30/12/2022
Homo connectus
C’est Argus, il a des yeux partout, tous ses circuits sont toujours en alerte, et opérationnels. Vous n’avez pas dit un mot, il sait qui vous êtes, votre âge, celui d’avant l’invention des puces. Il parle doucement, prend un air désolé, avec une pincée de condescendance. L’usure du temps. Votre appareil en est victime, et encore vous avez eu bien de la chance pendant ces trois longs mois. Bien d’autres rendent l’âme dans leur première enfance. Il vous montre celui-ci, il vous montre celui-là qui ne valent pas un pet de lapin, Homo Connectus a du vocabulaire, des clients lui apprennent les finesses de la langue. Résultat, vous devrez à nouveau dépenser une fortune dans une télé, un ordinateur, un appareil numérique pour les photos, un i-quelque chose, fortune qui fera le bonheur de notre homme, et qui explique le côté caverne d’Ali Baba de son espace vital.
Déploiement incroyable de richesses sur les murs. Montagne de technologie provenant des recherches menées dans les laboratoires les plus performants du monde. Produits de la recherche spatiale, de la nanotechnologie, de la physique nucléaire. Si un extra-terrestre entrait dans la boutique, il aurait sous les yeux ce que l’homme, au bout d’un cycle de dix millions d’années, au prix de mille efforts, de travail, d’espionnage aussi et de guerres, il aurait sous les yeux ce que l’homme a su réaliser pour tenter d’établir les communications, et pour devenir esclave de ses propres inventions. Je me dis que tous ces instruments, s’ils rendent parfois la vie plus facile et amusante, ne changent rien à la mentalité de ceux qui les manipulent.
J’entends des mots. C’est à l’accueil du magasin. Connectus converse avec son employée, désignant du menton deux personnes qui viennent d’entrer.
Homme du vingt et unième siècle, champion de la modernité, dépositaire d’un savoir sans limite dans tous les domaines de la communication, par fil, sans fil ou par satellite, notre homme toise en ricanant deux hommes qui flânent dans le magasin. Ils se tiennent par la main.
à lire dans “Là-bas, tout près” recueil de nouvelles publié aux éditions Vérone.
09:57 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : informatique, modernité, humanité
04/12/2022
Le pacifisme fait feu (de tout bois)
Quoi de plus naturel que de s’insurger contre la guerre? Il n’y a qu’à regarder les images terribles qui nous parviennent d’Ukraine. Quoi de plus révoltant que d’entendre ces va t’en guerre qui, de leur fauteuil, jouent les stratèges, comme s’ils étaient sur le front?
Mais le plus étonnant, c’est d’entendre: A bas la guerre! Comme si la guerre était une idée générale, un concept insensé, hors du temps et de l’espace, une sorte d’incarnation du mal. Les militants pacifistes qui crient “A bas la guerre”, je les connais depuis longtemps.
Ils n’étaient pas contre la guerre d’Algérie, puisqu’ils soutenaient le combat du FLN. Ils étaient les premiers à soutenir la lutte du peuple vietnamien pour son indépendance contre l’impérialisme américain. Dans l’affaire des Maldives (Falkland) ils avaient rapidement choisi leur camp, aux côtés des colonels argentins contre le Royaume-Uni. En 1944 ils étaient probablement du côté du maréchal Pétain, dans un Etat français pacifié, avant que les affreux va t’en guerre anglo-saxons n’envahissent nos plages et mettent le feu à l’Europe!
Pendant et après la révolution de 1917, ils auraient probablement refusé d’armer les ouvriers et les paysans russes qui tentaient de vaincre les armées blanches contre-révolutionnaires. 24 ans plus tard, quand la Wehrmacht était aux portes de Moscou, ils auraient sans doute conseillé au pouvoir soviétique de poser les armes et de capituler afin d’éviter les combats sanglants qui ravagèrent l’Europe jusqu’à Berlin.
Il faut se méfier des va t’en paix qui sont pacifistes quand la guerre ne va pas dans le sens qu’ils voudraient. Pour en revenir à l’Ukraine, jamais ils ne parlent d’une guerre de libération. Et pourtant c’est bien le cas. Libération d’un pays qui subit les bombardements d’un envahisseur qui viole toutes les règles internationales.
J’ajouterai ceci: la cause profonde de leur condamnation de la guerre est qu’ils croient encore au diable. Et leur Satan, c’est l’OTAN, l’Amérique, le capitalisme, l’Europe, l’Occident et, et, et...la démocratie?
§
11:28 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : guerre, paix, ukraine, pacifisme
21/11/2022
Bréville-sur-mer: un spectacle inoubliable
Le professeur Anselme enleva sa blouse et sortit, encadré par deux hommes en uniforme. Les chaînes d’information relatèrent l’arrestation de l’un des plus remarquables oncologues du pays. Plusieurs femmes l’accusaient de harcèlement et d’agressions sexuelles dans le milieu hospitalier. Il fallait s’attendre à un jugement sévère, car vu la position hiérarchique du prévenu, les circonstances seraient aggravantes.
Je n’ai jamais revu le docteur Anselme. Si j’en avais eu l’occasion, que lui aurais-je dit ? Je me rappelai les discussions en classe après le cours de philosophie. Echanges animés entre les adolescents engagés que nous étions: pouvait-on admirer l’œuvre d’une personne dont les actes étaient condamnables ? Rimbaud était un grand poète, mais… Céline un écrivain de talent, mais… Heidegger un immense philosophe, mais… Les jugements contradictoires enflammaient la classe, il ne s’agissait pourtant que de cas qui ne nous concernaient que de loin, des cas d’école. Le professeur Anselme m’avait sauvé la vie. Ni son nom ni le mien n’étaient évoqués dans le manuel de philosophie de terminale. C’est finalement ma fille qui, sans hésitation, avait vu juste: d’abord la vie, ensuite l’essentiel: la lutte sans condition pour les droits et la dignité des femmes.
Je pensais profiter de quelques semaines de convalescence pour me reposer, lire et pratiquer ma passion, la photographie de paysages. Mais Sonia vint interrompre ce beau rêve. Elle avait réservé une place dans les gradins aménagés sur les hauteurs de Bréville-sur-Mer, pour assister au lancement de la fusée qui devait emporter une femme et deux hommes pour la première fois sur la planète Mars. Ayant comme astrophysicienne largement contribué à la mission, voyage, repas et hébergement lui étaient offerts par l’agence spatiale européenne.
Un spectacle inoubliable. Silence dans les gradins, silence sur l’aérodrome, la fumée rougeoyante enveloppe le lanceur qui s’élève. Et quelques secondes après, l’explosion, assourdissante. Trois humains ont quitté la Terre pour un voyage interplanétaire, un grand moment dans notre histoire, à vous faire tout oublier. (...)
(à lire dans "Là-bas, tout près", recueil de nouvelles, aux éditions Vérone)
09:55 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bréville-sur-mer, planète mars