd'hui, le moins que je puisse faire, c'est de lui rendre hommage. Je la respecte infiniment plus que l'autre là, son Charlie sous le bras, journal qu'il n'a jamais lu, et qu'il ne connaissait pas avant la fin du mois de janvier, ce drôle de gugusse qui a retenu une chose de l'événement: qu'il s'est engagé.
Je suis Charlie a tout envahi, tout conquis, on le placarde, des vignettes portant ces trois mots fleurissent partout. Dans mon village, on le cloue sur les portes d'entrée. On le dresse en totem. Je suis Charlie est devenu une pièce d'identité. Si vous ne l'arborez pas, on vous demandera bientôt pourquoi. Les gazettes régionales les plus réactionnaires l'impriment -en petits caractères- sur leurs unes. Vous le verrez bientôt sur les boîtes de conserves, sur les cartons d'emballage et les sacs poubelles. C'est sa place après tout, maintenant qu'il est devenu une raison de ne rien faire, de reprendre comme si rien ne s'était passé le train train quotidien, une raison -s'il en fallait encore une-de ne rien voir.
Mais les loups depuis des années ne sont plus à nos portes, ils ont leurs nids dans nos quartiers. Tout le monde le sait. Tout le monde trouve toutes les raisons de garder les yeux fermés au nom d'une multitude d'inventions sémantiques qui ne sont que des cache-misère: vivre ensemble, diversité culturelle, richesse venue d'ailleurs, France du mélange... Cet aveuglement qui est la partie visible de la lâcheté a des alliés de poids: les xénophobes et racistes de tout poil qui désignent l'islam comme ils exècrent l'étranger. Ce n'est pas chose facile de tenter de mettre un terme à la propagation d'une idéologie totalitaire et meurtrière quand surgissent à vos côtés des gens qui n'ont rien à y faire. Non, les défenseurs de la laïcité n'ont rien, mais alors absolument rien à voir avec l'extrême droite. En réalité, les alliances ne sont pas celles qu'on vous dit. Les partis institutionnels et ceux qui ne le sont pas s'entendent sans le dire pour... Oui pour quoi ? Pour maintenir les choses en l'état, les extrêmes parce qu'au fond, mis à part la construction de leurs chapelles, ils n'ont rien à proposer, les partis "républicains" parce que le maintien d'un statu quo est l'objectif de ceux dont la seule ambition est de conserver le pouvoir ou...de s'en emparer.
On ne peut s'empêcher de passer et repasser dans nos têtes les images de ces journées terribles, de penser aux victimes, aux dessinateurs, aux policiers, aux personnes tuées dans le magasin casher, à leurs familles qui souffrent. D'autres images sont insoutenables, bien qu'on ne les ait jamais vues, mais certains événements sont à ce point irrationnels qu'il n'y a que l'imagination humaine pour en comprendre la portée. Ces filles violées, réduites en esclavage, ces villageois exterminés, le fouet, les décapitations...au nom de quoi, au nom de qui ? Si comme on nous le dit ce sont des actes de fous, qu'on ose dire aussi que la foi aveugle, qu'elle peut conduire au fanatisme.
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09:07 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : charlie, engagement, islam, foi, fanatisme

