10/02/2010
XXII- J'ai l'impression d'être coupé en deux
(Suite du journal de Zhu)
27° jour :
Pas grand chose à écrire, rien à signaler. Les hommes sont revenus avec le tombereau chargé de bois. De quoi alimenter le feu cette nuit et demain. Vu la taille des bûches, je suppose qu'il ne leur a pas été facile de couper des troncs de cette épaisseur avec les haches en jade. Nous sommes vraiment démunis. Si seulement nous avions rapporté de là-bas une cognée, mais voilà, sur Terre cet outil était devenu parfaitement inutile, et nous ne pouvions imaginer qu'ailleurs il pût servir à quelque chose. Je pense à Robinson, lui au moins disposait d'outils et d'instruments provenant du monde civilisé, échoués en même temps que lui sur le rivage. Mais c'était à la suite d'un naufrage.
Nous autres, c'est différent : nous avons fui. Nous sommes partis précipitamment, en prenant soin de nos enfants, de nos proches, en emportant aussi richesses, bijoux, objets de valeur de petite taille, photographies de famille. Qui aurait pensé -dans la panique et la précipitation- à se munir d'outils ou d'instruments susceptibles d'assurer notre survie dans un autre monde ? Nous sommes ainsi faits, sous le diktat de l'urgence, enfermés dans le présent. Ah, des questions sur notre futur, nous nous les posions, et quand nous les adressions à nos sauveteurs, ils tenaient un langage incompréhensible accompagné de grands gestes, ou ils riaient. Ce sont des gens fondamentalement insouciants. Ils nous emportaient, c'était déjà beaucoup, et en musique. Pendant que les navettes chargeaient les Terriens dans les arches, ils chantaient, dansaient, au son des violons et des guitares. Lassés de poser des questions sans réponses, nous nous étions mis à chanter aussi en attendant le départ, mais c'était pour cacher notre angoisse.
Le départ ? Je devrais mettre une majuscule. Car ce n'est pas un pays, ce n'est pas même un continent que nous avons quitté. C'est notre planète, la Terre. Certes, il y a quelques siècles, cela ne fut pas facile pour les émigrants européens de tout abandonner et de se retrouver, perdus, sur le quai d'un grand port d'Amérique. Alors pensez, si c'est facile pour nous de nous savoir projetés à quatre années-lumière de chez nous ! Eh bien je vais vous étonner, ici la vie s'écoule paisiblement, j'entends des enfants qui jouent, Renfrogné est en train de bricoler je ne sais quoi dans sa hutte, deux jeunes tourtereaux reviennent à l'instant du bois, échevelés, alors qu'on avait formellement interdit de s'y engager, bref, je suis au milieu d'humains qui ont une faculté d'adaptation extraordinaire. Quand à moi, j'ai l'impression d'être coupé en deux. La disparition de Jennifer y est sans doute pour quelque chose.
Jenny partie, je retombe en enfance, à Pünderich, mon village. La vallée de la Moselle. Mon père monté dans les vignes par l'escalator à crémaillère, occupé à la taille ou à rien du tout, il n'était heureux que là-haut. Ma mère au sous-sol, occupée à faire goûter le Riesling à des clients, elle parlait trois langues et c'étaient souvent des touristes étrangers. Un village qui était l'enfer des cyclistes, tout en côte et les rues en pavés, mais qui attirait les peintres et les photographes. Le dimanche je m'ennuyais, car j'étais un des rares à ne pas aller au temple. Non parce que j'étais chinois, beaucoup de mes camarades d'origine asiatique s'étaient convertis au christianisme, mais parce que mes parents n'en voyaient pas l'intérêt. S'il leur avait fallu une divinité protectrice, ç'eût été Mercure le dieu du commerce, ou Dionysos celui du vin et des bonnes choses. Pour le reste, le devoir, la morale, l'éducation, que sais-je encore la sagesse, ils me servaient d'exemple et s'en remettaient sans réserve à mes maîtres.
Je vais à la corvée de bois. Renfrogné a amélioré le tombereau : une ridelle à l'avant, l'autre à l'arrière maintiendront les troncs.
Il est tard. Nous avons du bois pour cette nuit et demain. Il faut maintenir le feu. On ne sait jamais...
Les petits sont endormis, Qian dans les bras de sa grande sœur.
Un autre problème se pose : il n'a toujours pas plu, et le petit ruisseau qui nous alimentait en eau depuis l'épuisement de nos réserves n'est pas loin de se tarir. Nous filtrons l'eau à travers des linges pour faire boire les enfants. Jusqu'à quand ? Et comment font les indigènes ?
Bref ce soir, le moral n'est pas à la hausse.
§
19:48 Publié dans A 100.000 années des Lumières | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gens du voyage, robinsons, planète, terriens
09/02/2010
Dieu est...
...le seul être qui, pour régner, n'a même pas besoin d'exister.
Baudelaire
20:51 Publié dans étrange | Lien permanent | Commentaires (2)
05/02/2010
Islam et extrême-gauche: caresses prénuptiales
L'extrême gauche et l'islamisme convolent en justes noces. Faute d'avoir à leur disposition un idéal à proposer, depuis l'effondrement du communisme et l'image désastreuse offerte au monde par les états théocratiques, ils n'ont rien d'autre à offrir que la critique radicale des sociétés occidentales qu'ils qualifient tour à tour de capitaliste, consumériste, individualiste, égoïste, militariste, colonialiste, foyers de luxure et de déchéance morale.
Sur le site du NPA, le 17 juillet 2009 était annoncée l'organisation d'une Marche Mondiale des Femmes en 2010. L'objectif étant de lutter contre les
« violences, les discriminations, les inégalités, la pauvreté et le racisme. »
Que vient faire le racisme dans cette liste des atteintes aux droits des femmes ? Le racisme épargne-t-il les hommes ? N'est-ce pas là une tentative de déplacer le problème d'Orient en Occident, pour l'extrême gauche le racisme étant nécessairement et exclusivement un mal qui frappe les populations immigrées dans les pays de l'hémisphère nord. Oui, tentative de déplacer le problème, car le mal dont souffrent les femmes dans nombre de pays du tiers-monde n'a rien à voir avec le racisme, pas plus d'ailleurs qu'avec le colonialisme, les imams de là-bas n'ont pas attendu les colonisateurs (ni d'ailleurs la lecture du Coran) pour faire de la femme un être sans droits. Le sort fait aux femmes dans ces pays est plutôt à mettre en rapport avec les traditions, confortées par les dogmes religieux.
Dans cet article, certes, le patriarcat est désigné, mais aussi et surtout « son allié le capitalisme ». L'auteur précise :
« au sud comme au nord, leurs institutions (gouvernements, grandes entreprises, religions) veulent nous empêcher de conquérir nos droits ou essayent de nous enlever ceux que nous avons déjà acquis. (...) »
« ...les états, subordonnés aux intérêts du capital financier et des multinationales, abandonnent les populations (...) dans ce contexte, les problèmes de pauvreté et de violences envers les femmes augmentent dramatiquement. »
L'amalgame « gouvernements -grandes entreprises -religions » permet de noyer le poisson et de disculper les gourous locaux qu'on suppose, comme les états, subordonnés aux intérêts du capital... donc de l'Occident capitaliste.
Bref, tout le monde est innocent sauf... qui vous savez. Une belle leçon d'immoralité qui rend irresponsables et laisse les mains libres à tous ces petits guides ou ayatollahs locaux qui, malgré leur bon vouloir et leur acharnement à rendre heureux leurs peuples, n'y peuvent mais, empêchés qu'ils sont par le méchant impérialisme occidental.
On retrouve la même démarche, de façon encore plus radicale dans la déclaration d'un autre parti, le Parti Ouvrier Indépendant (Informations ouvrières du 21 janvier 2010) :
« Régulièrement, les médias nous informent que des citoyens français meurent en Afghanistan. Ces jeunes gens auraient été envoyés là-bas « pour défendre la démocratie contre la menace du terrorisme ». La démocratie, ce serait donc nous, les petits anges du monde occidental ! Le terrorisme, ce serait eux, les barbus en costume traditionnel qui obligent leurs femmes à porter la burqa.(1) »
La question centrale de l'article est :
« Mais de quel droit pouvons-nous donner des leçons ? »
Suit une liste de crimes et massacres dont nos « démocraties » se sont rendues coupables :
- - la Saint-Barthélémy et ses milliers de cadavres;
- - les dragonnades des Cévennes, la répression religieuse la plus inhumaine de tout temps;
- - les massacres de juin 1848 et ses 15000 ouvriers trucidés par les milices bourgeoises et bien-pensantes;
- - la Semaine sanglante de la Commune de Paris qui vit les mêmes milices massacrer 30000 femmes et hommes;
- - notre politique coloniale, qui fit «suer le burnous» pendant plus d'un siècle et qui a laissé installer des régimes qui rendent encore plus malheureux les «indigènes»...
Certes, pour s'en tenir à la France, il n'y a pas de quoi s'enorgueillir d'un passé aussi sanglant, violences auxquelles il faudrait ajouter la Terreur révolutionnaire, les guerres sanglantes napoléoniennes, les millions de morts pour rien entre 1914 et 1918, la collaboration et la persécution des juifs et des résistants par l'Etat français... bref.
Mais pourquoi s'en tenir à la France ? L'analyse s'éclaircit quand on lit :
« Durant la guerre froide, on nous a déjà fait le coup du « monde libre et de la défense de la démocratie ».
Ah ? Comme c'est joliment dit, « la guerre froide », mais qu'y avait-il donc face au « monde libre » ? Un paradis réservé à deux cent et quelques millions d'individus qui, de Berlin à la Sibérie construisaient entre des barbelés une société nouvelle ? Alors oui, comparé au régime totalitaire qui de social n'avait que le nom, les démocraties capitalistes occidentales pouvaient être qualifiées de monde libre. J'ajouterais que nous avons eu chaud de n'être pas libérés du nazisme par l'armée rouge. On sait ce qu'il en a coûté aux peuples d'Europe de l'est. N'est-il pas révoltant de lire dans le même article :
« Depuis la chute du Mur de Berlin, les « peuples libérés » constatent à leurs dépens que la « voix de l'Amérique » racontait des histoires et que leur nouvelle situation n'a rien à envier à la précédente. »
Si l'auteur de l'article a connu l'Europe des démocraties populaires, c'est probablement comme touriste. Et encore ! Il a dû fermer les yeux. Les tuyaux de gazoduc qui passaient au-dessus des lotissements (Eisenach en Thuringe),
ces files d'attente interminables devant les étalages quasiment vides des épiceries (banlieue de Prague),
ce couple d'enseignants retraités de RDA rencontré en Tchécoslovaquie, contraints de planter leur tente canadienne dans la zone « DDR » du camping, zone quadrillée par des joggeurs de la stasi en survêtement, couple d'enseignants à qui il était interdit de communiquer avec les campeurs des autres états, et qui durent attendre plusieurs années pour la livraison d'une Trabant crachant une fumée suffocante, alors que d'autres, membres du SED roulaient en Lada ou en Skoda, sans parler des notables du parti qui passaient leurs vacances en occident,
ces Praguois (communistes pourtant !) qui ne pouvaient se rendre en France, car ils s'étaient rendus en Italie capitaliste l'année précédente,
ces étudiants slovaques qui poussaient jusqu'en Slovénie pour faire le plein de carburant,
ce couple de communistes yougoslaves qui se plaignait de verser des impôts pour assister monténégrins et kosovars, mais qui justifiaient que les routes menant (à Korcula) à la propriété de Tito fussent asphaltées et régulièrement entretenues, alors qu'ailleurs...,
à Weimar les murs noirs de pollution portant encore dans les années 80 les traces des impacts de balles et d'obus de la guerre,
les soldats de l'armée rouge cantonnés en Saxe dans des immeubles insalubres aux carreaux cassés et jamais remplacés que par des cartons,
ces soldats justement qui faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour se marier avec une allemande afin de rester à l'ouest après 1989,
ces fugitifs qui passèrent au risque de leur vie rideau de fer ou mur de Berlin,
fugitifs qui jamais ne les franchissaient d'ouest en est,
et ces révoltes ouvrières des années cinquante en Allemagne, en Pologne, en Hongrie, qu'il était de bon ton dans les milieux de gauche de qualifier de contre-révolutionnaires, que l'Humanité disait téléguidées par l'oncle Sam alors qu'il n'en était rien ? Ces révoltes écrasées par les chars soviétiques ? Dans les rues de Prague non plus en 1968 on n'a jamais dû lire « URSS go home ». Là-bas c'était impossible,
et ces communistes français qui nous dressaient un tableau idyllique du socialisme, qui rendaient des visites de courtoisie à Ceaucescu, qui ne savaient pas, qui ne savaient rien, et qui un jour, quand tout le monde a su, ont jugé le bilan du socialisme à l'est globalement positif,
et ces communistes qui prétendent aujourd'hui encore, vingt ans après la chute du mur de Berlin et l'ouverture des archives que là-bas des conquêtes sociales sont remises en cause, ceux-là de quel droit se permettent-ils de faire l'éloge de ce dont ils n'ont pas souffert ? Qu'ils relisent London, Plioutch, Soljenitsyne, Chalamov, qu'ils se demandent ce que sont devenus les Imre Nagy, les Dubcek, et tous ces militants sincères restés fidèles à leurs principes !
Qu'on ne me réplique pas qu'à mon tour je n'ai pas d'yeux pour voir ici la misère, le chômage, la difficulté de vivre pour des millions de gens, la délinquance, l'incompétence des gouvernants. Mais je ne suis pas un communiste à l'envers. Je ne prétends pas que nous vivons au paradis, ni que le capitalisme est un objectif à poursuivre. Mais au moins, je me rends compte que je suis en liberté, que les auteurs des articles cités plus haut le sont aussi, que tout critiques qu'ils sont, ils ne seront ni rééduqués ni internés en hôpital psychiatrique, je constate aussi que cette candidate du NPA voilée s'exprime devant tous les micros et sous l'œil des caméras. Je vois aussi que les chars ne sortent pas des casernes pour écraser les manifestations des enseignants, des postiers et des travailleurs licenciés. Je constate que le pire des délinquants dispose d'un avocat pour sa défense, que des journaux à fort tirage publient des caricatures du plus haut magistrat de la république sans être poursuivis.
Pour une extrême gauche en errance, faute d'avoir un idéal crédible et mobilisateur à proposer, l'occident capitaliste est la cause de tous les maux. Les islamistes proclament la même chose. Lisez les communiqués de Ben Laden. Terroriste certes, mais fin diplomate dans ses discours, il ne cesse de faire des appels du pied à la gauche et à l'extrême gauche occidentales : ses ennemis à lui sont ceux de nos gauchistes et altermondialistes : avant tout le grand Satan américain, l'impérialisme, le capitalisme, le libéralisme, mais surtout, mais il ne le dit pas, et c'est son objectif premier : la démocratie sous toutes ses formes, droits de l'homme, toutes les libertés, statut de la femme, éducation...
J'ai devant les yeux un ouvrage, ouvert aux pages 20-21, je lis : (2)
« Il est temps de prendre conscience que ce mode de croissance de l'Occident, qui nous conduit à des vies sans but et à la mort, tente de se justifier par un modèle de culture et d'idéologie qui porte en lui ces germes de mort (...) :
- - une conception impitoyable des rapports humains, fondée sur un individualisme sans frein, et qui n'engendre que des sociétés de concurrence de marchés, d'affrontements, de violence, où quelques unités économiques ou politiques, aveugles et toutes puissantes, asservissent ou dévorent les plus faibles;
- - une conception désespérante de l'avenir, ...sans rien qui transcende cet horizon pour donner un sens à nos vies et nous détourner des chemins de la mort.»
Pour Roger Garaudy, ancien membre du parti communiste français, la solution est dans l'Islam, qui
« n'est plus « l'Infidèle » du temps des croisades ou le terroriste de la guerre de libération de l'Algérie (...) »
mais plutôt
« cette vision de Dieu, du monde et de l'homme qui assigne aux sciences et aux arts, à chaque homme et à chaque société, le projet de construire un monde indivisiblement divin et humain comportant les deux dimensions majeures de la transcendance et de la communauté. »
« L'islam est INDIVISIBLEMENT une religion et une communauté. Une foi et un CODE DE VIE. »
S'il reste encore en extrême gauche quelques militants sincères et soucieux de préserver laïcité, république et démocratie ici et de soutenir la lutte des populations sous tutelle religieuse là-bas, ils pourraient méditer ces propos d'un ancien maître à penser communiste pour qui toutes les religions sont un opium pour le peuple, sauf l'islam.
§
(1) Voir « Une pensée qui n'a de libre que le nom »
(2) Garaudy.- Promesses de l'islam, Seuil, 1981
Les mots ou expressions en majuscules, en caractère gras et soulignés le sont par moi.
12:14 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : extrême-gauche, islam, islamistes, démocratie, capitalisme, occident