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08/04/2021

Innommables

 

 Les grandes idées ne sont jamais anonymes. C’est aux pénitents de porter la cagoule, aux bandits de masquer leur visage pour échapper à la justice. Les idées et les actes qui ont changé le monde furent toujours œuvres humaines, résultats de la pensée, du travail, du courage aussi de femmes ou d’hommes en chair et en os. Certes il leur fallut parfois se cacher, agir secrètement, pour échapper à la répression d’un pouvoir tyrannique. Mais la clandestinité n’est pas l’anonymat. Quand pour faire entendre sa voix, on risquait sa vie et celle de sa famille, quand pour libérer un peuple on devait rester dans l’ombre… mais pourquoi parler à l’imparfait ? Que des opposants au régime iranien se cachent, qui leur reprochera ? Qu’en Chine les internautes s’abritent derrière un pseudonyme, qui s’en offusquera ?

 

 Des personnes confortablement installées en société démocratique, voudraient préserver leur liberté en se cachant! Les propos déshonorants, attaques à la personne, injures, dérives antisémites, négationnistes et néo-nazies, sans parler des textes et photographies diffusés par des pédophiles sont-ils l’expression de la liberté ? Serait-ce une atteinte aux libertés démocratiques de les interdire ? L’anonymat est trop souvent l’innommable. La lâcheté de ces-auteurs-qui-n’en-sont-pas est à la mesure de l’irrationalité de leurs élucubrations. Qu’on les contraigne à décliner leurs noms, ils disparaîtront.

 

 Mais c’est un combat perdu d’avance. Les séraphins qui hurlent aux lois liberticides quand on propose d’interdire la dissimulation de son visage sauf en période de carnaval, qu’on autorise la police à ouvrir les coffres des voitures pour éviter les attentats et combattre le trafic de drogue, qu’on passe au scanner les passagers en aéroport, qu’on interdit le port de la cagoule aux manifestants, qu’on installe des caméras qui permettent d’identifier les délinquants, nos bons angelots clameront qu’au nom de la liberté il est interdit d’interdire, et que la démocratie consiste à tout permettre. Quitte à cultiver l’irresponsabilité. Un raisonnement qui tient la route ! Par sa tenue provocante la jeune fille violée l’avait bien cherché, l’agresseur de la vieille dame était dans le besoin, le père qui maltraite ses enfants avait lui-même été maltraité, le pédophile avait été violenté dans son jeune âge, les caïds de banlieue sont en désespérance, le terrorisme est lié à la misère, le port du capuchon, de la casquette ou du foulard sont autant d’expressions d’une identité culturelle que la société occidentale s’efforce d’annihiler. Quant aux victimes, la jeune fille, la vieille dame, l’enfant maltraité ou violé, le locataire d’un logement en banlieue qui a peur de rentrer chez lui, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. A eux il est interdit de se plaindre.

 

Alors que sur le net, on continue en cachette à déverser des propos immondes sur tout et sur rien, quelle importance ? Je dirai cependant à ces chaperons de la délinquance dissimulée que je n’ose imaginer le mal que ces innommés de la toile pourraient faire si un régime du type Vichy voyait le jour. Il y eut à l’époque quantité de dénonciations anonymes. Alors, à l’échelle d’Internet…

 

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23/12/2020

Anonyme

 

 
 Qu’elles furent horribles ces dénonciations qui minèrent la résistance et la France entière dans les années noires ! Les causes en étaient diverses : jalousie, vengeance, un mari dont on voulait se débarrasser, quelques milliers de francs, un logement convoité. Il y avait aussi l’opinion politique, les ressentiments, l’anticommunisme, l’antisémitisme. Une simple lettre non signée, et hop, dans la boîte ! La poste et la Gestapo faisaient le reste. D’autres qui collaboraient ouvertement ont pu être retrouvés et jugés. Pas tous.

 Des femmes qui n’avaient dénoncé personne ont été tondues par des résistants d’après guerre. Les gros poissons, eux, ont gardé leurs cheveux et parfois c’est terrible à dire : leur liberté. Interpellés et condamnés à mort, beaucoup ont vu leur peine commuée en détention. Certains dénonciateurs qui avaient livré des noms à la Gestapo (pour une prime de quelques milliers de francs) étaient déjà remis en liberté dans les années cinquante. Imaginons ce que pouvaient penser les résistants survivants dont les réseaux avaient été démantelés, et dont les camarades dénoncés avaient été fusillés.

 A son tour l’épuration ne fut pas très belle. Elle aussi donna lieu à des dénonciations. Mais cette fois, comme la discrétion n’était plus nécessaire pour agir, les dénonciateurs clamaient haut et fort leur aversion pour nazisme, pétainisme et collaboration. Quand on a la morale et l’opinion avec soi, on peut agir en son nom propre, l’anonymat perd sa raison d’être. De là à se réjouir de voir des femmes sans cheveux promenées sur des charrettes, une croix gammée agrafée sur la robe… sur des photos on voit même des enfants rire ! Terrible. Lire le livre bien documenté de Yves Lecouturier : 1944, l’épuration en Normandie. Aussi le beau livre de Irène Nemirovski : Suite française. 

  Il y a quelques mois un président fut gravement mis en cause par une personne dont on ignore le nom. Un minimum de jugement aurait permis à l’élu attaqué de déclarer devant toute la presse qu’il ne s’était rien passé puisque de l’inexistence de quelqu’un on ne peut tirer quelque discours que ce soit.

 L’événement serait insignifiant si la société dans laquelle nous vivons n’était pas peuplée de personnes qui n’ont ni nom ni adresse et qui pourtant laissent des traces partout où elles passent. Du point de vue pratique, cette manière d’inexistence offre des avantages. On peut dire tout et son contraire, alimenter des rumeurs, harceler les gens sans défense, et même appeler au crime sans être inquiété ni même contredit. On peut déverser des flots de haine et dormir sur ses deux oreilles : le cauchemar est réservé aux victimes. Car la pire des offenses est celle diffusée dans le noir total, tellement invisible qu’on a l’impression qu’elle vient de partout.

 Puissance de l’invisible ! Voilà trois millénaires des hommes s’inclinèrent devant quelque chose qui échappait totalement à la connaissance sensible : inaudible, impalpable, inodore et invisible. Quelque chose qui était au-delà de tout : invariable et permanent alors que la lune et le soleil passaient et disparaissaient, invulnérable car intouchable contrairement aux idoles, statues qui n’avaient de consistance que celle de la terre cuite ou du marbre. C’est son invisibilité qui fit de Dieu un être unique, universel. Et si la terre ou le marbre ont pu le représenter urbi et orbi, jusque dans les contrées les plus reculées de la planète, cela n’est dû qu’à la faiblesse humaine qui ne peut s’empêcher d’affubler d’une silhouette, d’un sexe et pourquoi pas d’une barbe l’Inconnaissable. 

 Mais l’invisible accusateur d’un président ne sera jamais sculpté dans le marbre, on peut l’espérer. L’événement montre à quel point nos sociétés sont en proie à cette maladie : l’irresponsabilité. Un comportement qui contamine la classe politique jusqu’au plus haut sommet de nos démocraties. J’insiste sur « démocraties ». Car il y a des situations qui obligent des personnes courageuses à publier sous le manteau. Rappelez-vous le samizdat en Russie soviétique. Il en fallait du courage pour exprimer une opinion, même en cachette, en sachant qu’au bout il y avait le risque de la déportation ou d’une mort plus expéditive. C’est loin d’être le cas dans des états dont les membres, sujets ou citoyens, jouissent des libertés fondamentales.

 Mais voilà que nos journalistes relèvent d’abord ce qu’affirme l’accusateur anonyme. Ils commentent à longueur de temps des propos qui n’ont aucune espèce d’importance puisqu’ils ne sont pas signés. Que vienne le temps où une femme ou un homme, devant les caméras ou par écrit à la une d’un grand quotidien, dira à la personne la plus influente de l’état que le premier irresponsable du pays, c’est lui ! Condamner l’anonymat certainement, mais d’abord remettre une déclaration sans queue ni tête à sa place : aux annonces gratuites.

  Combien il est difficile aujourd’hui de demander à quelqu’un de signer ce qu’il écrit ! Consultez les réseaux « sociaux » : vous aurez un aperçu de ce qu’il faut bien appeler un deuxième monde, celui des inconnus. Ils profèrent des avis sur tout, en particulier sur ce qu’ils ne connaissent pas. Ils ne citent pas leurs sources. Ils peuvent recopier des pages entières ou reproduire des images sans demander rien à personne. Au moindre problème, rien ne les empêche de changer de « pseudo ». Irréprochables, inattaquables, invulnérables. Mais le plus inquiétant : cela semble ne choquer personne. Quel chemin parcouru depuis l’époque où les plus grands artistes –par pudeur ou respect pour ce qu’ils représentaient- ne signaient pas ce qu’ils créaient. Mais c’étaient des œuvres. 

 L’anonymat n’est pas condamnable en soi. On peut aussi être amené à se cacher pour échapper aux persécutions, ou pour lutter contre un régime honni. Ne pas révéler son identité peut être une preuve d’humanité. On pourra ne pas connaître l’identité de celle ou de celui qui fait un don. La discrétion accompagne les plus beaux gestes.  

 

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21/11/2020

Il aurait fallu

 


 Sacrebleu ! Pas seulement sur les plateaux de télévision, sur les réseaux sociaux, mais aussi au téléphone, dans ma rue, et jusqu’ici, partout. Ils sont partout. Les médecins. Et encore je suis modeste. Je devrais dire les spécialistes. On savait les Jesaistout déjà nombreux dans le pays. Comme certains virus, ils ont le pouvoir de muter. Et les voilà devenus –par quel miracle allez savoir- virologues.

 Entouré comme je le suis, je me soucie de moins en moins de ma santé. Comment craindrais-je quelque chose ?

 Certes il y avait déjà cette tendance dans notre pays à se passer du cabinet médical. On appelait cela l’automédication. Des paroles de ma mère me reviennent : « Si c’était pour me dire ça, j’aurais bien pu me soigner moi-même ». Car pour elle comme pour beaucoup, la médecine devait être une science exacte, un peu comme les mathématiques -qu’elle enseignait d’ailleurs. Virus + diagnostic + médicament = guérison. Seulement voilà, on n’agit pas sur la maladie comme sur une équation du second degré (elle était en collège). La compétence indiscutable d’un professeur dans le domaine mathématique n’implique pas automatiquement l’irréfutabilité du diagnostic établi par le médecin, surtout face à une maladie inconnue.

 C’est ce qui se passe en ce moment. La médecine est impuissante, par manque de connaissances et de moyens. Par conséquent, le gouvernement aussi, qui doit agir sans hésitation, mais aussi sans paniquer les êtres faibles que nous sommes.

 Et pendant que les responsables scientifiques, soignants, politiques et gouvernants affrontent la plus grave crise que le monde ait connu depuis la guerre, il y a ce pékin à deux pas de chez tout le monde qui dit : « Il aurait fallu… », « Il n’y avait qu’à… », « Moi ce que j’aurais fait… », ou encore « On s’y est pris trop tard… ». Quand quelques semaines plus tôt il disait que le gouvernement exagérait l’importance de l’épidémie pour faire oublier des mesures politiques désastreuses.

 Virologues, médecins et maintenant gouvernants. Il y a dans notre pays des millions de présidents de la république potentiels. On peut se dire en aparté « heureusement qu’ils ne sont que potentiels ». Mais ne le crions pas trop fort, car la propagation du virus crée des tensions. Regardez les gens se battre devant les magasins pour un rouleau de papier toilette. Quand la bêtise est à nos portes, la violence l’accompagne.

 Dans ces conditions, la solution, c’est de confiner tout ce beau monde. Cloîtrés chez eux, on entendra moins les imbéciles, et comme en plus c’est la seule façon d’en finir avec l’épidémie, on fait d’une pierre deux coups.


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