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10/12/2009

XV- Désemparé, au-dessus du corps ensanglanté d'une jeune fille

 

       

 Cher ami,

 

voici la suite du journal de Zhu, rédigé probablement quelques jours après son arrivée sur Astrée,

 

amicalement,

 

Tchang

 

 

  (...) Laissant leurs femmes et leurs enfants sur place au pied de la navette, quelques hommes coururent avec moi vers le village. Celui-ci était constitué de cahutes (de loin elles ressemblaient à des huttes faîtes en rondins et couvertes de branchages, mais c'étaient plutôt des cases semblables à celles de nos ancêtres, les ramures étaient liées par de l'argile). Les cris ne provenaient pas des nôtres, mais bien des indigènes. On les voyait, courant et gesticulant, sortir des habitations et tourner en rond sur la place, ils hurlaient et semblaient s'arracher les cheveux. Leur effroi était tel qu'ils ne nous virent pas arriver. Puis ils disparurent dans le bois tout proche. Nous n'entendîmes plus alors que des gémissements.

 

 Nous étions quatre. Nous étions convenus de rester groupés. A l'entrée de la case la plus proche, nous croisâmes un des nôtres qui en sortait, les bras chargés de victuailles et d'un sac qui devait peser son poids, à voir avec quelle difficulté il parvenait à maintenir l'ensemble contre son corps. Il ne leva pas les yeux sur nous et s'en fut vers un groupe d'individus qui lui faisaient de grands signes.

 

 L'intérieur de l'habitation était sens dessus dessous. Nous ne connaissions pas son état avant l'arrivée des « conquérants », mais on pouvait facilement deviner que ce désordre était l'œuvre de ces derniers. Que cherchaient-ils ? Evidemment des trésors, des richesses, peut-être de l'or ou des pierreries. Sur le sol étaient répandus des fruits, sortes de bananes mais plus grosses et moins longues que celles que nous connaissons, certaines écrabouillées sur des linges fripés entassés sur le sol, parmi des tessons de céramiques et de verreries. Cet énorme tas de linge nous intriguait. En le soulevant, une jambe apparut, un corps dénudé couvert de sang. Nous restâmes là, un long moment figés, terrifiés. De ma vie je n'avais vu un cadavre. Des horreurs, oui, comme gardien de prison, j'avais plusieurs fois dû intervenir pour prévenir ou empêcher un suicide ou un meurtre, cela faisait partie de mon travail, et puis quand on est dans l'action, peu de place est laissée à l'émotion. Mais ici, quelques heures, que dis-je quelques minutes après notre atterrissage sur Astrée, je me trouvais, désemparé, au-dessus du cadavre ensanglanté d'une jeune fille, ou plutôt, vu la petite taille du corps : d'une adolescente à qui j'aurais donné à peine douze ans.

 

 Un crime avait été commis. Par l'un des nôtres. L'homme que nous avions croisé avait disparu, on l'avait seulement vu se fondre dans le groupe de Terriens qui occupait le centre de la place. D'ailleurs là-bas, tout ne semblait pas aller pour le mieux. L'écho de discussions assez vives parvenait jusqu'à nous, nous observions cela de loin depuis l'entrée de la hutte. Je ne saurais dire pourquoi nous restions plantés là. Emotion, stupeur, nous ne savions quoi dire, d'ailleurs aucun d'entre nous n'avait prononcé le moindre mot depuis notre triste découverte. Mais l'indignation ne devait pas tarder à prendre le dessus. Nos regards se croisèrent. L'un de nous retourna près du corps pour s'assurer du décès, ce que nous avions déjà fait plusieurs fois. Il revint sans rien dire, faisant un signe négatif de la tête.

 

 Pourquoi restions-nous plantés là ? Parce que nous étions impuissants. Disons-le sans détour : par lâcheté. Parce que nous avions peur des « nôtres ». Je ne sais pourquoi je continue à les appeler ainsi... Ils se disputaient . Allez savoir, peut-être simplement à cause d'un désaccord concernant le partage du butin ? Et nous serions arrivés, en justiciers, la gueule enfarinée, pour leur asséner une leçon de morale, pour leur tenir un discours philosophique sur la fraternité humaine, l'inviolabilité des droits humains, pourquoi pas sur le bon sauvage ? En insistant sur la chute de l'homme, survenue ce jour à chasser de nos mémoires où un premier dit : « Ceci est à moi ! ». Non. Je n'ai jamais autant maudit les philosophes qu'aujourd'hui. Et au cours de ma vie, face aux difficultés, quand sang froid et réflexion étaient nécessaires, les philosophes ne furent d'aucun secours, je les trouvai même encombrants.

 

 Peut-être me trompai-je sur la moralité de ces hommes, ces disputes auraient pu être le signe d'un désaccord sur leur manière d'agir, certains se montrant plus humains que les autres ? L'expression de haine que nous lisions sur les visages de ces individus attroupés et débattant bruyamment sur cette place nous dissuada d'intervenir. Pour le moment. Car le groupe se dispersa à nouveau, et comme quelques-uns retournaient vers la navette, nous les interpellâmes. 

 

  • - Nous avons découvert le corps sans vie d'une jeune fille dans cette hutte.

 

Ils nous dévisagèrent, j'en reconnus certains. Il faut rappeler que les passagers de cette navette était tous du secteur « Thüringerwald » dans l'arche Sesostris. D'origine asiatique ou germanique, nous vivions en bonne entente dans la même région, entre Weimar et Erfurt, et nous parlons la même langue. Surpris, ils nous suivirent. La vue du cadavre les laissa aussi muets que nous. L'idée nous vint d'aller chercher de l'eau afin de nettoyer les souillures et le sang sur le visage et le corps, avant de recouvrir celui-ci. Mais l'eau ? L'idée nous vint: y avait-il de l'eau chez ces gens-là ? On ne peut pas vivre sans eau. Nulle part. Les Gens du Voyage nous auraient-ils secourus pour ensuite nous condamner à  mourir de déshydratation à quatre années-lumière de chez nous ?

 

 Nous parlementions à l'intérieur de la hutte, quand j'entendis cet appel de Jennifer : « Zhu ! » venant du dehors. A contre-jour se dessinait la silhouette d'un taureau debout, les cornes dressées. A ses côtés se tenait, immobile et soutenue par deux jeunes hommes la femme âgée de tout à l'heure. Ils étaient entourés ou plutôt suivis d'un groupe d'hommes, de femmes et d'enfants, ceux qui étaient restés près de nous au pied de la navette. Le chaman fit quelques pas en arrière, comme pour nous laisser le passage. Nous sortîmes. Il s'écarta à son tour. Escortée des deux hommes, la « souveraine » entra (Zhu s'autorise cette qualification, ce que nous observâmes de ce peuple par la suite lui donna raison. Tchang). Le chaman baissa la tête, les cornes frôlèrent le linteau de l'ouverture. Un long silence s'ensuivit. Nous ne pouvions rien voir, nous étions en pleine lumière et l'intérieur de l'habitation était trop sombre. Jennifer se colla contre moi, me dit que les enfants étaient en sécurité près des tentes qui avaient été déchargées avec le reste du matériel et des bagages, puis montées en cercle autour d'un feu. La navette était repartie vers Sesostris pour débarquer d'autres migrants.

 

 Pour nous, il n'était plus question d'aller chercher de l'eau, ni même de nous approcher du corps. Nous nous sentions coupables. Les indigènes du groupe à l'extérieur ne levaient pas la tête sur nous, mais sous leurs arcades proéminentes qui abritaient des yeux qu'on avait déjà remarqué petits et perçants, nous devinions le regard accusateur. D'ailleurs ils marmonnaient, de leur groupe nous parvenaient des sons bizarres, qu'on ne pouvait comparer à aucune des langues connues de nous. De ces gens on ne peut dire qu'ils parlent, mais plutôt qu'ils émettent des grognements qu'ils accompagnent de gestes, de mimiques, si bien que pour se comprendre, ils sont dans l'obligation de se regarder. Voir, tendre l'oreille, geindre et gesticuler tour à tour, voilà quels sont leurs moyens de communication.

 

 Un grognement nous parvint de l'intérieur de la case. Aussitôt quelques indigènes y entrèrent. Ils en ressortirent quelques instants après, portant le corps de la défunte emmailloté dans des linges, suivis de la reine et de ses guides. Celle-ci regardait droit devant elle, nous formions sans le vouloir une haie d'honneur. Dans ma poche, mes doigts caressaient la surface de la hache en jade.

 

 J'aurais voulu revenir quelques heures en arrière, débarquer à nouveau sur cette planète, courir vers ces gens, leur parler.

 

 

                                                                §

 

23/11/2009

XIV- Nous sommes des dieux, puisque venus d'en haut

       

  Terrible. Je croyais connaître la nature humaine. Je me trompais. La nature humaine, la vraie, il faut la transporter sur une autre planète pour la découvrir. Là, on a tout le recul nécessaire pour la considérer. Je l'ai vue à l'œuvre. Dès notre arrivée. 

 Astrée est habitée. Dès l'approche des navettes, ils nous regardaient comme des dieux. Nous sommes des dieux, puisque venus d'en haut. Certains prosternés, d'autres levant les bras au ciel, ces ... comment les appellerais-je... ces sauvages ou plutôt ces indigènes sont nus, plus petits que nous, mais plus forts et couverts de poils sur les épaules et la poitrine, surtout les hommes. Ils n'ont pas l'air méchants. En nous voyant sortir de la carlingue, leurs premiers cris étaient plutôt d'allégresse. Aucun n'était armé. Femmes ou hommes portant des enfants dans les bras accouraient de partout. Certains prenaient la fuite, mais pour revenir portant des fleurs ou des sortes de fruits pour les déposer à quelque distance de la navette. Ils avaient un peu peur, ou était-ce la distance imposée par le respect pour ces êtres surnaturels que nous sommes ? Peut-être étions-nous les premiers venus du ciel ? Les gens du voyage qui nous avaient portés jusqu'ici ne s'y étaient probablement jamais arrêtés, ou comme à leur habitude y étaient-ils seulement passés. Bref, il y eut quelque chose de divin dans notre arrivée sur cette planète : la navette qui dut leur sembler gigantesque, le bruit infernal, le rougeoiement de l'air, la chaleur, la projection des poussières, et puis le silence, l'ouverture d'une porte, l'apparition d'un être bipède vêtu d'une combinaison d'argent, puis d'autres derrière lui, les reflets et les éclats de lumière sur les casques.

 De vieilles histoires me revenaient en mémoire.

 

« J'eus donc une vision : Du nord soufflait un vent impétueux, un gros nuage avec une gerbe de feu rayonnante, et du centre, sortant du sein du feu, quelque chose qui avait l'éclat du vermeil.

 Au centre, on distinguait l'image de quatre êtres qui paraissaient avoir une forme humaine. »

 

 Cette vision, pour Ezéchiel, c'était l'image de la Gloire du Seigneur. Car il fut un temps où des dieux un jour vinrent sur la Terre. Partout ils laissèrent des traces que ni la mer ni le vent ni le temps n'effacent, des traces prégnantes, dans les mémoires, les légendes, les sagas, les traditions, dans la mythologie, les livres sacrés. Le prophète les avait vus, il tomba face contre terre. Il entendit une voix :

 

« Fils d'homme, debout, que je te parle ! »

 

 Cette voix, pour Ezéchiel, c'était la voix du Seigneur.

 

Mais aujourd'hui sur Astrée, l'attitude des conquérants n'est pas divine, loin de là. Première réaction, dès l'arrivée des premiers indigènes : l'effroi. Il fut de courte durée. Les voyant nus, certains d'entre nous se mirent à glousser, à échanger des sourires entendus. On masqua les yeux des enfants. Des femmes rentraient précipitamment dans la navette, alertant les autres qui redoublaient alors de curiosité. Des hommes se bousculaient aux portes pour profiter du spectacle. Les natifs du lieu accouraient de partout, de plus en plus nombreux. Quand toutes les passerelles furent descendues, en quelques instants, des centaines de Terriens s'agglutinèrent au pied du vaisseau. Les plus hardis s'approchaient des sauvages, leur tendaient les mains, leur adressaient des mots ou plutôt des exhortations dans leur langue c'est-à-dire en germain, un langage incompréhensible pour ces gens, bien entendu.

 

 Je ressentais de la honte. Malheureusement, ce n'était qu'un début. Car les natifs d'ici se prosternaient, certains osaient s'approcher, portaient des présents et les déposaient à nos pieds. Et plus ils manifestaient leur gentillesse, plus évidente était la chaleur de leur accueil, certains dansant, d'autres accompagnant leurs chants de gestes plaisants, plus les rires se faisaient entendre au sein de notre attroupement. Pauvres de nous. Les siècles des siècles d'histoire de conquêtes et de cruauté, de colonisation, de mépris pour les gens d'ailleurs, d'une autre couleur de peau et porteurs d'autres coutumes, des siècles de xénophobie et de racisme n'auront donc servis à rien. Nous en sommes toujours au même point. Au-delà de nos frontières, les barbares.

 

 Pour un peu, je fermerais cet agenda. A quoi bon laisser à la postérité un témoignage aussi douloureux sur des actes lamentables ? C'est difficile pour moi de décrire ce que j'ai vu et entendu. Pensez donc : des amis, oui des amis de longue date, des gens très bien, qui avaient su éduquer leurs enfants, des gens très pieux, ou porteurs d'idées humanistes, en quelques heures, que dis-je en quelques instants se changèrent en brigands.

 

 Après réflexion, je ne m'accorde pas le droit d'oublier les actes odieux dont j'ai été le témoin et que nous n'avons pu empêcher. Si un jour ces lignes sont lues par des hommes, ils sauront qui étaient leurs pères.

 

 Tout commence par un mouvement de foule. Après avoir dévoré goulûment les fruits gracieusement offerts par les sauvages, plusieurs centaines de Terriens ayant repéré ce qui ressemblait à un village (ce n'étaient en fait que des huttes sommaires faites de paille et de boue séchée), se dirigèrent dans cette direction. Ayant entendu certains propos, il était facile de deviner leurs intentions : s'offrir à bon compte un gîte pour la nuit.

 

 Il ne resta au pied de la navette qu'un petit groupe de Terriens. Les indigènes étaient partagés, indécis, certains se lancèrent à la poursuite des conquérants -c'est bien ce que nous sommes- des conquérants donc qui, sans se soucier du reste, filaient bon train vers les huttes. D'autres restèrent avec nous, les plus hardis s'approchant jusqu'à nous toucher. Nos combinaisons étant devenues inutiles -l'air est parfaitement respirable sur Astrée bien qu'un peu riche en oxygène- nous nous en étions débarrassés, ôtant aussi nos casques. Je tendis le mien à un homme qui m'observait de pied en cape. Il fit un pas en arrière. Je ne bougeai plus, mon bras tendu dans sa direction. Il revint lentement et leva les mains dans la direction du casque. J'avais oublié que ce dernier était relié par des câbles à la combinaison. Il me fallait déconnecter les deux parties. Cette fois, mon vis-à-vis resta sur place. Il semblait avoir compris mon intention. Nous étions une vingtaine d'hommes de femmes et d'enfants civilisés, il y avait autant de sauvages, et tous les regards étaient fixés sur cet homme qui tendait les bras dans ma direction. Il prit délicatement l'objet dans ses mains, l'examina, le tourna puis le retourna à plusieurs reprises. Finalement il le souleva, aussi haut qu'il put, on eût dit qu'il portait un trophée. Le casque redescendit lentement jusqu'à se poser sur le haut de son crâne, ce qui déclencha les rires de ses congénères. Ces gens savaient rire. Cela décrispa ceux de notre groupe, on avait affaire à des êtres qui nous ressemblaient, peut-être même à des humains.

 

 Escortée par deux jeunes hommes, une femme s'approcha jusqu'à quelques pas de moi. Seule personne habillée parmi les indigènes, elle portait un ample vêtement sans manche qui l'enveloppait jusqu'aux pieds, ceinturé à la taille par une corde tressée incrustée de perles (en ambre ?) et fermé au niveau de la poitrine et des jambes par des fibules de  même couleur que les pierres qui décoraient ses bracelets. Son cou était ceint d'un torque en corde ornée sur le devant d'une grosse pierre centrale entourée de petites perles de même couleur que les autres éléments de la parure : bleues. Comme elle pliait les genoux dans une sorte de révérence, son visage se crispa trahissant la douleur. Elle semblait âgée, et tremblait de tout son corps. Elle posa quelque chose dans la main de l'un des deux hommes. Celui-ci s'agenouilla et plaça délicatement l'objet devant mes pieds. Polie, brillante, d'un vert turquoise, c'était une hache. J'entendis Jennifer me chuchoter à l'oreille : « jade... jade jadéite bleu ! »

 

 J'allais me baisser pour examiner ce joyau, quand des hurlements se firent entendre. Ils provenaient du village. Les indigènes étaient aussi surpris que nous, ils étaient même effrayés. Ils se mirent à courir dans tous les sens. La femme restait sur place, soutenue par ses deux accompagnateurs. J'aurais voulu rester auprès d'eux, mais ce fut plus fort que moi, je m'emparai de la hache et, laissant Jenny et les enfants sur place en compagnie de quelques autres, je courus en direction des huttes.

 

§

 

 

04/11/2009

XIII- Nous sommes à plus de quatre années-lumière de la terre

 Cher ami,

 

 Voici une suite du journal de Zhu. Je dis bien « une », car il semble qu’il nous manque des feuillets. Ou alors notre chroniqueur s’est endormi pendant le voyage ! Probable.

 

 

Suite du journal de Zhu :

 

 

 Je ne me rappelle que le départ, et encore, j’ai dû m’endormir avant la grande envolée, car je n’ai rien ressenti, aucune sensation d’écrasement… Jennifer et les enfants ne se souviennent de rien. Jenny soutient que le voyage n’a duré que quelques minutes. Comment serait-ce possible ? Nous sommes à plus de quatre années-lumière de la terre ! Inutile de consulter le calendrier de nos montres : elles se sont arrêtées au moment précis du départ. Quand à nos poils de barbe, on dirait qu’ils ont été rasés le matin même !

 

 Bref, nous allons poser le pied sur une planète inconnue… de nous. Quand l’arche s’est immobilisée, à quelques dizaines de kilomètres au-dessus du sol, les hublots se sont ouverts, la porte aussi. Un Rom est apparu pour nous dire que nous allions rapidement embarquer dans les navettes. Rapidement, c’est vite dit. Sachant que les navettes emportent au maximum un millier de personnes avec bagages, et que l’arche est équipée d’une dizaine de ces aérobus, il faudra au minimum deux jours -des passagers ont calculé une soixantaine d’heures pour deux journées et deux nuits-(1) pour débarquer le million d’occupants de Sésostris. Et encore, ce n’est pas le plus grand vaisseau. Chéphren et Mentouhotep ont embarqué à eux deux 9 millions d’individus plus des équipements lourds genre engins de travaux publics !. Nous aurons donc largement le temps de contempler le spectacle depuis le hublot.

 

  Ce soleil qu’on a vu une fois se lever et une fois se coucher, beaucoup plus petit que le nôtre, (ou peut-être est-il plus éloigné de nous) ce soleil s’appelle Proxima du Centaure. Les « Je-sais-tout » qui sont nombreux parmi les passagers de l’arche, rendus aussi plus prolixes par l’angoisse qui les étreint -étaler son savoir rassure- affirment que Proxima est lui-même un satellite d’une étoile double : Alpha du Centaure. Il accomplirait une révolution complète en trente mille ans. Sa lumière nous offre une vue magnifique sur les reliefs d’un astre ma foi très semblable à la Terre. De grandes étendues d’un bleu profond, probablement des mers, parsemées d’îles ou d’îlots. Ne connaissant pas la distance qui nous en sépare, il est difficile d’apprécier les dimensions des surfaces que nous survolons. De grands espaces bruns ou verdâtres, des plaines, des forêts ? Pas de glace ni de neige. Aucun mouvement si ce n’est celui de quelques nuées au-dessus des eaux. Certes, survolant la Terre à cette altitude, nous n’aurions pas décelé plus de mouvement.

 

 Première nuit passée au-dessus du nouveau monde. Bien dormi. Les enfants s’impatientent. Autre problème : les réserves de nourriture s’amenuisent. Pas de gâteaux pour accompagner le café. En fait, nous avions très peu emporté, les Roms nous ayant dit qu’il y avait le nécessaire à bord. Mais j’en doute. Cela me confirme que le voyage a duré très peu de temps. Peut-être avons-nous hiberné ? Les ours ne se nourrissent pas pendant leur long sommeil !

 

 Embarquement dans la navette pour les gens du Secteur « Thüringerwald ». Le plus étonnant est le silence de ces engins. Toutefois, à la différence de l’arche, nous ressentons les effets de l’accélération. Nous plongeons. Impressionnant. Les enfants ne sont pas plus inquiets que sur les descentes en cascades des fêtes foraines ! Jennifer ne quitte pas le hublot des yeux. Ralentissement. Nous ne voyons plus rien. Nous traversons une couche de nuages. Enfin le sol apparaît. Pas de villes, peut-être allons-nous atterrir dans une région inhabitée. Ou peut-être cette planète est-elle elle-même inhabitée. Nos sauveteurs ont été si peu loquaces ! Nous ne savons rien de ce monde que le destin nous octroie. Je réalise que jusqu’à cette heure, nous avons surtout pensé au monde que nous quittions, que nous fuyions. De celui qui est sous nos pieds, à quelques centaines de mètres maintenant, nous ne savons rien. Le sol est proche. La navette ralentit brusquement. Nous sommes écrasés sur nos sièges. Les enfants ont mal aux oreilles. Un bruit d’enfer. Je ne vois rien vers le bas, je suis trop loin du hublot. Jennifer me fait signe que nous sommes en contact avec le sol. La porte du compartiment s’ouvre. Une jeune Rom apparaît dans un magnifique ensemble multicolore :

 

-  Mesdames et Messieurs, bienvenue sur Astrée de Proxima, dans la Constellation du Centaure ! 

 

 

(1) Ils avaient bien calculé : il faut trente heures à cette planète pour se présenter globalement à son soleil. (note de Tchang)

 

 

§