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06/08/2009

III/ Laisser le verrou ouvert c'est pas normal

 

 Cher ami,

 

 Je t’envoie la traduction du deuxième feuillet (tu sais à quel point mon père était méticuleux, quand il n’était pas sûr, il laissait un blanc)

 

 

Ils jettent les bonbons pour manger. Tous les ……………………  courent partout. J’entends les pas au-dessus aussi. Claquent les portes …………………  la nôtre fermée. …Hermann ? sa radio pas …………………. Zhu arrive dit : tout le monde doit avaler les gars. Il remet pas le verrou. ……………………Julia ? dit aussi avalez. On le fait…………… ……… infirmière. On le fait. Ils ont peur. Moi aussi parce que……………… ………laisser le verrou ouvert c’est pas normal. Cache le journal Franz. Oui le bocal. Sous la planche. Non en creusant. Ils …………………… la terre sous la planche du ……………………. Les autres au fond ils …………………… y en a qui pleurent……………… … ont compris. Non ……… cacher sous la terre. On est tous dans le journal ……………………… nos pensées. Tous ensemble. Zhu ………………… pas. La porte personne n’y va Franz oui. Il fait signe. Attends j’écris les noms de nous pour ……………………avec le reste. Je vous aime tous les gars. Franz ………………… ? Gunther, Jennifer, Hermann, Ida, Friedrich, Franz, Heinrich, Julia, Ralf, William, Hermann (un autre), Peter, Nils,  moi je suis Ludwig.

 

 

 

§

 

17/07/2009

II- Je crois qu'ils veulent en finir avec nous

 

Huang Di (1) an 122 908 (2)

 

 Cher ami,

 

 Comme tu le vois je ne suis pas chez moi sur Astrée, mais chez mon père. Avant sa mort, il avait fait allusion à des documents insolites, là-haut dans ses archives. Depuis quelques jours, j’ai établi mon camp de base chez lui, et tôt le matin, muni d’une torche, d’une combinaison et d’une casquette, dans la poussière et les toiles d’araignées, je passe mes journées dans son grenier. Des montagnes de dossiers, la plupart contenant des lettres d’historiens, d’archéologues ou même de personnalités politiques lui demandant l’exégèse d’un texte, d’une inscription ou simplement d’un mot. Les traductions sont là aussi, il gardait précieusement les doubles de ses travaux. Je mets de côté ce qui concerne Terre. Je te ferai parvenir les documents les plus intéressants. Tu ne seras pas étonné de lire des écrits de prisonniers : ils ont été préservés car insérés par leurs auteurs dans des bocaux hermétiques et enfouis sous le sol de leur cellule. Aucune datation. Le gardien portant un nom bien de chez nous, la prison étant localisée dans une ville du Grand Ouest, je dirais : période de l’Empire de la Grande Asie, au XXXII° siècle (2). Je ne t’en dis pas plus, il y a trois textes, tu comprendras vite de quels événements il s’agit. 

 

Premier feuillet :

 

 

Passau, bloc des nationaux

 

Nous ne sortons plus pour la promenade. Nous vivons …………………… ces quatre murs pourris. Zhu notre gardien préféré ne passe plus. Le seul qui nous adressait la parole. Des gardes que nous n’avons jamais vus nous jettent à manger comme si nous étions des …………………. Infecte, nourriture en ………………. Avant, au moins nous avions droit à des légumes, du jambon ou …………………… du fromage ou des fruits. Maintenant ce sont des sachets, pratique pour eux, ils peuvent …………………… sans ouvrir la porte. Et nos déchets ? On jette ce qui est …………………… dans les toilettes, ça ………………………… de les boucher. Odeur fétide insupportable dans la cellule. Ca dure depuis cinq jours. On demande l’ouverture du ………………………was ist das ? (pas possible de l’intérieur). C’est nein. Qu’est-ce qui se passe ? Et dans le pays ? Au moins pendant la promenade nous avions les informations radio par le ……………………. Et le poste d’………………Hermann ? (récupéré grâce à Zhu) ne marche plus. Ou plutôt si, la diode rouge est ……………………… mais ça …………………………… sur toutes les stations et toutes les ………………… d’ondes. C’est comme si nous étions au …………………… aveugles et sourds. A l’heure du passage des gardes on cogne contre la porte, on appelle, moi je crois qu’ils veulent en finir avec nous. On est de trop. Point final. Pourquoi Zhu ne passe-t-il plus ? Certains commencent à …………………………….

 

 Suivent les commentaires de mon père, ou plutôt un dialogue avec le chargé de mission:

 

-         Le manuscrit ?… vous avez traduit…

 

-         Très difficile, le texte est rédigé en germain. Il a fallu me replonger dans les langues anciennes. Ce que j’ai là, c’est une première page. L’autre est plus longue, une sorte d’ « envoi », comme un testament adressé à des générations futures. Bouleversant.

 

-         Au point de vous mettre dans cet état ?

 

-         Non. C’est après, je lis toujours un peu plus loin, il ne reste que quelques lignes. Terrible. Je ne sais pas si je dois…

 

-         Ils sont condamnés ? Ils vont être…

 

-         Non ! Oui, enfin non, c’est plus compliqué. Ils n’y sont pour rien, personne n’y est pour rien !

 

-         Une catastrophe ? Un incendie dans la prison ?

 

-         Lisez. Je n’ai pas reconnu l’écriture du précédent rédacteur. Tremblante, hésitante, pratiquement illisible. J’ai recopié ici ce que j’ai réussi à déchiffrer. Mais lisez donc.

 

Fin du premier feuillet

 

 

(1) planète satellite de Bételgeuse (étoile Alpha d’Orion)

(2) après Confucius

 

§

 

 

10/07/2009

I- Il n'est pas bon de connaître l'avenir

 

Copie de la lettre reçue ………

 

Astrée (1), an 122 909 (2)

 

 

 

 

 Cher ami,

 

 T’écrire, t’annoncer ce que vous, les humains de Terre allez devenir, est-ce une bonne idée ? Je crains que non. Il n’est pas bon de connaître l’avenir, cela peut coûter très cher, le prix de la liberté.  A quoi servirait de vous mettre en garde, puisque votre avenir est écrit ? Toi, tu ne connaîtras pas la Catastrophe. Elle aura lieu dans les années 2600 de votre calendrier chrétien, d’après les derniers relevés faits sur cette planète qui est donc encore la vôtre pour au moins six siècles.

 

 Oh oui, maintenant je regrette. Mais le mal est fait. Tu ne sauras pas encore tout, mais déjà l’essentiel. Et je me dis que si vos générations sont coupables de quelque chose, c’est d’avoir voulu faire vivre dans les meilleures conditions quinze milliards d’individus. Pour cela, il fallait produire de l’énergie en grande quantité. Hors du nucléaire, point de salut. Sauf à faire preuve d’audace. Eduquer les populations, limiter les naissances, respecter la nature, utiliser la force du vent, la lumière du soleil, la chaleur du sous-sol, que sais-je encore, la force des marées. Conseils faciles à donner… 100 000 ans après. Pourquoi alors ne pas reprocher aux grands-pères de nos ancêtres de n’avoir pas découvert le feu plus tôt ? Pourquoi ne pas tenir grief aux singes de n’être pas devenus des hommes quelques millions d’années plus tôt ? Balivernes de donneurs de leçons. Je n’en fais pas partie, et je voudrais t’entretenir de choses plus gaies… non pas vraiment, mais disons positives, dignes d’intérêt pour toi et tes contemporains.

 

 La surface du globe terrestre n’a pas encore été explorée –loin s’en faut- dans sa totalité, mais les missions scientifiques nous ont appris beaucoup de choses. D’abord, que l’air est devenu respirable pour de courts séjours. Le taux de radioactivité est encore très élevé. La manipulation de matériaux, le creusement du sol, le prélèvement d’objets rendent nécessaires les protections, combinaisons et masques, ce qui complique la tâche des archéologues. L’aspect désolé, brûlé de la surface est confirmé. Quelques traces de vie végétale et animale renaissantes. Depuis quand ? On parle de trente mille ans pour les espèces les plus résistantes aux radiations. Les mers recouvrent les neuf dixièmes de la surface, je devrais dire l’océan ! Paysages inhabituels et non dénués de charme, où les vagues viennent clapoter au pied des montagnes. Les pôles sont dans l’eau. Si la Terre avait encore des habitants, ils seraient navigateurs. Mais je ne sais pas s’ils vivraient de la pêche, quand j’évoquais la vie animale, j’entendais « microscopique », pour l’instant, aucune trace de poissons.

 

 Outre les paysages, les plus belles découvertes ont été faites en sous-sol. Dans les galeries souterraines d’une grande cité d’altitude d’entre les deux Amériques. Je pense à des voies rapides de circulation en tunnels. Tu dois savoir mieux que moi de quoi il peut s’agir. Des fresques extraordinaires, admirables peintures rupestres représentant des véhicules à roues, des aéronefs, et quantité d’autres machines, mais aussi des silhouettes, des corps, des visages humains, féminins pour la plupart. Un important travail de restauration nous attend, car la couleur n’était pas portée directement sur les parois, mais sur des supports souples que l’humidité a rendu fragile, friables. Des inscriptions encore indéchiffrables  accompagnent ces représentations. Les linguistes nous en diront plus.

 

 Peut-être imagines-tu combien c’est douloureux pour moi de connaître votre avenir, de savoir quels dangers menacent votre planète, quels drames vont bouleverser la vie de vos contemporains, de leurs enfants et petits enfants, sans pouvoir rien changer au cours des choses ! J’ai longtemps hésité avant de prendre cette terrible décision : révéler ce que je sais à ceux à qui je dois ma propre existence : mes ancêtres. Je suis un grand enfant, je n’ai pas su tenir ma langue. Non, soyons sérieux. Le secret était trop grand pour moi. Il me fallait le partager. Nous sommes nombreux à savoir, ici sur Astrée. Mais cela n’intéresse personne de connaître le sort qui fut celui des terriens il y a cent mille ans. Pour eux, c’est beaucoup moins intéressant que de connaître la météo du lendemain, les tendances de la mode pour l’été prochain ou le résultat de la finale de Go dans le village !

 

 En fait, nous sommes deux. J’allais dire « dans la confidence »… Essaie de comprendre ma situation, serais-tu resté muet si tu avais connu l’avenir du monde, de tes amis, de tes proches, et de toi-même ? Rassure-toi, je ne sais pas tout ! Je ne peux communiquer que ce dont je suis certain : des faits avérés suite à des recherches sérieuses. Pour parler simplement, je sais en gros ce qui va arriver. Pour toi et tes contemporains, pas d’inquiétude. Au siècle prochain, de grands bouleversements politiques, l’extension des puissances asiatiques sur le monde, de la Chine surtout, et la constitution d’un grand empire concurrent de celui des Amériques. Tu sais déjà que le désastre n’aura lieu que dans 650 ans, et qu’une grande partie de l’humanité pourra y échapper. Alors, carpe diem.

 

Si je t’ai choisi comme destinataire de mes lettres, c’est par pur hasard. Ou presque. Je ne voulais pas m’adresser à une personne connue du grand public. Célébrité et maîtrise de soi ne font pas toujours bon ménage. Je risquais de mettre cette personne dans la position de Cassandre dont les prédictions -pourtant exactes- provoquaient la risée de son entourage, ou dans celle de ces terriens qui avaient vu des objets volants d’origine extra-terrestre et qui, trop longtemps, furent considérés comme des illuminés. Les humains accordent du crédit aux pires sottises… quand elles les arrangent. Pour le reste, ils enfouissent leur tête dans le sable.

 

 A bientôt, amitiés,

 

Tchang Li

 

(1)   Astrée de Proxima, dans la constellation du Centaure. Petite planète pittoresque habitée seulement dans la partie médiane de son hémisphère nord, climat tempéré et sol fertile. Ces caractéristiques sont typiques des planètes de migrants. N’oublions pas qu’elles ont été choisies. On comprend que les humains n’aient jamais cherché à s’implanter dans des régions qui ne pouvaient assurer leur subsistance. La constellation du Centaure compte une multitude de planètes telluriques, mais beaucoup d’entre elles sont invivables pour ces créatures difficiles qui exigent air, eau, lumière, température supportable, ressources naturelles, alternance du jour et de la nuit, rythme des saisons.

(2)   Toutes les datations sont données en années-terrestres après Confucius. Soustraire 550 ans pour la chronologie chrétienne.

 

 

§