10/10/2022
Ukraine
En 1958 Khrouchtchev proposa aux occidentaux (USA, Royaume-Uni, France et RFA) de transformer Berlin en une “ville libre” démilitarisée. Refus catégorique du maire de Berlin-ouest et des occidentaux qui ont rapidement compris qu’il s’agissait d’une grossière manœuvre visant à intégrer définitivement Berlin dans la zone d’influence soviétique.
64 ans plus tard, soviétique ou russe, la manœuvre reste la même, concernant cette fois un pays entier: l’Ukraine..
Les occidentaux (dont je fais partie) n’imaginent pas encore à quel point la pensée qui est la nôtre est différente de celles qui, de l’Oural à l’Asie, de l’Afrique au Moyen-Orient règlent la vie des hommes. Nous ne pouvons nous empêcher d’imbriquer la morale dans le moindre de nos gestes. Avec toujours ce souci: si je fais ceci ou cela, quelles en seront les conséquences pour les autres? Notre cerveau et notre cœur débordent de considérations qui nous ont été léguées par les philosophes, les Lumières, les abolitions de privilèges, les révolutions, autant de principes généreux qui ont été confortés, enrichis par les leçons que nous tirons des désastres totalitaires, des guerres et du génocide du XX° siècle. Chargés de tous ces bagages, il nous a fallu plusieurs mois pour finalement chasser en douceur 200 zadistes de champs qui ne leur appartenaient pas, de peur que l’un d’entre eux ne se blesse, ce qui aurait provoqué des nuits d’émeute dans toutes les grandes villes de France. Pour à la fin capituler en leur laissant le dernier mot.
Alors qu’à 2000 km d’ici, un homme d’état ravage un pays entier, provoque la déportation de milliers d’habitants, bombarde des théâtres et des hôpitaux, sans aucun respect des traités, surtout sans aucun respect du sort ni de la vie des êtres humains.
Le combat est inégal. Nous pensons trop, c’est notre faiblesse. Il faut espérer qu’à terme, c’est ce qui fera notre force.
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08/10/2022
Réponse à tout
On consultait les astres et les entrailles des animaux. Quand on ne savait pas expliquer quelque chose on attribuait le mystère aux facéties des dieux. Les plus téméraires se mirent à émettre de nouvelles hypothèses. Des gens courageux bousculèrent les idées reçues et transmises depuis des siècles. Certains le payèrent de leur vie, car ces idées convenables et conformes à l’esprit du temps ne devaient pas être mises en cause. Avec les Lumières et les révolutions, les découvertes scientifiques et l’instruction publique, aux forces obscures l’intelligence imposa sa loi. Certes l’école pouvait encore propager des idées fausses mais elle avait cet avantage en transmettant le savoir indispensable de permettre à la jeunesse de s’interroger, d’explorer des territoires inconnus. Si l’on ne trouvait pas la réponse en nous-mêmes, on questionnait un ami, un parent, un professeur. On cherchait dans un livre, un dictionnaire, une encyclopédie. Il n’y avait jamais réponse à tout pour la bonne raison que les humains que nous sommes n’ont pas la science infuse comme on dit, et que le progrès dans les connaissances ne va pas plus vite que la musique. Sans parler des questions fondamentales, celles qui sont la source de tout et sur lesquelles les grands savants de l’antiquité n’en savaient ni plus ni moins que nous.
A ceci près, et c’est le but de mon propos, que les plus sages de nos ancêtres avouaient qu’ils ne savaient pas grand-chose. Il manquait à nos Anciens la technologie qui permet au premier quidam du troisième millénaire venu d’avoir réponse à tout. Dîtes-moi comment notre philosophe de l’âge classique aurait pu connaître l’horaire du ferry menant de son île d’Egine à l’aéroport du Pirée, s’assurer qu’il restait bien une place dans l’avion pour Olympie en classe touristes, que la météo lui permettrait de profiter pleinement du spectacle des Jeux, et une fois arrivé sur les lieux, dîtes-moi comment il aurait pu vérifier que l’alarme protégeant sa villa sur les pentes de l’Olympe était bien activée, en étant dépourvu de ce petit objet qu’on peut aujourd’hui à tout moment sortir de sa poche et qui nous renseigne sur tout cela et sur plein d’autres choses ? Dîtes-moi !
« Qui nous renseigne ». Un petit écran de 8 centimètres nous met au courant, et quand sa réponse n’a pas la précision attendue, au moins il nous tuyaute : partir après 9h pour éviter les bouchons, prendre un parapluie en fin d’après-midi, ne pas manquer d’allumer la télé à 20h pour ne pas louper l’événement du jour, bref ce n’est pas un objet mais un véritable cerveau d’appoint. Il renseigne.
Et ne fait que cela. Car si tout le savoir était contenu dans une boîte, cela éviterait de chercher une réponse en nous-même, de penser, de réfléchir. Cela dispenserait un jour peut-être de questionner un ami, un parent, un professeur. Dans les trains, sur les trottoirs, dans les réunions de famille, sur les bancs de l’assemblée et les plateaux de télévision, au cinéma même et jusque sur les gradins des stades des millions de femmes et d’hommes s’effaceraient, s’inclinant devant cette nouvelle idole certes minuscule, mais toute puissante car portable et supposée omnisciente. Un nouveau culte en quelque sorte. La preuve ? Tentez donc auprès de vos amis de critiquer son usage…Blasphème ! Vous touchez à du Sacré.
Mais le pire, et j’y vois une incidence inquiétante sur le comportement de nos contemporains : ils pourraient croire avoir réponse à tout. Nos Anciens disaient qu’il fallait reconnaître ne pas savoir grand-chose. De cette élégance nous sommes incapables aujourd’hui.
Jusqu’à ces dernières années le téléphone fut un moyen de communication efficace vite devenu irremplaçable. Je me rappelle le jour où il s’installa chez mes parents. Cela fut vécu comme une libération. Appeler le médecin, fixer un rendez-vous, joindre la famille ou des amis, jusqu’à l’horloge parlante qu’on pouvait consulter pour mettre à l’heure tous les réveils et pendules de la maison. Finalement le téléphone fut aussi libérateur que les lave-linge, réfrigérateurs, aspirateurs et autres appareils ménagers qui épargnaient fatigue et soucis.
C’était avant.
Maintenant, collé à l’oreille à la moindre occasion, au volant et dans les situations périlleuses il est un danger public. Son usage dans certains lieux est une incivilité, quand il interrompt une lecture ou une conversation. Il nous impose en outre l’écoute d’entretiens qui ne nous concernent pas. De moyen de communication le téléphone devient souvent un moyen de l’empêcher. Avant il permettait de parler et d’écouter, de prévenir, d’alerter, d’inviter, d’informer et de rassurer. Comme il s’est adjoint des applications diverses, photographie, cinéma, dictionnaire, recherche documentaire, infos en temps réel, heures d’ouverture des magasins, comparaison des tarifs de tout et n’importe quoi, sans oublier les jeux, il a pris la place d’autres outils moins facilement accessibles, journal quotidien, téléviseur, appareil photo, encyclopédie, jeux de société, même si dans certains domaines il n’offre pas les mêmes potentialités.
Les amis d’aujourd’hui se rejoignent sur écran, les voyageurs pianotent leur itinéraire sur Mappy, et quand ils ont tout le confort aux antipodes c’est grâce à Trivago. On peut aussi, sans bouger d’ici, contempler les merveilles du monde sur un écran de huit centimètres carrés. Après tout, que des personnes puissent visiter virtuellement un musée des beaux arts, ou admirer des monuments et des paysages qu’elles n’auront peut-être jamais l’occasion de voir en réalité, c’est bien, c’est un progrès, indiscutable. Mais toutes ces possibilités contenues dans un objet qui tient dans la poche ont un prix. Ce que le papier rendait quasiment impossible, aujourd’hui le téléphone portable le permet : la bêtise humaine se répand en temps réel, souvent anonyme et incontrôlable.
C’est pourquoi je dirai mille fois bravo au ministre de l’éducation quand il interdira le téléphone portable à l’école. Une décision courageuse, non pas seulement à cause du dérangement que cet appareil occasionne pendant les cours, mais surtout : parce que cet instrument est en rapport constant et en temps réel avec le monde et que le rôle de l’école est de couper pour un temps cette relation, marquer une distance avec les rumeurs, les préjugés, les croyances et les réclames de l’univers marchand qui encombrent notre vie quotidienne.
Et puis, les enfants ont-ils besoin à l’école d’un appareil qui (paraît-il) a réponse à tout alors que l’enseignant doit leur apprendre à poser les bonnes questions et penser par eux-mêmes ?
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10:20 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : téléphone portable, connaissance, culture, savoir
09/08/2022
Il faudrait oublier, tout oublier
Mépris des vieux, représentation critique de ce que nous étions, de comment nous vivions, de la société d’avant. Aujourd’hui il est hors de question de dire que c’était mieux avant. Comme le disait très bien – et avec assurance- Michel Serres, avant cher monsieur il y eut des guerres terribles, des millions de morts...alors comparé au pire des attentats qui aujourd’hui ne fait que quelques centaines de victimes... Ironie mal venue cher philosophe, car le malheur et la misère humaine ne se chiffrent pas. Puisque vous parliez des morts, iriez-vous dire que la dernière a fait 40 millions de victimes, quant à Auschwitz et dans l’ensemble de l’univers concentrationnaire nazi “il n’y en eut que 6 millions” ? Oseriez-vous comparer les victimes d’une guerre entre des hommes armés, à l’extermination de femmes, d’hommes et d’enfants pour la seule raison qu’ils existaient? Non vraiment, même si aujourd’hui les guerres ne sont plus mondiales, il y a suffisamment de misère dans le monde pour mettre un bémol au “c’est mieux maintenant”. Et ce n’est pas seulement le problème de la misère. C’est que la bête immonde comme on l’appelait au temps des nazis, cette bête respire encore, même si elle prend des formes différentes. Travestie, elle se dissimule sous les habits de la modernité, avec un programme chargé, une prétendue nouvelle et totale libération des femmes, l’admiration sans borne des peuples autrefois colonisés et qui seraient fondés à juger les descendants et les enfants des descendants des colons d’occident, la condamnation sans appel de tout ce qui ne vient pas d’ailleurs, d’Afrique de préférence. La bête ne tue pas, mais elle veut faire entrer de force dans notre monde les idées qu’elle a dans la tête, elle accuse, elle décrète, elle divise, elle condamne.
Elle veut tout régenter. Décider pour nous comment il faut vivre, ce qu’il faut dire, ce qu’il ne faut pas dire. Elle interdit les philosophes à l’université. Quand elle parle, elle, c’est parole d’or. La Vérité en un mot comme en cent. Au point qu’il nous arrive de nous demander si nous ne sommes pas nous-mêmes restés cramponnés sous l’aplomb rocheux d’une montagne de préjugés vieux comme le monde. Voilà: nous sommes les derniers défenseurs d’une société dépassée, réactionnaire, méprisable. Quand eux, ces clowns qui se prennent pour les hérauts d’un monde nouveau, annoncent avec un courage exemplaire la révolution dans les esprits, les pensées et les mœurs. Courage, oui, car il en faut pour condamner le sapin des fêtes de Noël. Pour s’en prendre au Tour de France cycliste et aux bateaux à voile qui menacent l’environnement. Critiquer et même ridiculiser l’élection de Miss France. S’inviter dans les rêves des enfants pour y faire des ratures. Pour culpabiliser les propriétaires d’un pavillon avec jardin. Certes, pour faire bouger les conservateurs que nous sommes, les explications, même déclamées, ne sont pas suffisantes. Alors ils provoquent, vilipendent les derniers défenseurs de la république que sont les policiers. Ils ont osé le dire : la police s’en prend au peuple, « elle tue ».
Quand des femmes et des hommes en arrivent à de telles extrémités, c’est qu’ils n’ont rien à proposer, rien à construire. Plus ils hurlent, moins on les écoute. Vraiment ? Je n’en suis pas sûr. Car nous assistons à un phénomène qui dépasse largement les élucubrations de quelques écologistes ou gauchistes fanatiques. La fête de Noël et son sapin, le pavillon avec jardin et le Tour de France cycliste sont pour ces nouveaux révolutionnaires des scories d’un passé révolu auquel ils peuvent accoller tous les adjectifs qui confortent leur loi : vieux, dépassé, réactionnaire, bourgeois. Faire fi des traditions, regarder devant nous, voilà ce qu’on entend. Mais comment peut-on dessiner un avenir si nous oublions tout, si nous tirons un trait sur l’histoire qui a fait ce que nous sommes ? Certains vont plus loin, veulent déboulonner les statues, examiner et juger dans le détail ce qui dans notre passé doit être éliminé, liquidé. Ces nouveaux « tribunaux » s’attaquent à ces hauts personnages qui, à une époque, ont participé à la colonisation, au rétablissement de l’esclavage, et qui, d’une manière ou d’une autre, ont agi à l’encontre du progrès humain. Peut-on réécrire l’histoire en affirmant ce jour : « voilà, ce qu’il faut retenir de l’Histoire, c’est ce qu’on vous en dit aujourd’hui !» Qui « on » ? Comme si le jugement de quelques intellectuels sur les siècles passés avait valeur universelle !
Moins violents dans le propos, mais pas moins inquiétants, sont ces gens qui voudraient bien en finir avec les commémorations. Je l’ai entendu : « C’est vieux tout ça... ». Il est plus inquiétant d’entendre que l’extermination de six millions d’innocents, c’est du passé et qu’il faut tourner la page, si c’est susurré par des millions de personnes, que d’entendre que les chambres à gaz n’ont pas existé, si c’est hurlé par quelques fous.
Oui, c’est une évidence, la bête respire encore.
Ce nouveau fanatisme se complait dans une société où nous sommes perpétuellement sollicités par l’attrait du nouveau, du changement, du renouvellement: on zappe, même en plein milieu d’un film. On fait ses devoirs téléphone collé à l’oreille. Abreuvés d’images, les enfants ne sont pas concentrés plus que quelques minutes. Certains connaissent par cœur les slogans publicitaires et ne peuvent - sans s’ennuyer - assister à un spectacle qui fait appel aux sentiments, qui incite à réfléchir. Les lenteurs de la réflexion et de la méditation sont mal vues, moquées. Rien ne compte plus que la rapidité d’exécution, le SMS en trois mots, le clic de la souris. En donnant tous les pouvoirs à l’informatique, on fait la part belle à la débrouillardise, au plus rapide, au plus malin. En accordant la préférence à la technique, on passe un mois de vacances en ne voyant du paysage que ce qui apparaît sur un écran de huit centimètres. Le nez collé aux instruments, on oublie l’essentiel, l’autre, les autres, la vie.
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17:17 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, passé, mémoire