Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/05/2016

Etre d'ici, venir d'ailleurs

 

 Malheur à celui qui ne vient pas d'ailleurs. Malheur à l'autochtone! On ne lui pardonne rien. Il est coupable de tout. Il n'a que vingt ans, et même bien avant au berceau, il a colonisé des zones immenses de la planète. Même les français à naître sont d'anciens colonisateurs. Cent ans, mille ans après on leur reprochera encore. L'homme d'ici est colon dans l'âme. Massacreur des indiens d'Amérique, marchand d'esclaves africains, exploiteur du tiers-monde, sûr qu'il tremblera quand sera venu le moment de peser les âmes. En attendant l'enfer, ce qu'il vit ici-bas en est un avant-goût.

 Dans les coulisses du terrorisme, il y a de la religion, de la politique, du racisme et une revanche à prendre. S'il n'y avait que religion et politique, il est certain que ceux qui nous gouvernent – laïques incorruptibles et preux républicains- auraient depuis longtemps sapé le mal à la racine, et fait des fous de dieu d'humbles pénitents. Mais voilà. C'était compter sans la mauvaise conscience des pauvres blancs que nous sommes. Avant-hier, le chevalier blanc en conquête pouvait, sans cheval ni le moindre esprit chevaleresque, maltraiter, assassiner des innocents par peuples entiers. En toute bonne foi, car ces innocents l'étaient vraiment : ils n'avaient pas d'âme paraît-il. Aujourd'hui des personnes qui n'ont jamais été colonisées ni maltraitées et qui sont bien vivantes peuvent se permettre en toute bonne foi de rappeler par l'injure, la violence et le meurtre qu'il y a des années et même des siècles, leurs ascendants ont souffert.

 Irions-nous accuser l'enfant d'outre-Rhin d'être le descendant de bourreaux de la pire espèce? Et son père, sa mère, les accuserions-nous? Ses grands-parents? Certainement pas. A moins de considérer un peuple entier comme fautif, ce qui est absurde. D'ailleurs un peuple entier est-ce que ça existe? Peut-on mettre du même côté de la balance un tortionnaire nazi et ses victimes, sous prétexte qu'ils parlent la même langue? Irions-nous accuser les russes de crimes contre l'humanité, alors que leurs propres parents ont été assassinés, internés en hôpitaux psychiatriques ou déportés en Sibérie? Non. Il faut se garder de raisonner en termes généraux, l'humanité n'est pas un troupeau appelé à suivre une bête de tête. Qu'il y ait parmi nous des bêtes immondes, aucun doute n'est permis. Mais il nous est accordé un esprit, une raison, une conscience, autant de facultés qui nous dispensent de toujours suivre, et nous permettent de penser et d'agir librement.

 Une grave erreur est de se demander d'où on vient... et d'en rester là. Il vaudrait mieux se demander qui on est. Cela me rappelle cette antienne des années soixante, à entendre un discours on posait la question « D'où parle-t-il celui-là? ». On la posait sans même accorder la moindre attention au propos tenu. On ne jugeait pas le contenu, on enquêtait sur l'origine de ce qui était dit. La forme plutôt que le fond. Dans l'histoire cette façon de ne pas entendre a fait des malheurs, c'était la clé du totalitarisme. Vous aviez raison ou tort selon le camp auquel vous apparteniez. De là les soupçons, puis les poursuites, puis le camp, définitif celui-là pour celui qui n'était pas membre de la nomenclature ou du parti.

 Pourquoi grave erreur? Parce que les conséquences sont incalculables en matière de justice. Selon que vous serez blanc ou noir, on vous jugera. Vous vous en prenez à un noir, on vous accuse de racisme. Un noir s'en prend à un blanc, on parle d'incivilité. A l'esprit de repentance s'ajoute l'importance accordée à la question sociale. Dès qu'on a découvert un jour (Marx) que ce n'est pas la conscience qui détermine notre être, mais l'être social qui détermine la conscience, le ver était dans le fruit. Car à celui qui vient d'où il faut -entendez des quartiers, de la banlieue- tout est permis. On l'excuse avant de le juger. Jusqu'à accorder qu'il ne pouvait agir autrement. La misère explique le crime. Elle l'excuse. En plaçant sur le trône l'être social on espérait libérer l'humanité. On instaure au contraire la pire des injustices, en attribuant à l'homme ce cadeau empoisonné: l'irresponsabilité.

 

§

 

 

 

24/03/2016

C'est la faute à qui ?

 

 

 Ce vieux slogan de mai 68 « Il est interdit d’interdire » a fait des ravages dans les familles et dans la société tout entière. Animé de bons sentiments, on est toujours tenté par ces belles idées que sont la liberté, la tolérance et on a raison. Malheureusement bien souvent dans la réalité ces belles idées deviennent licence et permissivité. Les parents savent bien que les enfants ont besoin d’une autorité. Sans le dire les enfants la réclament. Le pire serait de leur laisser croire que la vie suivra son cours sans obstacles.

 Je crois que ces considérations valent pour les adultes. Si nous étions des anges, les lois seraient inutiles, car nous ferions passer le bien commun avant nos intérêts. Seulement voilà, nous ne sommes pas des anges. Et pour éviter que nous soyons des bêtes, des lois se sont imposées, définissant les contours d’une démocratie, un idéal pour l’humanité, un idéal. Car cette belle idée implique un combat de tous les jours, des sanctions aussi, non seulement contre ceux qui ne respectent pas la loi, mais aussi pour se garantir des appétits individuels, des tendances de chacun d’entre nous à s’accorder la meilleure part du gâteau, tendances bien compréhensibles, mais qui –étendues à la société toute entière- représentent pour elle un danger. L’idéal démocratique est à cent lieues de la permissivité et du laisser-faire qui conduisent au désordre, au chaos. Ce sont là des situations propices aux dictatures. Et là, les sanctions frappent les innocents.

 Un des fléaux qui menacent nos sociétés est cette tendance à déresponsabiliser l’individu. Les responsables ne sont plus les hommes en chair et en os, mais l’histoire, la psychologie, la misère, les quartiers défavorisés, l’illettrisme, l’immigration, la pluie, le verglas, l’alcool, le tabac, les pulsions, le père, le ça, le sexe, l’argent, le capitalisme, la première femme, l’esprit du mal, le diable…Chercher par tous les bouts une justification au délit a deux conséquences. D’abord on encourage le crime, car les délinquants savent que leurs avocats auront du grain à moudre. Ensuite, on pénalise les victimes, en prenant cet air désolé qui veut dire : on n’y peut rien, c’est la société qui est responsable. On s’en prend alors à ses représentants, à commencer par les forces de l’ordre. Un « jeune homme de 25 ans » est interpellé, et meurt en garde à vue. Les premiers soupçons se portent sur la police. L’armée des associations, médias, commentateurs, angelots et bourgeois parisiens montent au créneau. Le tohu-bohu dure plusieurs jours, avec défilés dans les quartiers devant les caméras de télé : bavure de la police.

 On apprend quelques jours plus tard que la personne décédée était un délinquant, qu’il souffrait d’une maladie cardiaque et n’était pas soigné. De ce jour, sur les ondes plus un mot.

 S’il est interdit d’interdire, tous les délits sont permis. Tous les petits délits. D’ailleurs ce ne sont plus des délits mais des incivilités. Euphémisme parmi d’autres, feuille de vigne pour cacher la misère. La vraie. Celle des gens qui essuient des crachats, qui ne montent au logement qu’en baissant les yeux et en s’excusant, ceux qui se lèvent tôt quand ils ont du travail, ceux qui n’ont plus de bus faute de chauffeurs audacieux, bref les gens qui ne sont pas comme moi. Moi qui habite un pavillon tranquille à cent lieues du front, et les nouvelles qui nous en parviennent sont annoncées par des gens qui habitent un pavillon tranquille à cent lieues du front. Ces nouvelles ? Un professeur a été un peu poignardé par un élève, mais il est hors de danger, une marche silencieuse contre la violence est organisée le lendemain dans ce quartier habituellement pourtant néanmoins toujours très calme.

 Quand aux grands délits, ceux qui causent la mort et la souffrance de centaines d'innocents, dans un premier temps on accuse des barbares pour finalement, l'émotion passée, en revenir aux fondamentaux. Misère sociale, quartiers défavorisés creusets de la violence, société occidentale inégalitaire, jeunesse déboussolée, chômage. Certes, on surveille un ou deux prêcheurs de violence, on perquisitionne ici ou là pour la forme, sans jamais affronter la réalité : un fascisme sournois de jour en jour plus confiant en lui-même, encouragé par notre propre aveuglement, notre couardise, notre besoin de toujours rechercher la responsabilité où elle n'est pas, dans la posture éternelle du pénitent.

 Ce qui est à craindre, c’est qu’un jour l’ordre soit rétabli par des hors-la-loi, des gens à qui l’on n’a rien interdit, et qui en toute liberté supprimeront celle des autres. On l’a vu dans le passé.

 

§

 

 

 

07/02/2016

Peut-on être de gauche aujourd'hui ?

 

 

 Oui. D'abord parce qu'il est difficile d'être de droite. Celle-ci fait chaque jour un peu plus son plein d'incompétence, comme si l'histoire de France au siècle précédent ne lui en avait pas donné assez. Faut-il rappeler aussi qu'elle compte dans ses rangs quelques personnes peu estimables, financièrement non patriotes, très attachées à leurs biens dont l'origine n'est pas toujours avouable. Comme ce n'est pas le cas de tous, on pourrait encore glisser un peu d'espoir dans les déclarations programmatiques d'une droite républicaine honnête et soucieuse de l'avenir du pays. Ce serait sans compter avec cette antienne qui s'accroche à la France comme la misère sur le monde: la droite c'est l'argent, l'argent c'est le mal.

 Nous sommes tous qu'on le veuille ou non des idéalistes. Comme c'est difficile sur une estrade, dans un meeting ou une réunion de famille de justifier ou seulement d'essayer de comprendre l'inégalité sociale! Pire, si vous êtes ministre de l'économie, de déclarer que la vie d'un patron n'est pas plus simple que celle d'un salarié...horreur! Erreur de débutant. Blasphème. Le travailleur, l'exploité, le chômeur, le pauvre sont les saints d'aujourd'hui quand ceux du ciel ont convolé pour toujours vers des espaces où la misère a encore un sens (et encore rien n'est moins sûr peut-être qu'il fait bon vivre ailleurs et que dieux, saints et l'armée des anges ont déposé les armes une fois pour toutes et dans tout l'univers). Dans une société dont personne n'est plus capable de dire où elle va (et même parfois d'où elle vient, tentez l'expérience, on vous qualifiera de nostalgique, une injure) les seules choses qui valent encore le coup de croire et s'engager bourgeonnent dans le dernier carré du petit jardin, profond au plus profond de nous. Conscience, la bonne conscience. C'est dans ces parages que la gauche survit, qu'elle trouve encore du grain à moudre.

 Il est à noter que les personnes qui montent en première ligne pour défendre l'opprimé ne sont jamais des travailleurs, des exploités, des chômeurs, encore moins des pauvres. Pourquoi? D'abord parce que les héros ont du temps à perdre. Ils ont la culture, ils ont les livres. Nombre d'entre eux ont l'accès aux médias. Philosophes, écrivains, artistes, cinéastes, comédiens, chanteurs et humoristes à 99,99% tiennent le même discours compassionnel: il faut en finir avec la misère, mettre tout le monde sous un toit, donner les moyens de se nourrir, éduquer, éduquer encore. Car les révolutions n'ont pas tenu leurs promesses. Cela fait presque deux siècles que le capitalisme exploite le monde et que les forces qui prétendaient le terrasser ont échoué lamentablement en créant parfois des situations pires. L'idéal révolutionnaire à l'image de ses apôtres n'a plus vingt ans. Il a pris du ventre. Mieux rompu à la course, le vieux monde l'a rattrapé. Dépité, drapeau rouge en berne, que reste-t-il au vieux militant de ses amours? Des livres, des souvenirs, des guerres (sans arme oh la la!!) à raconter. Quoi d'autre? En dernier recours: le verbe haut contre l'extrême droite. Entre une soirée théâtrale et une expo à ne pas manquer, le gauchiste ordinaire joue un rôle dans un domaine où il est le recordman du monde: celui de l'effarouché.

 Drapé dans sa tunique fleurant bon la tolérance, l'amour et la paix entre les peuples, le bourgeois bohème s'avance et parle. Il est l'avocat de l'humanité tout entière. Lui qui n'a jamais subi ni même vécu sous régime fasciste, il sait la menace et nous la rappelle à toute occasion. Mais l'acuité de son regard a des limites qui lui sont imposées par un système de pensée. Dirai-je son dogme? Il voit derrière des lunettes qui partagent définitivement et indiscutablement le monde entre le bien et le mal. Le bien reste toujours à définir, le passé douloureux de l'expérience socialiste incite le plus inflexible des idéologues à la modestie. Le mal est plus facile à cerner: l'argent, le patron, le capital, le capitalisme, l'impérialisme et pendant qu'on y est: l'Occident. Ce qui permet de faire passer les pires idéologies réactionnaires pour des forces de progrès, puisque opposées au Satan occidental. Et les barbares qui tuent au nom de dieu ont l'habileté de tenir un langage semblable mettant dans le même sac pouvoir de l'argent, impérialisme colonisateur et mœurs dissolues.

 Comment peut-on espérer quelque chose de ces orateurs sans talent? Ils sont dans la république ce que les dames de charité étaient au temps des rois. Une soupape. Pourrait-on en vouloir à ce petit bourgeois avec un coeur gros comme ça? Chapeau vissé sur la tête, écharpe rouge et manteau noir sont des preuves de son existence. Ces gens-là ne manifestent pas. Ils se manifestent. Ils vivent au plus loin de la banlieue derrière une porte blindée protégée par une alarme, mais ils savent ce que c'est que la délinquance, sans toutefois tomber dans le piège du tout sécuritaire. Ils ne sont jamais dans le doute. Comme leurs maîtres à penser qui fermaient les yeux ou feignaient l'étonnement quand les chars d'assaut faisaient la loi dans le monde socialiste ils ne savent pas qu'en France aujourd'hui il nous faut accepter les prières de rues, des horaires séparés pour les femmes dans certains lieux publics, des enseignements adaptés pour ne froisser personne à l'école, ils ne savent rien de tout ça. Et quand il leur faut se rendre à l'évidence, ils trouvent encore les mots, les expressions qui rabibochent, comme quoi tout va s'arranger, le problème n'est pas là, décrispons, apprenons à vivre ensemble. Ils sont même capables de plaider la pire des causes religieuses, sombrant dans l'antiféminisme et l'antisémitisme, s'il faut en arriver là pour exister encore. Si le terrorisme islamique ne les bouleverse pas, c'est l'état d'urgence qui les fait descendre dans la rue.

 Etre de gauche aujourd'hui, bien sûr que c'est possible, et ces pantins de la politique nous manqueraient s'ils n'existaient pas. Au risque de choquer je dirai même qu'ils sont excusables. Quand on juge les gens, il faut tout mettre dans la balance. Se rendre compte que pour eux le siècle passé a été rude. Le monde nouveau qu'ils avaient espéré s'est écroulé comme un château de cartes. Leurs idoles ont été descellées. Partout les efforts pour en finir avec l'exploitation de l'homme par l'homme ont été vains. Coupés de leurs racines, mis à l'écart d'une classe ouvrière diminuée qui ne croit plus en rien, ils trouvent refuge dans les médias, le spectacle, la représentation et l'humanisme à trois sous. Etre de gauche c'est être auprès des opprimés, par le cœur. Ils pourraient presque nous émouvoir s'il n'y avait tout près d'ici et de chez vous cet homme que vous rencontrerez un jour qui a tout perdu, emploi, femme, maison, collègues, camarades, dont les fleurs qu'il vous montre, en massifs devant son bungalow, sont le plus beau et le plus vrai de tous les discours.

 

§