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28/08/2021

Madame Martin


 La pensée contemporaine -au moins en occident- s’est laissée infiltrer par la sociologie. Plus précisément par ce qu’on nomme maintenant le « sociologisme ». Quand on dit « tout s’explique », on sous-entend que tout s’explique par des causes sociales. Il n’est pas de problème qui ne puisse être élucidé par ce moyen. Il y a quelque temps des gens du voyage ont été agressés et même chassés violemment par d’autres habitants suite à une rumeur propagée dans les réseaux sociaux selon laquelle ils kidnapperaient des enfants (ce qui n’est pas sans rappeler la sombre histoire de l’antisémitisme, mais c’est un autre sujet). Lors du débat qui s’ensuit, après avoir déploré les faits, le député concerné aborde la question de la misère sociale et du manque de crédits alloués à l’administration pour remédier à ce fléau. L’équation est connue et développée par tous les partis de la gauche à la droite : misère > désespoir > violence. La gauche approfondit et pose une équation de « second degré » : violence < désespoir < misère sociale < capitalisme. Ainsi tout s’explique.

 L’ingénu qui demanderait, regardant ces scènes terribles qui tournent en boucle sur toutes les chaînes, s’il vous plaît arrêtez l’image…là : qui est cet individu, pourquoi frappe-t-il, quel est son métier, qu’est-ce qui fait qu’il est maintenant ici, comment l’histoire de sa vie passe-t-elle par ce moment tragique ? L’ingénu qui poserait ces questions pourtant essentielles n’aura pas de réponse, même si sur le plateau tous les experts possibles sont réunis.

 Cette pensée sociale, sociologique, globalisante ne conjugue jamais l’être humain au singulier. Pour elle, madame Martin qui habite au 34 rue de la paix à St Gilles n’existe pas. Pour qu’elle existe, il aurait fallu que son nom fût associé à une activité publique, une cause, une association, un parti, un combat, une affaire, ou même un crime. On aurait rangé alors madame Martin dans la catégorie « directrice de quelque chose », épouse d’une personne célèbre, femme de conviction, militante, combattante, délinquante, ou pire : criminelle. Mais l’identité, la singularité, l’être même de cette femme, sa sensibilité, ses convictions profondes ou ses doutes, ses désirs ou ses souffrances, sont pour le sociologisme autant d’épiphénomènes, spécificités certes dont personne ne peut nier l’existence mais qui souffrent de ce défaut : elles ne sont pas constituantes d’une conception du monde, d’un plan général susceptible de situer la place et de définir le rôle de l’être humain dans le monde, et son devenir. La personne « madame Martin », autant que la personne qui l'autre matin est allé molester des gens du voyage échappent à tous les systèmes possibles qu’ils soient philosophiques, politiques ou religieux.

 Ce qu’on sait de madame Martin n’a rien à voir avec ce qu’elle est en réalité, ce qui pour elle est le plus important, l’essentiel : son intimité. Ce que les systèmes de pensée connaissent de cette dame est encore plus superficiel que ce qu’un interrogatoire policier pourrait révéler. Car ce dernier, même s’il ne remonte jamais aux sources, s’il n’explique jamais complètement les raisons d’un acte, s’il faut des mois d’entretien pour qu’une analyse aboutisse à quelque connaissance de la psychologie humaine, les informations recueillies ne sont pas « de surface » et ne s’interdisent pas de violer quelque jardin secret. Preuve qu’il y en a un. Mais dans ce jardin, la pensée qui ne pense l’humain que comme membre d’une catégorie, d’une classe, d’une ethnie ou d’une nation, qui pense l’homme exclusivement comme un-être-dans-le-monde, dans ce jardin cette pensée ne pénètre pas. Le portillon lui est fermé. Private. No entry.

 Par goût du paradoxe, on pourrait dire qu’une pensée qui explique tout (totalitaire) n’envisage pas cette femme comme une totalité singulière.

 En quoi cette manière de penser est-elle totalitaire ? Regardez l’artisan qu’on appelle pour réparer ou pour installer quelque chose. Avant de partir, il fait le tour de son atelier, choisit les outils dont il pense avoir besoin selon l’idée qu’il se fait du travail à accomplir. Il opère une sélection, et le meilleur ouvrier est celui qui dispose des bons outils certes, mais surtout des outils appropriés. Pour revenir à cette façon de penser « qui explique tout », elle prend de l’être humain ce dont elle a besoin pour construire et maintenir la cohérence de son système. Autant elle ignore la singularité (l’intériorité) des individus, autant elle est d’une perspicacité étonnante quand à discerner ce qui dans le comportement de l’individu peut alimenter son hypothèse. Autrement dit, ce qu’on nomme communément le « prêt à penser » ne découvre dans le monde réel que ce qu’il veut y découvrir. Cette construction idéologique dont la première qualité est la cohérence totale, non fractionnable, non questionnable et non discutable met évidemment hors de cause l’imprévisibilité du comportement humain, bref sa liberté.

 Les systèmes de pensée qui affirment que « tout est économique », « tout est social », « tout est politique » rencontrent dans notre société un certain succès dans la mesure où il est plus facile d’expliquer un acte par une cause connue (surtout si elle confirme une thèse à défendre) que par un long cheminement dans les circonvolutions compliquées de tous les comportements possibles propres à la nature humaine. Si l’on refuse de voir en chaque être humain un être unique, on se dispense de toute réflexion sur la responsabilité, la conscience de soi, le libre arbitre. Tout s’explique alors facilement, sans discussion possible, par des causes sociétales qui conduisent – car l’idée de responsabilité est prégnante et ne peut être écartée- à nous perdre en conjectures avant de livrer à la Justice la dernière découverte du sociologue à la mode qui a défriché une zone de laquelle la personne humaine est exclue.


§

19/06/2021

Vents de folie !

 

Le temps est révolu, c’était la grande époque.

Oh certes, ils n’étaient pas nombreux,

et n’avaient pas place dans les médias.

Mais le nombre n’est pas tout. Il n’est même rien.

La notoriété n’est rien

quand seule compte la conviction

au prix certes d’un trop plein d’assurance, d’une pincée d’intolérance.

 

Mais qui aurait jeté la pierre à ces gens courageux

qui pensaient ce qu’ils disaient,

qui vivaient ce qu’ils pensaient,

qui vivaient conformément à ce qu’ils pensaient,

qui interrompaient leurs études,

qui brisaient leur carrière,

qui rompaient les liens familiaux,

pour, aux premières lueurs de l’aube,

contre toute attente,

contre courant,

contre parti, syndicat et police associés, parfois aussi

contre ceux qu’ils voulaient défendre,

aux portes des usines porter la voix de la révolution,

Révolution qu’ils ne verraient jamais, le savaient-ils ?

 

Qui aurait jeté la pierre à ces gens courageux

qui combattaient, oui c’étaient des combattants,

qui combattaient pour assurer un avenir à l’humanité

car ils en étaient sûrs, ils l’avaient lu dans les livres :

l’humanité a un avenir

au-delà des guerres, de l’esclavage, de l’exploitation des hommes,

au-delà de la misère,

un avenir qu’ils allaient chercher

contre toute attente,

contre courant,

contre parti, syndicat et police associés et parfois aussi

contre ceux qui n’avaient rien lu dans les livres,

en ces temps où la parole révolutionnaire avait encore un sens.

 

Qui aurait jeté la pierre à ces gens courageux ?

qui n’avaient tué ni maltraité personne,

qui n’étaient que parole,

qui n’avaient qu’une parole,

 

Chacun a le droit de vivre, enfant, femme, homme, noir, blanc, abattons

les frontières,

les dogmes,

les privilèges.

 

Seulement voilà,

les pères fondateurs, les grands de grands,

les Karl Marx et Friedrich Engels,

les Lénine et Trotski dorment du sommeil des justes.

Et, tel un peuple élu adorant les idoles en l’absence de son chef,

nos insurgés ont perdu toute mesure,

et la classe ouvrière, du fond de son jardin n’entendant plus leurs appels,

en grand désarroi les révolutionnaires d’un autre âge

cherchent ailleurs logis où se mettre.

Ils prennent tout ce qui passe,

délinquants de banlieue, criminels de guerre, négationnistes, et vont jusqu’à entendre

les sirènes des pires ennemis des libertés.

Drapeau rouge en tête, tout ce beau monde passe en cortège

et le Hamas est dans leurs rangs.

 

Karl, Friedrich, Vladimir, Léon ! Réveillez-vous, ils sont devenus fous.

 

 

§

15/03/2021

C’était Dieu avant. Maintenant ça ne va pas mieux.

 

 

Monde sans dieu

 

 

 Remarquez bien, quelle que soit notre colère, et d’abord celle des parents des victimes, il serait malvenu pour la société civile de jeter la première pierre à l’Eglise. Car si la pédophilie s’abrite parfois sous une soutane, elle fait des victimes dans d’autres milieux, sur tous les continents, et probablement depuis les siècles des siècles.

 

 S’il n’y avait que le mal fait à des enfants, ce serait déjà terrible. Mais il y a ce silence. Silence qui constitue depuis deux mille ans toute la force de la politique de l’Eglise. Silence plus bavard que les plus longs sermons. Silence sur les faits et méfaits imposés ou permis pourvu que le dogme soit sauf. A commencer par l’école, et je pense même à celle du diable, à la communale, la laïque. Peut-être ai-je particulièrement souffert de ce silence parce que je n’étais pas catholique? On nous présentait St Louis comme un roi exemplaire rendant la justice sous un chêne, le départ en croisade comme une guerre sainte, le massacre de la St Barthélemy comme un épisode « tragique » de la guerre des religions, l’évangélisation de l’Amérique comme une action civilisatrice dans un monde d’anthropophages, on se taisait autant qu’il était possible en classe de quatrième sur le rôle contre-révolutionnaire de l’Eglise, pilier de l’ordre monarchique en 1789, quand aux années noires du siècle dernier, motus et bouche cousue sur l’arrangement catholicisme-pétainisme-antisémitisme, sauf une page ou deux dans le manuel d’histoire, maigre feuille de vigne cachant l’infamie, éclairée trop souvent par les propos d’un professeur montrant que parmi les gens d’Eglise, il y avait parfois un Juste.

 

 Combien de discours entendus sur la fonction irremplaçable de la religion en matière de morale ! Du collège à l’université, combien de fois m’a-t-on rappelé que –existence de Dieu ou non- l’amour du prochain nous était enseigné par les Ecritures, transmis par le catéchisme, montré en exemple par les prêtres. On disait et répétait que sans religion, l’homme serait un loup pour l’homme. Jusqu’en terminale où le professeur de philosophie, debout sur l’estrade, levant le bras, évoquant Raskolnikov, nous fixant l’un après l’autre dans les yeux, et là j’oubliais tout et le bac… Toujours le bras en l’air, il se tournait vers l’un d’entre nous :

 

  • Qui, quelle instance, quel pouvoir pouvait encore stopper le geste meurtrier ? Qui ? La peur d’être vu ? La crainte de la police ? L’apparition soudaine, au moment crucial, d’un sentiment humain, du sens de la fraternité ? La compassion vis-à-vis d’une vieille femme sans défense ? La peur ? Mais la peur de quoi ? De la peine de mort ? De la prison ? De la justice des hommes ? Non. La seule force qui aurait pu encore arrêter son bras, elle n’est pas humaine. C’est la peur du Jugement, du vrai de vrai, du Jugement Dernier, celui de Dieu.

 

 Certes, je me dis par la suite que vu le nombre de crimes dont les hommes se sont rendus coupables dans l’histoire, la peur du jugement d’un dieu n’était pas si efficace qu’on avait bien voulu l’enseigner. Non seulement la peur du Ciel ne fait pas barrage au crime, mais les représentants du ciel sur la terre sont eux-mêmes des criminels. Pour l’église catholique, moins qu’avant et en cachette. Pour l’islam, ouvertement et sur une échelle génocidaire. La « sainteté » de la guerre justifiant l’opprobre : viols, mariages forcés, crime d’ « honneur », apologie du négationnisme et même du nazisme, menace nucléaire… Agir au nom d’un dieu justifie tous les crimes.

 

 Peut-être n’avons-nous pas encore bien appris à vivre dans un monde sans dieu. Après tout, les religions ont semé la zizanie, le mal et le meurtre pendant des millénaires, et la disparition du Grand Horloger n’indique que deux siècles au cadran, il nous faudra encore un peu de temps pour nous faire à l’idée que nous sommes seuls, bien seuls au moins sur cette planète, et que le monde nous appartient, pour le bien comme pour le mal. Mais que les religions mettent un bémol à leurs sermons, qu’elles règlent leurs problèmes existentiels et cessent de nous donner des leçons.

 

§