27/10/2009
XII- L'extra-terrestre, sujet tabou
Jeudi :
D’habitude, à cette heure matinale tout le monde est debout. Nous sommes plus d’un million dans cette ville flottante et seulement une poignée à arpenter le long couloir qui fait le tour du secteur « Thüringerwald ». J’y retournerai tout à l’heure. Dans la cabine, Jennifer et les enfants dorment profondément. Je ne me sens pas bien. J’écrirai plus tard. Par le hublot c’est noir on ne voit plus rien je vais m’allonger
Cher ami,
Les quatre lignes que tu viens de lire sont les dernières écrites par Zhu depuis la Terre. Ou plutôt depuis le vaisseau Sesostris qui s’envola il y a cent vingt mille ans (1), emportant par milliers les habitants d’une province de l’Empire, la Saxe. Zhu ne comprit sans doute pas pourquoi plus rien n’était visible par le hublot de sa cabine. Collé contre la vitre aux côtés de sa compagne, il s’émerveillait quelques jours plus tôt en contemplant la planète bleue « havre de l’humanité depuis des millions d’années ». Ils ne savaient pas que plus jamais ils ne la reverraient.
On sait pourquoi maintenant. Le voyage vers d’autres cieux n’est pas comparable à une excursion en aéroplane, ou même en navette spatiale. La fusée la plus performante, produit de la technologie de l’époque, aurait mis 43 200 ans pour atteindre la région habitable la plus proche du système solaire. Certes, ses occupants auraient eu le temps d’admirer le paysage, de voir leur bonne vieille Terre s’éloigner…
Je peux te confier que dans quelques dizaines d’années - peut-être en seras-tu le témoin- les astrophysiciens enverront une sonde propulsée grâce à la fusion nucléaire contrôlée. Au terme d’un voyage de cinquante ans à la vitesse moyenne de trente mille kilomètres par seconde, elle passera à proximité d’Alpha du Centaure et enverra des informations aux Terriens. Malheureusement, ce mode de propulsion requiert une grande quantité de combustible: trente mille tonnes d’hélium-3 et vingt mille tonnes de deutérium qu’il aura fallu extraire de l’atmosphère de Jupiter ou de Saturne (2).
La suite du journal de Zhu te confirmera que les civilisations contemporaines à la tienne connaissaient d’autres moyens de déplacement autrement plus performants. La découverte essentielle fut celle du passage par trous de ver. Ce sont des raccourcis qui permettent de passer d’un point de l’espace-temps à un autre. On ne sait qui dans la galaxie est à l’origine de cette découverte. Le saura-t-on jamais ? Toujours est-il : depuis des centaines de milliers d’années (peut-être des millions ?) des civilisations originaires de notre propre galaxie ont parcouru celle-ci en long et en large, tentant même des incursions à l’intérieur du système solaire.
Je ne t’apprendrai rien en te disant que les Terriens ne leur ont pas toujours fait bon accueil. On est même allé jusqu’à qualifier d’illuminés les témoins d’apparitions de véhicules spatiaux extra-terrestres. Vous avez cru voir des étoiles, des avions, une aurore boréale, un ballon sonde, leur disait-on. Quand on ne les accusait pas d’avoir été victimes d’hallucinations, d’avoir trop bu, ou d’être sous l’effet de tranquillisants. Des pilotes expérimentés d’avions commerciaux ou militaires, dont les observations d’objets volants étranges se déplaçant à des vitesses extraordinaires et changeant brusquement de direction avaient été confirmées au sol par des radars, ont vu leurs témoignages rangés soigneusement dans des placards, classés « secret défense ». Les questions relatives à l’éventualité d’une vie extra-terrestre étaient soulevées parfois dans les médias, mais rarement par des scientifiques ou des personnalités politiques. Ces gens-là sont trop sérieux. Ils ne parlent que de ce qu’ils connaissent, c’est du moins ce qu’on attend d’eux. Désespérément. Le problème des extra-terrestres était limité aux réunions de famille ou entre copains. Domaine privé. Et encore, le premier qui abordait ce sujet frisait le ridicule. On l’écoutait un peu, avec le sourire.
Il serait trop facile d’imputer ce black-out exclusivement aux religions et aux militaires. Certes, ni le dogme des uns, ni la soif de pouvoir des autres ne supportaient l’idée que l’humanité ne fût plus au centre, ni même seule, au monde. Sujet tabou aussi chez les philosophes, les politiques, les syndicalistes, il y avait tant d’autres problèmes dont l’importance le disputait à l’urgence. Il n’y avait guère qu’artistes et poètes pour vous entendre, et encore, pas tous. Bon. Revers de la médaille, Zhu l’a bien relevé dans son journal :
« Ces chiens de garde des vérités officielles … rendus muets par la peur et la honte… sauvent leur peau, emportés dans des objets volants qu’ils s’étaient toujours interdit d’identifier. »
§
(1) Il y a cent vingt mille ans… pour Tchang ! voir chronologie
(2) Heidmann, Vidal-Madjar, Pranzos, Reeves : Sommes-nous seuls dans l’univers ?
21:43 Publié dans A 100.000 années des Lumières | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : extra-terrestres, accident nucléaire, migration, science-fiction
XI- L'Homme avait déjà été victime d'un accident nucléaire
Cher ami,
Je relis ce que je t’écrivais. Je ne te connais pas. Je suis dans la situation du romancier après la publication de son livre : il ne sait rien de ses lecteurs. Du moins, je l’espère. S’il les connaît, il écrit pour eux, il répond à leur attente, comme un prestataire de services. Il y a ainsi des écrivains pour enfants, pour vacanciers, pour public d’initiés, des écrivains populaires (très mal vus dans les milieux dits intellectuels), des écrivains à la mode, des écrivains qui parlent plus qu’ils n’écrivent, bref il y a de tout. Je préfère les gens qui ignorent quel sera le destin de leurs histoires. Ils sont libres. Quant à moi, où en étais-je ? Oui, je relis ce que je t’écrivais.
J’ignore qui tu es. Et je suis embarrassé. Avant tout, j’espère que tu n’es ni scientifique ni philosophe. Car ces gens de ton siècle se prennent pour des savants. Il est difficile de leur faire admettre l’impossible. Or, les milliers d’années qui nous séparent nous ont enseigné la modestie. Comment avons-nous un jour osé comprendre quoi que ce soit ? Nos ancêtres ont avalé ce que leur proposaient les pires marchands de soupe: sorciers, chamans, mages, prophètes, fabulateurs, magiciens, prêtres et prélats, avant de se ranger à l’avis autorisé de nouveaux propriétaires de compétences, ambassadeurs de la Raison auprès du peuple. Pour ceux-ci, tout s’explique. Ils se mettent en quatre pour nous hisser jusqu’à leur conception du monde. Puis un jour survient un événement inattendu qui remet tout en cause. Et nos doctes s’effacent (au moins les plus malins). Quelquefois, ils mettent plus d’un siècle pour s’effacer. Il y en a encore à ton époque qui croient à la création divine, à la résurrection, à un dessein intelligent qui guiderait l’humanité comme on manipule une marionnette ! Oh ! J’espère que tu n’es pas de ceux-là !
Alors bien sûr, je suis embarrassé par le contenu de ma dernière lettre. Il n’était pas facile de t’annoncer que l’Homme avait déjà été victime d’un accident planétaire quarante mille ans avant toi (1). Une catastrophe qui interrompit la première évolution d’Homo sapiens. Il fallut à celui-ci trente-cinq millénaires pour réinventer l’écriture, reconstituer des sociétés, rétablir des législations, reconquérir le monde. Bref, pour reprendre à zéro le cours de son histoire. Mais je me rassure en me disant que des gens qui croient à la création divine et à la résurrection des morts ne feront aucune difficulté pour admettre que des humains très évolués se sont envolés dans des vaisseaux interplanétaires à la suite d’une explosion nucléaire, trente huit mille ans avant la dite Résurrection.
Pour la deuxième catastrophe -celle dont Zhu a été le témoin- qui interviendra au XXVII° siècle de ton calendrier, aucun de tes contemporains ne pourra me contredire.
Tu recevras dans quelques jours la suite du journal de Zhu.
Amicalement,
Tchang
(1) voir Chronologie …
§
21:35 Publié dans A 100.000 années des Lumières | Lien permanent | Commentaires (0)
07/10/2009
X- Ce n'est plus une arche, c'est la tour de Babel
Cher ami,
quelques précisions à propos des questions posées par Zhu dans son journal…
D’où viennent-ils ces voyageurs ? Quelqu’un pourra-t-il un jour répondre à cette question ? Sur leurs origines nous savons peu de choses, les seuls documents dont nous disposons proviennent d’autres peuples. Pour la plupart, ces témoignages sont négatifs. Les Roms n’écrivent pas. Nous, les Gadjé, nous sommes des paysans, des gens du cru, attachés à leur jardin, leur rue, leur banque, leur clocher, leur village, leur terroir, leur nation, nous pouvons difficilement comprendre ce peuple sans terre, sans attache, sans histoire. Car les Gens du Voyage n’ont pas d’histoire. Ils ont et ils racontent des histoires qu’ils transmettent par des paroles et des chansons. Ils sont un peuple de traditions et de légendes. Et s’ils n’écrivent ni ne lisent, il n’est pas interdit de penser qu’ils disposent d’autres moyens de communication. Une sensibilité extrême, la faculté de sentir, de pressentir sans l’aide d’autres moyens que ceux qui leur ont été accordés par la nature.
Zhu se demande pourquoi ces gens sont-ils venus ? Te rappelles-tu les propos de la belle Iris ? (1)
« D’où revenaient-ils ces gens volant au secours des Terriens ? Il est temps de vous le demander. Il est temps de vous interroger sur ce long silence imposé pendant des millénaires. Il est temps de diriger votre regard sur votre propre passé, sur votre histoire. Il est temps de porter votre attention sur le monde qui vous entoure, sur les Autres. »
Zhu écrivait que la première Arche s’était positionnée à l’aplomb du delta du Danube. Est-ce un hasard si cette région abrite traditionnellement depuis des siècles une importante population Rom ? Est-il interdit d’imaginer un appel au secours lancé par ces habitants des rives de ce que les Anciens appelaient la Mer Noire ? Un appel lancé à leurs frères d’Ailleurs, ces enfants, petits enfants, et arrière-petits-enfants de peuplades sans attache, sans terre, sans histoire qui, un beau jour mais il y a très longtemps, décidèrent de lever définitivement le camp, de quitter la Terre, pour aller chanter et danser plus loin, dans les étoiles ?
Mais comment cela fut-il possible ? Bien que ne voyant pas ton visage, je devine ta perplexité. Je vais essayer d’être clair. Ce que Zhu ne pouvait pas savoir (et que tu ignores car vivant plus de deux siècles avant lui):
- 40 000 ans avant Confucius, l’Humanité, après s’être répandue sur tous les continents, avait développé des techniques dans les domaines clés : électricité, aérodynamique, aviation, électronique, énergie nucléaire, astronautique. Les humains explorèrent d’abord la banlieue proche de Terre. Ils réussirent ensuite à développer de nouveaux modes de propulsion rendant possibles les voyages hors du système solaire à bord de grands vaisseaux.
- Survint alors une catastrophe (-38 000) : peut-être à la suite d’une guerre nucléaire mondiale. Des textes sacrés parlent de…
« …poussière et fumée (qui) masquaient le soleil… des gaz nocifs (qui) polluaient l’atmosphère… »
Dans la Chronologie de l’ère terrienne (2) que nous avions établie à la suite des révélations d’Iris, nous précisions :
« Quelques humains ont pu échapper à la catastrophe :
- ceux qui étaient en voyage spatial et qui, informés par radio, trouvèrent asile ailleurs dans la galaxie ;
- d’autres, quelques centaines, qui eurent le temps d’embarquer dans les vaisseaux avant la propagation des radiations… »
Après consultation des documents de mon père, nous en savons plus. Ces gens qui « étaient en voyage spatial » étaient pour la plupart des membres de la communauté Rom qui sont –depuis les origines- d’éternels voyageurs. Et s’ils décidèrent de quitter la planète, ce n’était pas pour aller chanter et danser plus loin comme je l’écrivais plus haut, mais parce qu’ils ETAIENT DEJA plus loin, et que pour eux, revenir sur une Terre contaminée aurait été suicidaire.
Sur toutes ces questions, je dispose de documents. Je mets tout ça en ordre, un travail gigantesque que mon père n’a jamais pu ou jamais voulu faire. Cela n’aurait servi à rien, car nos autorités en auraient interdit la publication. Nous vivons, 100 000 ans après toi, dans un monde qui se complaît dans l’ignorance de sa propre histoire. Difficile pour mes concitoyens de reconnaître que s’ils existent c’est parce qu’un jour d’autres les ont sauvés. Pire encore : d’autres qui sont des nomades, « à l’écart du village très loin des bonnes gens… » (3)
Ci-joint la suite du journal de Zhu.
A bientôt,
Tchang
§
agenda de Zhu, suite
mardi :
Quand je pense que pendant des années, les cerveaux de ce monde (au moins ceux adeptes et serviteurs de la pensée dominante) nous riaient au nez quand, observateurs de bonne foi nous disions avoir remarqué, observé, photographié, filmé des OVNI… Quand, complices serviles des gouvernements, des forces armées et des dogmes politiques et religieux, ils cachaient et mettaient sous scellés les témoignages des honnêtes gens !
Je ris –jaune- car je sais que quelque part dans ces Arches venues de très loin et bien extraterrestres celles-là, ces savants sans conscience sont blottis, discrets, bien au chaud et à l’abri des émanations meurtrières qu’ils n’avaient pas su ou pas voulu envisager. Pendant des années, que dis-je, des siècles, ces chiens de garde des vérités officielles ont fermé les yeux pour sauver leur carrière. Aujourd’hui, rendus muets par la peur et la honte, ils sauvent leur peau, emportés dans des objets volants qu’ils s’étaient toujours interdit d’identifier.
Ce sera tout pour ce journal aujourd’hui, car une rumeur se propage : le départ de Sesostris serait imminent.
mercredi :
Réveillés ce matin par des aboiements. J’avais oublié ça. Des millions d’êtres humains sont en danger de mort, et ceux qui -par chance- trouvent une place dans les vaisseaux emportent leurs animaux ! Sans les excuser pour autant, il faut reconnaître que les associations ont beaucoup protesté contre ceux qui les abandonnaient à l’occasion des vacances… on comprend qu’à la veille de ce qu’on pourrait appeler des vacances définitives, ils ne veuillent pas s’en séparer. Il faut donc s’attendre à tout, pourquoi pas des perroquets, des escargots, des furets, des lions, on en prendrait un de chaque espèce, mâle et femelle bien sûr pour préserver et développer la faune terrienne pendant le voyage et après, quelque part dans l’immensité. Une certitude, nous n’emporterons pas d’éléphant. Le dernier est mort en Afrique, tué par des braconniers. On a eu chaud, il aurait pris la place d’une bonne dizaine d’humains.
Bref, aboiements, bousculades, altercations entre plusieurs familles de passagers du Secteur « Thüringerwald ». Explication. Dans l’arche nous sommes répartis en « secteurs » correspondants au découpage administratif germanique… en principe. En se promenant dans les couloirs longeant nos cabines (ou dortoirs pour les moins fortunés ou les gens sans enfants), on ne devrait rencontrer que des gens originaires de Weimar, Iéna ou Erfurt. Ce n’est pas le cas, j’entends souvent parler tchèque ou polonais. Et voici la cause des démêlés auxquels j’ai assisté ce matin : des jeunes de la banlieue de Prague prétendent qu’aucun vaisseau n’a été prévu pour leur pays. Ils trouvent donc tout naturel d’embarquer dans Sesostris, plutôt que de parcourir les mille kilomètres qui les séparent du port d’embarquement pour Amménémès, l’arche qui les attend à l’aplomb de Kiev. Bien sûr, les natifs de Thuringe, surtout ceux qui n’ont pas eu droit à une cabine, comprennent mal la présence de ces étrangers. Pour ma part, je suis mal à l’aise. Certes, nous résidons à Weimar depuis des années, mon épouse participe à la vie culturelle de la cité, nos enfants fréquentent les écoles de la ville, nous payons régulièrement nos impôts, mais tout cela ne peut faire oublier mon origine asiatique, après tout je suis beaucoup plus étranger au monde germanique qu’un Tchèque ou un Polonais. Curieusement ici, personne ne me regarde de travers. Les gens du pays doivent se dire : celui-là, il vient de trop loin pour être un problème. Il est vrai qu’il est plus facile d’être en guerre avec un voisin qu’avec un inconnu. En plus, je suis Chinois, et la Chine a conquis l’Europe. Peut-être y a-t-il une forme de considération pour un ressortissant de la puissance occupante, un représentant de la première puissance mondiale ? Cela s’est déjà vu dans le passé.
Bref, aux premières heures du jour, les gens s’apostrophent et s’adressent des noms d’oiseaux que les autres ne comprennent pas. Ce n’est plus une arche, c’est la tour de Babel. Et les Roms qui passent assistent à ce triste spectacle avec le sourire. A propos de Roms, justement depuis quelques minutes, je ne les vois plus passer. Par le hublot, nous n’assistons plus à l’arrivée de navettes. Le vaisseau est peut-être au complet ?
§
(1) Iris, messagère des dieux
(2) Chronologie de l’ère terrienne établie par Tchang après les révélations d’Iris
(3) Extrait d’une chanson de voyageur
21:42 Publié dans A 100.000 années des Lumières | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roms, gens du voyage, terriens, histoire humaine